N° 66, mai 2011

L’autofiction doubrovskyenne à travers Enfance de Nathalie Sarraute


Somayeh Dehghân Fârsi


« Je suis à peine, je suis un être fictif.
J’écris mon autofiction. » [1]

Serge Doubrovsky

Souvent, Enfance de Nathalie Sarraute est considérée comme une autobiographie. Pourtant, Sarraute a réussi dans cet ouvrage à prendre ses distances avec ce genre littéraire. Ainsi, on peut y retrouver les traits de l’autofiction doubrovskyenne. D’autre part, l’étude des facteurs qui ont poussé Doubrovsky et Sarraute à choisir cette écriture est intéressante.

Regard bref surEnfance

En lisant l’incipit de Enfance, une question frappe l’esprit : il s’agit d’une narration des « souvenirs d’enfance », autrement dit d’une autobiographie :

« - Alors, tu vas vraiment faire ça ? « ةvoquer tes souvenirs d’enfance » ...Comment ces mots te gênent, tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les seuls mots qui conviennent. Tu veux « évoquer tes souvenirs »... il n’y a à tortiller, c’est bien ça. » [2]

De plus, le texte est en accord avec les critères dégagés par Philippe Lejeune dans Le Pacte autobiographique : « je » présente en même temps l’auteur qui écrit le livre, le narrateur qui raconte le récit et le personnage principal. Il faut ajouter que le récit s’adapte au « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » [3]

C’est en particulier pour ces détails que de nombreux critiques ont accueilli ce récit comme une autobiographie. Mais ce n’est pas l’idée de Sarraute elle- même. Elle n’aime pas ce genre littéraire et ne peut s’en satisfaire : « Je ne les (autobiographies) aime pas en tant que genre littéraire, déclare-t-elle, car ce qui ressort pour moi, ce n’est pas la vie ou le caractère de l’écrivain, mais ce qu’il veut montrer lui-même ; cela me passionne toujours qu’on projette au-dehors, je crois qu’on ne peut pas parler très sincèrement de soi- même. » [4]

Nathalie Sarraute

Sarraute évite l’autobiographie parce qu’elle n’arrive pas à s’assurer de l’authenticité et de l’exactitude de l’histoire de son enfance. Ainsi, elle tente de créer dans Enfance un monde différent de tous les écrits qui s’inscrivent dans le genre autobiographique. Dans cette voie, la première démarche de l’auteur est le dédoublement de la voix narratrice. Cela donne au texte une caractéristique dialoguée. Nous entendons deux voix qui racontent les souvenirs ; l’une parle, l’autre questionne, critique et corrige. Elles savent tout : « C’est ce que j’avais prédit » [5], « Elle serait apparue si tu étais de ceux qui ont le don de conserver des souvenirs remontant très loin [...] » [6], « C’est à peu près à ce moment qu’il est entré dans ta vie, et n’en est plus sorti, cet autre livre : Le prince et Le pauvre » [7], « C’est un des rares moments de ton enfance dont il t’est arrivé parfois, bien plus tard, de parler... » [8], « Jamais il ne t’est arrivé d’en vouloir à quelqu’un comme à ce moment-là tu en as voulu à Lili. » [9], « Jamais au cours de ta vie aucun des textes que tu as écrit ne t’a donné un pareil sentiment de satisfaction, de bien-être... Peut-être, plus tard, encore un autre devenir, celui sur les jouets... » [10], « Ta rage contre toi-même... c’était au lycée Fénelon... quand pour la première fois Monsieur Georgin, en regardant les versions latines, t’a dit : “Mais que s’est-il passé ? Vous êtes...”était-ce troisième ou seconde ?... » [11], « Tu te souviens de Miss Philips, rencontrée bien plus tard... » [12], etc. Ces phrases ne présentent qu’une chose : l’omniscience du double. Ce système est l’invention de Sarraute. Il fait obstacle à la narration prise comme simple unité narrative. Dominique Denès l’explique bien : « Cette omniscience fait qu’il (le double) ne s’en laisse pas conter, ce qui le dote de deux fonctions : guider la remémoration et critiquer la formulation quand elle paraît inadéquate, abusive ou anarchique. Augmentateur du texte et garant de son authenticité, ce double est donc bel et bien l’auteur du texte au plein sens du terme auctor et conformément à son étymologie. » [13]

Cette première originalité de l’écriture sarrautienne s’inscrit dans sa séparation avec l’autobiographie.

