N° 23, octobre 2007

Bijan Jalâli, La poésie du soleil


Rouhollah Hosseini


Il y a des gens

Qui ne comprennent rien à ce monde

C’est pourquoi

Leurs gestes sont confus et pleins d’effroi

Je connais des gens

Dont les yeux brillent d’une immense espérance

Débordant les confins du monde

Pour atteindre le jour et la nuit infinis

Il y a pourtant

Un étrange chagrin dans leurs yeux

Car

Ils ne comprendront rien à ce monde

Jusqu’à son dernier jour…

***

Bijan Jalâli

Bijan Jalâli (1927- 1999) est le poète des noces de l’homme et du monde ; un poète qui fait abstraction du temps historique pour établir un dialogue avec l’éternité. Il se dégage de ses textes un sentiment de fraternité cosmique, qui rend compte de son amour pour la vie et le monde. Une extase panthéiste de la communion avec la nature traverse l’œuvre du poète. "Il y a une beauté aveuglante dans le monde" dit-il joliment. De la même manière, entre l’histoire et le soleil, il choisit le second. Son œuvre semble être ainsi exempte des problèmes de l’homme moderne et de son angoisse existentielle. Son langage se tient à l’écart des complexités, tant au niveau de la forme qu’au niveau du sens. Il est simple et clair. Pourtant la douleur n’est pas absente de l’univers onirique de Jalâli. Le chagrin et la mort sont en effet dans son œuvre, des thématiques saillantes. Mais le poète, loin de s’enfermer dans le désespoir ou le nihilisme, parvient à les transcender par l’entremise de sa foi mystique.


Il paraît que la mort

Fut ma bien-aimée

Et j’ai composé pour elle

Tous ces poèmes…


Tu viendras

Le jour

Quand

Il ne restera de moi

Qu’une ombre

Tu parleras

Des arbres

De toi-même

Et des étoiles

Tu prendras ma main

Et côte à côte

Nous irons

Je parlerai

De toi

Des arbres

Et des étoiles

Puis

Tu reprendras ton chemin

Et moi

Je t’attendrai encore

Jusqu’à la fin du monde


Il fait nuit

Il fait nuit

Tu es seule dans cette nuit

Et moi, je suis

Le gardien

Et de toi

Et de la nuit


Tu fus

Le silence

Le calme

Et la nuit

Quand

Tout d’un coup

Le tumulte de la vie

S’éleva au ciel

Pour redescendre

Comme une poussière

Sur tes genoux.


O Dieu

De toi aussi

Il ne restera rien

Quand

On t’enlèvera l’univers


Lorsque j’écris un poème

Ma main

Est dans la tienne

J’écoute

Ta voix

Et mon cœur

Bat au rythme du tien

Et même

Lorsque je n’écris pas

Je t’attends


Le jour

Où tu seras une vieillarde

Je t’aimerai toujours

Car

Mon amour

Qui commença au printemps

De ton corps

Ne connaîtra jamais

L’automne

Et je t’aimerai

Toujours.


L’univers

Est petit et étroit

Mais toi

Tu en es l’âme

C’est pourquoi

Mon regard

Se perd au loin

Et je salue

Tout arbre

Comme un ami

Et j’adore

De l’univers

L’immensité

Et l’infinité.


L’amour

Est comme une caravane

Qui

Avec ses chameaux et ses feux

Avec ses cloches et ses chameliers

Dresse une nuit sa tente

Dans nos âmes

Dont le désert

A l’aurore

Ne révèle qu’un tas de cendres

Et des traces de pas

L’amour

Est comme le soleil du mois d’avril

Illuminant un instant

Les fleurs de nos âmes

Pour laisser ensuite

La place aux nuages printaniers

L’amour

Est comme le retour au village du troupeau

Dont la voix familière

Des agneaux et du grelot des chèvres

Brise le silence du soir

Et puis

La nuit tombe sur le village

L’amour

Est comme un météore

Qui dans le ciel de nos âmes

Fuit

Brille

Et s’éteint dans l’obscurité de la nuit

L’amour

Est comme un message

Que la brise délivre

Aux visages et aux yeux gonflés

Pour ensuite passer

Vers des pays reculés

L’amour

Est comme un souvenir vague et lointain

Qui en nous se réveille du bruit d’un pas

Et puis

Ce bruit s’en allant

Il se brise

Et dans la solitude

Et dans le silence.


L’étendu de notre folie

Est plus vaste que toutes les mers

Et nous

Comme des poissons étourdis

Nous plongeons

Dans cette immense mer.


Ton sourire

Comme un bateau d’or

Qui traverse une mer bleue

Passa devant mes yeux

Grands ouverts

Et d’un coup

J’aperçus

Ta beauté

Et ma solitude.


Par la fenêtre

Le monde

Coule dans ma chambre

Pour rejoindre

A travers mes yeux

Un autre monde

Comme un ruisseau je suis

Qui coule entre deux champs


Comme il est doux

De mourir au milieu des feuilles d’automne

De mourir seul

De s’éteindre dans le vertige automnal

De dormir !

Comme il est doux

De se glisser au fond des racines des plantes

Et puis

De s’élever à travers des sentiers étroits

De leurs tiges

Vers le soleil !

Comme il est doux

D’éclore avec les fleurs

De danser dans la brise !

Comme il est doux

De mourir à l’automne

De naître au printemps !


Mon Dieu !

Maintenant

Que toutes les fleurs sont présentes

Que tous les oiseaux chantent aux branches de mon cœur

Maintenant

Que je vois toutes les rivières couler

Criant

Vers la mer

Et la file des monts d’or

Je promets de ne jamais

Jamais oublier

L’univers.


"Qui est la vie ?"

Demandai-je au rivage de la nuit

Il regarda le ciel

Et me dit :

"La vie est une étoile amoureuse".


Rien

N’est plus désolant

Que la mort d’un poète

Car

Rien ne l’empêchera

Aucun médicament ni métal tranchant

D’arracher de son corps

Les racines de la mort

Avec des yeux effrayés

Il regarde son trépas

Et l’effondrement perpétuel

Des mondes

Rien

N’est plus obstiné

Que la vie du poète

Car

Rien ne l’empêchera

Aucun médicament ni métal tranchant

D’arracher de son corps

Les racines de la vie

Avec des yeux pleins d’effroi

Il regarde sa vie

Et l’apparition perpétuelle

Des mondes

Nul être

N’est plus anonyme

Que le poète

Car

Il dissimule

L’atrocité de sa vie et de sa mort

Sous une couche de beaux messages.


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