|
Il y a des gens
Qui ne comprennent rien à ce monde
C’est pourquoi
Leurs gestes sont confus et pleins d’effroi
Je connais des gens
Dont les yeux brillent d’une immense espérance
Débordant les confins du monde
Pour atteindre le jour et la nuit infinis
Il y a pourtant
Un étrange chagrin dans leurs yeux
Car
Ils ne comprendront rien à ce monde
Jusqu’à son dernier jour…
Bijan Jalâli (1927- 1999) est le poète des noces de l’homme et du monde ; un poète qui fait abstraction du temps historique pour établir un dialogue avec l’éternité. Il se dégage de ses textes un sentiment de fraternité cosmique, qui rend compte de son amour pour la vie et le monde. Une extase panthéiste de la communion avec la nature traverse l’œuvre du poète. "Il y a une beauté aveuglante dans le monde" dit-il joliment. De la même manière, entre l’histoire et le soleil, il choisit le second. Son œuvre semble être ainsi exempte des problèmes de l’homme moderne et de son angoisse existentielle. Son langage se tient à l’écart des complexités, tant au niveau de la forme qu’au niveau du sens. Il est simple et clair. Pourtant la douleur n’est pas absente de l’univers onirique de Jalâli. Le chagrin et la mort sont en effet dans son œuvre, des thématiques saillantes. Mais le poète, loin de s’enfermer dans le désespoir ou le nihilisme, parvient à les transcender par l’entremise de sa foi mystique.
Il paraît que la mort
Fut ma bien-aimée
Et j’ai composé pour elle
Tous ces poèmes…
Tu viendras
Le jour
Quand
Il ne restera de moi
Qu’une ombre
Tu parleras
Des arbres
De toi-même
Et des étoiles
Tu prendras ma main
Et côte à côte
Nous irons
Je parlerai
De toi
Des arbres
Et des étoiles
Puis
Tu reprendras ton chemin
Et moi
Je t’attendrai encore
Jusqu’à la fin du monde
Il fait nuit
Il fait nuit
Tu es seule dans cette nuit
Et moi, je suis
Le gardien
Et de toi
Et de la nuit
Tu fus
Le silence
Le calme
Et la nuit
Quand
Tout d’un coup
Le tumulte de la vie
S’éleva au ciel
Pour redescendre
Comme une poussière
Sur tes genoux.
O Dieu
De toi aussi
Il ne restera rien
Quand
On t’enlèvera l’univers
Lorsque j’écris un poème
Ma main
Est dans la tienne
J’écoute
Ta voix
Et mon cœur
Bat au rythme du tien
Et même
Lorsque je n’écris pas
Je t’attends
Le jour
Où tu seras une vieillarde
Je t’aimerai toujours
Car
Mon amour
Qui commença au printemps
De ton corps
Ne connaîtra jamais
L’automne
Et je t’aimerai
Toujours.
L’univers
Est petit et étroit
Mais toi
Tu en es l’âme
C’est pourquoi
Mon regard
Se perd au loin
Et je salue
Tout arbre
Comme un ami
Et j’adore
De l’univers
L’immensité
Et l’infinité.
L’amour
Est comme une caravane
Qui
Avec ses chameaux et ses feux
Avec ses cloches et ses chameliers
Dresse une nuit sa tente
Dans nos âmes
Dont le désert
A l’aurore
Ne révèle qu’un tas de cendres
Et des traces de pas
L’amour
Est comme le soleil du mois d’avril
Illuminant un instant
Les fleurs de nos âmes
Pour laisser ensuite
La place aux nuages printaniers
L’amour
Est comme le retour au village du troupeau
Dont la voix familière
Des agneaux et du grelot des chèvres
Brise le silence du soir
Et puis
La nuit tombe sur le village
L’amour
Est comme un météore
Qui dans le ciel de nos âmes
Fuit
Brille
Et s’éteint dans l’obscurité de la nuit
L’amour
Est comme un message
Que la brise délivre
Aux visages et aux yeux gonflés
Pour ensuite passer
Vers des pays reculés
L’amour
Est comme un souvenir vague et lointain
Qui en nous se réveille du bruit d’un pas
Et puis
Ce bruit s’en allant
Il se brise
Et dans la solitude
Et dans le silence.
L’étendu de notre folie
Est plus vaste que toutes les mers
Et nous
Comme des poissons étourdis
Nous plongeons
Dans cette immense mer.
Ton sourire
Comme un bateau d’or
Qui traverse une mer bleue
Passa devant mes yeux
Grands ouverts
Et d’un coup
J’aperçus
Ta beauté
Et ma solitude.
Par la fenêtre
Le monde
Coule dans ma chambre
Pour rejoindre
A travers mes yeux
Un autre monde
Comme un ruisseau je suis
Qui coule entre deux champs
Comme il est doux
De mourir au milieu des feuilles d’automne
De mourir seul
De s’éteindre dans le vertige automnal
De dormir !
Comme il est doux
De se glisser au fond des racines des plantes
Et puis
De s’élever à travers des sentiers étroits
De leurs tiges
Vers le soleil !
Comme il est doux
D’éclore avec les fleurs
De danser dans la brise !
Comme il est doux
De mourir à l’automne
De naître au printemps !
Mon Dieu !
Maintenant
Que toutes les fleurs sont présentes
Que tous les oiseaux chantent aux branches de mon cœur
Maintenant
Que je vois toutes les rivières couler
Criant
Vers la mer
Et la file des monts d’or
Je promets de ne jamais
Jamais oublier
L’univers.
"Qui est la vie ?"
Demandai-je au rivage de la nuit
Il regarda le ciel
Et me dit :
"La vie est une étoile amoureuse".
Rien
N’est plus désolant
Que la mort d’un poète
Car
Rien ne l’empêchera
Aucun médicament ni métal tranchant
D’arracher de son corps
Les racines de la mort
Avec des yeux effrayés
Il regarde son trépas
Et l’effondrement perpétuel
Des mondes
Rien
N’est plus obstiné
Que la vie du poète
Car
Rien ne l’empêchera
Aucun médicament ni métal tranchant
D’arracher de son corps
Les racines de la vie
Avec des yeux pleins d’effroi
Il regarde sa vie
Et l’apparition perpétuelle
Des mondes
Nul être
N’est plus anonyme
Que le poète
Car
Il dissimule
L’atrocité de sa vie et de sa mort
Sous une couche de beaux messages.