Il n’existe pas de fil central dans le récit, mais chacune des parties de l’écriture discontinue et fragmentée d’Enfance conduit le lecteur à découvrir l’un des souvenirs de la petite fille abandonnée, Natacha : des vacances passées avec son père en Russie (p. 10-18), ses jouets : la poupée et l’ours Michka qui ressemblent à Maman (p. 49-50), la vie sans Maman et les souvenirs de l’école (p. 111-275), par exemple. Nous pouvons classer cette cascade de souvenirs sous trois rubriques temporelles : de l’âge de deux ans à près de six ans et demi (des allés et venues enter Paris et la Russie, entre Papa et Maman/Kolia), de six ans à huit ans et demi (les souvenirs de la vie avec, Papa/Vera ou Maman/Kolia), et à partir de huit ans et demi jusqu’à douze ans (définitif abandon maternel et le commencement d’une vie indépendante).

Et au centre primordial de tous ces souvenirs, il n’est qu’une chose : les tropismes. En 1956, dans la préface de L’Ere du soupçon, Sarraute les définit : « Ce sont des mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience […] Ils me paraissaient et me paraissent encore constituer la source secrète de notre existence. » [14] A première vue, Enfance apparaît différente des études antérieures de Nathalie Sarraute. Cependant, ce livre s’inscrit bien dans la ligne de cette innovation sarrautienne. Les souvenirs et les détails cités par les deux voix (« je » et conscience) trouvent une valeur dépassant la simple remémoration. D’ailleurs, la mémoire involontaire est le phénomène central des tropismes. Ainsi, nous voyons Sarraute, située à l’intérieur de l’enfance, qui narre les actions, les sentiments, les pensées (positives ou négatives) générés par le monde extérieur. Le paragraphe suivant explique les tropismes dans Enfance : « Nathalie Sarraute suit l’ordre et l’importance qu’ont les événements dans la mémoire. Le temps est traité à rebours de la chronologie réaliste, et cela pour mieux adhérer à la perception enfantine. La durée des événements n’est pas objective mais subjective, retracée de l’intérieur. Un fait aussi minime soit-t-il, peut prendre une grande place dans la mémoire en fonction de ce que l’enfant a ressenti. » [15]

Par exemple, cette phrase très courte excite la mémoire d’une soirée où participent des amis de son père : « Ton père est intelligent… » [16]. Toutes les phrases piquantes prononcées par la mère, par Vera ou par les bonnes suscitent les sentiments amers qui trouvent leurs racines dans l’enfance. Quand à l’écrivain, Nathalie Sarraute croit qu’il lui faut essayer de soutenir l’originalité des émotions, de les transmette intactes et vivantes. C’est tout le travail de l’écrivain.

Eléments autofictionnels de Enfance

L’autofiction apparaît sous la plume de Serge Doubrovsky en 1977, pour qualifier son Fils : « Autobiographie ? Non. C’est un privilège réservé aux importants de ce monde au soir de leur vie et dans un beau style. Fiction d’événements et de faits strictement réels. Si l’on veut, autofiction, d’avoir confié le langage d’une aventure à l’aventure du langage. » [17]

Ainsi, la première caractéristique de l’autofiction est qu’elle vise les vies ordinaires. D’autre part, l’auteur autofictionnel n’ayant pas à authentifier son récit, la voie s’ouvre à la fiction. En créant ce genre nouveau, Doubrovsky s’est mis hors du pacte autobiographique. Pour lui, « l’autofiction est d’abord un avatar de l’autobiographie, un moyen pour résoudre certaines difficultés propres à l’écriture de soi. » [18]

