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Un véritable approfondissement dans la connaissance des effets littéraires exige évidemment de savoir quelle conception convenable s’accorde à la création artistique. Parmi les éléments constitutifs d’une œuvre littéraire le « rêve » et le « fantasme » semblent avoir obtenu leurs lettres de noblesse dans le domaine des sciences humaines grâce à la psychanalyse. Ceux-là sont étroitement liés à la « subjectivité » qui constitue l’esprit de l’inconscient et que l’on considère comme le point de départ de toute création. Dans cette perspective, on néglige trop souvent le rôle prépondérant que les Mille et une nuits et les autres recueils de contes qui l’ont suivi ont joué dans la vie intellectuelle et artistique des siècles postérieurs. Rarement une œuvre et un genre littéraires ont exercé une influence autant universelle. Les sujets, les décors, le style du livre se sont non seulement imposés dans d’autres genres littéraires (conte, fable, roman), mais ont provoqué à certains moments divers courants et divertissements, et ont marqué de leur empreinte les arts quotidiens ou non tels que la peinture, la tapisserie, les faïences et la porcelaine de toutes les époques postérieures.
Le recueil des Mille et une nuits possède à la fois un côté fantaisiste et un côté romantique dans lesquels divers sujets surgissent, alors que la conteuse Shéhérazade narre ses histoires au roi Shahriâr, repoussant ainsi la mort promise durant mille et une nuits. Selon nous, parmi les différentes interprétations consacrées à ce récit millénaire, les notions de « désir » et de « métamorphose » occupent une place centrale. En outre, la technique narrative est remarquable, en tant que seul moyen pour Shéhérazade d’échapper à la mort en racontant ses 160 contes pendant mille et une nuits. De même, le croisement de tous les contes narrés par Shéhérazade est fondé sur la focalisation interne justifiée par le fait que le roi est désireux de connaître la suite de l’histoire. Cela explique qu’il y ait dans les contes des Mille et une nuits une infinie grandeur humaine, un souffle de création puissant et illimité. C’est ce qui les rend facilement adoptables car rien n’est plus universel, ni à la fois plus subtil que le « fantasme ». Cependant, chaque époque a imaginé à sa manière un univers rebelle à toutes les lois physiques où rien ne se soumet aux règles de la nature et dont l’unique dictateur est le « fantasme ».
Mais avant de présenter une analyse sur les origines historiques des Mille et une nuits, il est indispensable de préciser que les premières traductions ont joué un rôle important dans la présentation de cette œuvre au public français. Ainsi, il ne serait pas inopportun de donner un bref résumé des arguments qui semblent incontestablement prouver l’origine iranienne des Mille et une nuits, et qui traitent des nombreux débats qui se sont élevés à ce sujet pendant tout le XIXe siècle et le commencement du XXe siècle. Edgar Weber dans son livre, Le secret Mille et une nuits s’affirme en faveur de l’origine iranienne : « L’influence de la littérature narrative indienne se trouve dans le Hezâr Afsâneh (Mille Légendes), ce livre perse qui est le noyau primitif des Mille et une nuits » [1]. Partant de ce point de vue, d’autres arguments prouvent que les Mille et une nuits ont une origine iranienne, car les noms de Shahriâr, Shâhzemân, Shéhérazade et Dinazade sont persans. Sous cet angle, nous pouvons observer également qu’il existe une similarité entre la version persane et la version arabe de l’ouvrage. Puisque le mot arabe khorafa (légende) se dit en persan afsâneh et le Hezâr Afsâneh narre également, comme les Mille et une nuits l’histoire d’un roi, d’un vizir et d’une femme dont les noms sont Schiharzar et Dinazade. Cependant, cette représentation des Mille et une nuits ne peut être complète car ces contes sont redevables de plusieurs cultures et méritent d’être appelés « interculturels ». Plus profondément, ce recueil d’histoire né en terre indienne a été adapté par des lettrés perses, étoffé par la culture arabe, traduit en français puis dans quasiment toutes les langues du monde. En sus de quoi, W. Marcais écrit à ce propos : « On a déterminé en gros quatre périodes dans la vie de l’ouvrage : sa naissance en Inde à une époque qui peut être assez reculée ; une première étape qui l’amène en Perse sous la forme d’une traduction en pahlavi [2], datant probablement du Ve siècle de notre ère, un autre relais dans le Bagdad des califes vers le Xe siècle : enfin dans une marche continue vers l’ouest, au cours de laquelle il fait boule de neige, l’ouvrage aborde l’Egypte et s’y installe. » [3] En effet, les différentes figures de ce recueil interculturel évoquent qu’il a traversé, avant aujourd’hui, de grandes cultures très diverses : « indienne », « persane » et « arabe ».
En guise de conclusion, il est important de savoir si ce genre de conte présente en quelque sorte une littérature du "désir absolu", où le fantasme est protagoniste avec son avatar, le rêve. Cette mise en abyme en forme de métamorphose construit une œuvre unique qui restera toujours la référence chez les littérateurs passionnés de tous âges. Ce recueil amusant plein de goût et de fantaisie éveille au vol les rêves dans l’univers fantastique et y marque finalement une sorte de dépassement romantique.
Bibliographie :
Moura, Jean-Marc, La littérature des lointains, Champion, Paris, 1998.
Edgar Weber, Le secret des Mille et une nuits, Eché, Paris, 1987.
Aubrit, Jean-Pierre, Le conte et la nouvelle, A. Colin, Paris, 1997.
[1] Edgar Weber, Le secret des Mille et une nuits, Eché, 1987, p. 21.
[2] Se dit d’un système d’écriture du moyen perse, d’origine araméenne, utilisé entre le II s. et l’avènement de l’islam.
[3] Ibid., p. 6. Cité par Edgar Weber.