Ce premier trait attribué à l’autofiction se retrouve aussi dans Enfance de Sarraute. L’écrivain raconte à sa façon les mémoires de son enfance, période vécue par tout le monde, et sans trait distinctif. Natacha, autoportrait de Sarraute, est une fillette comme les autres, possédant les mêmes traits : la petitesse, la dépendance, la préférence du jeu, l’imagination, la peur, etc. Nous pouvons donc parler d’un « enfant universel » [19], c’est-à-dire une enfant ordinaire. Elle a une vie tout à fait ordinaire, elle est abandonnée par sa mère et vit dans sa solitude.

Le deuxième critère de l’autofiction est le respect de l’authenticité des événements réels : elle est un récit vrai. Ainsi que nous le voyons dans Fils de Doubrovsky, le texte possède des indices référentiels : un récit « d’événements et de faits strictement réels ». Les quatre-cents premières pages de Fils ne sont que des souvenirs d’enfance, ou d’amours passées. L’auteur jette un regard critique sur son passé : « En bonne et scrupuleuse autobiographie, tous les faits et gestes du récit sont littéralement tirés de ma propre vie ; lieux et dates ont été maniaquement vérifiés (…) noms, prénoms, qualités (et défauts), tous événements et incidents, toutes pensées, Est-ce la plus intime, tout y (est) mien. » [20]

Donc, l’autofiction trouve ses sources dans la vie réelle. Quand à Enfance, il faut signaler que Natacha est l’image de l’enfance de Nathalie Sarraute, âgée de quatre-vingt-quatre ans. Quelques brefs caractères physiques de Natacha, cités dans les pages du récit (p. 129, 270, 224) nous renvoient vers l’image de l’écrivain. A ces ressemblances physiques, il faut ajouter la timidité, l’imagination, la solitude, la passion littéraire et l’écriture, communes à l’auteur et à son personnage. Le texte est donc véritablement une plongée dans le passé de Nathalie et le récit se nourrit de la vie réelle de l’auteur. C’est vrai que le personnage principal ne se nomme pas Nathalie, mais la ressemblance phonique entre Nathalie et Natacha résout le problème homonymique : la mère la nomme Natacha, le père, Tachok. Après l’école républicaine française où on la prénomme Nathalie, après avoir été la fille du père russe en exil, Tcherniak, elle épouse l’avocat Sarraute, et devient Nathalie Sarraute, Enfance est le récit du passage de Natacha Tcherniak à Nathalie Sarraute. [21]

Ce caractère référentiel et l’écriture de l’histoire de la vie de soi-même font allusion au genre autobiographique. Quelle le caractéristique dégage ces textes de ce genre et les classe dans la catégorie autofictionnelle ?

Le troisième et le plus important trait de l’autofiction est l’aspect formel, qui rassure le statut fictif de l’autofiction. Dans Fils, Doubrovsky constitue son mythe personnel, à plusieurs niveaux sur le rêve et la réalité [22] ; c’est un exemple de fictionnalisation de soi. En justifiant son projet, il y parle du « langage d’une aventure », l’aventure d’une vie tracée par l’écriture. Tous les événements de Fils sont évoqués en une seule journée. Ainsi, le fil chronologique des faits biographiques n’est pas respecté. Le récit trouve son pouvoir dans le langage. Doubrovsky déclare : « L’autofiction, c’est la fiction que j’ai décidée, en tant qu’écrivain, de me donner à moi-même et de moi-même, en y incorporant, au sens plein du terme, l’expérience de l’analyse, non point seulement dans la thématique, mais dans la production du texte. » [23] Ainsi, sous l’égide de l’écriture, l’exactitude des événements réels se détache du genre autobiographique.

Le « langage d’une aventure » se cantonne au style de l’auteur, à la forme. A l’aide du langage, des « événements et [des] faits réels » trouvent leur place dans l’univers fictif du récit. Ce langage donne au texte une forme romancée. Il est capable de créer cet univers où l’auteur situe son autoportrait. A ce propos, Doubrovsky affirme : « Dans mes ouvrages tout a été vécu, la matière est le réel, seulement le réel (rien n’est inventé) ; c’est l’écriture qui transforme cette matière brute ; l’autofiction est d’abord un exercice de style, une mise en forme expérimentale du réel par le langage (voir certaines dispositions typo- graphiques originales dans ses ouvrages, etc.). » [24]

Il insiste sur la tâche que la fiction de l’écrivain doit accomplir à travers l’imaginaire de son langage, sur la base des besoins de son inconscient et les nécessités du monde qu’il veut créer.

Cette importance attribuée au langage est également à remarquer dans Enfance de Sarraute. Elle explique ainsi sa tentative : « J’ai eu envie, simplement, de faire revivre quelques instants qui étaient généralement animés de ces mouvements que je cherche toujours à saisir, parce que c’est eux seuls qui donnent un certain rythme, un certain mouvement à mon écriture et qui donnent l’impression… qu’elle vit, qu’elle reprise. » [25]

Par l’intermédiaire de Natacha, nous envisageons le projet sarrautien à l’égard du langage. Cette fillette bilingue, qui vit dans sa solitude, écoute bien les paroles des autres et les garde comme « un paquet enveloppé » [26]. A la suite de l’absence d’une mère écrivain, au milieu des livres, la sensibilité de l’enfant tend son esprit au pouvoir incontestable des mots. Sarraute ne cherche que les effets des paroles reçues de la mère, du père, voire des bonnes. Enfance n’est pas la narration de l’histoire d’enfance d’une petite fille, mais de « la genèse de l’écrivain » [27]. La pratique de l’écriture chez Sarraute consiste à remettre en question l’image de l’écrivain. Cela nous conduit vers le tropisme qui crée un soi, qui s’affirme et se nie en même temps. Il faut ajouter que « l’écriture de Enfance se rattache à l’autofiction doubrovskyenne : l’autobiographie classique restait une pratique de type confessionnel où la vérité sur soi ne se jauge qu’en fonction d’un idéal moral […] » [28].

En insérant un dialogue entre deux narratrices, Nathalie Sarraute brise les cadres définis de la notion de genre. Au lieu du passé simple pour raconter des événements antérieurs, elle utilise le présent afin de donner au récit une couleur vivante du présent. Les tropismes assurent la liberté d’écriture de l’écrivain : les mots échangés dans les dialogues, la plupart du temps courts et suivis de points de suspension, donnent à l’écrivain le pouvoir de contrôler le processus du récit. A travers des replis, des reculs, des affirmations et des révoltes provoqués par l’une des narratrices, Sarraute évoque petit à petit son enfance.

La dernière caractéristique, c’est l’inconscient, autre différence marquante entre l’autobiographie et l’autofiction. A ce propos, dans son article « L’autofiction », Laurent Jenny écrit : « Le sujet de l’autobiographie entend placer sa parole et son histoire sous le contrôle de sa conscience. A l’inverse, l’autofiction serait en somme une autobiographie de l’inconscient, où le moi abdique la volonté de maître et laisse placer le ça. » [29] L’autofiction résout la question de l’oubli et en général, les problèmes liés à la mémoire. Dans son Fils qui n’est pas écrit « dans un style beau », en utilisant des expressions simples, des phrases très courtes et une ponctuation lâche, dans un langage libre et individuel, Doubrovsky peint son image. Ce langage, à travers duquel un torrent de détails subtils sont cités, nous fait penser à l’inconscient. L’auteur présente son histoire comme une séance d’analyse où son Moi se met à parler.

L’écriture autofictionnelle est donc d’inspiration psychanalytique. Cette écriture permet à l’auteur de parler de soi sans souci de censure. Ainsi, l’autofiction se débarrasse d’un style beau et admirable puisqu’« il suffit juste de savoir s’abandonner entièrement à l’ivresse de l’écriture sans même chercher à se relire […]. » [30]

La phrase finale de Enfance présente ainsi comment Nathalie Sarraute s’appuie sur le mémoire involontaire :

« Je ne pourrais plus m’efforcer de faire surgir quelques moments, quelques mouvements qui me semblent encore intacts, assez forts pour se dégager de cette couche protectrice qui les conserve, de ces épaisseurs blanchâtres, molles, ouatées qui se défont, qui disparaissent avec l’enfance… » [31]

Afin de transcrire l’aspect originel de son écriture, les tropismes, l’auteur s’appuie sur la mémoire involontaire qui justifie la discontinuité des fragments. La succession des chapitres trouve sa source dans l’association d’idées : « Cette soumission à l’arbitraire de l’inconscient introduit par l’anarchie dans des mouvements pourtant globalement chronologiques. » [32] Par exemple, le chapitre 9, qui met en scène des souvenirs de la maison natale, c’est-à-dire l’âge de deux ans, devrait se situer au début du livre ; mais il est chapitre 9 puisque c’est les souvenirs du chapitre précédent qui les ont suscités. La brièveté des chapitres, dont certains ne couvrent qu’une demi page (31,38), met aussi en évidence le caractère involontaire des mémoires, parce qu’un petit détail peut révéler une mémoire, mais rien n’assure sa profondeur et sa durée. Il est possible qu’elle s’efface rapidement et qu’il n’en reste que quelques mots ou sentiments fragiles. La mémoire du « repas supplémentaire » [33] qui n’est qu’une assiette remplie « de macaronis dorés et luisants de beurre frais » [34] évoque le mauvais mais fragile sentiment d’être jugée gourmande par Véra.

Nous avons révisé brièvement les caractéristiques de l’autofiction selon Doubrovsky et nous les avons cherchés ensuite dans Enfance de Sarraute. Une question reste : pourquoi les deux écrivains ont choisi l’autofiction comme cadre de leur travail ?

Pourquoi l’autofiction ?

En 1977, le néologisme de Doubrovsky offre à la littérature le terme "autofiction" à l’aide duquel la fictionnalisation de soi se démarque dans l’univers littéraire. Serge Doubrovsky, qui connaît bien la classification des « écrits de soi » insérée dans Le Pacte autobiographique de Philippe Lejeune, crée son Fils. Dans une lettre à ce dernier, Doubrovsky écrit : « J’ai voulu profondément remplir cette case que votre analyse laisse vide, et c’est un véritable désir qui a soudain lié votre texte critique et ce que j’étais en train d’écrire. » [35]

En écrivant son Fils, Doubrovsky se décide à donner naissance à un genre nouveau. Cette décision nous paraissait bizarre, parce que nous savons que nous ne pouvons jamais déterminer une date définitive à la naissance d’un genre. Ce qu’il importe c’est qu’"il n’est pas question pour l’auteur de s’inventer une existence originale ; il s’agit simplement de modifier, d’adapter le registre autobiographique pour le rendre apte à véhiculer un propos qui se veut totalement inédit, en l’occurrence une vision incendiaire de la société et du travail." [36] Cela signifie que la nécessité impérieuse de la création littéraire conduit l’écrivain à élaborer un territoire convenable. L’autofiction permet à Doubrovsky de faire face à un moment particulier de sa vie. Il a envie de préparer un genre où il peut parler de soi dans un cadre fictif. Selon Isabelle Grell, en écrivant l’autofiction, Serge Doubrovsky essaie de nous empoisonner et de « laisser de traces de lui en nous. » [37] Elle ajoute : « [il] cherche à renvoyer ses mots en s’insinuant par le biais d’une écriture autofictionnelle en son lecteur. » [38]

Quand à Nathalie Sarraute et en l’occurrence de son Enfance, il faut chercher les raisons de la présence de l’autofiction dans l’esprit créateur de l’auteur. Elle tente de créer son propre système langagier. Les qualités et les capacités du pays de fiction lui offrent les possibilités et les occasions qui aident l’auteur à se présenter dans un style exemplaire. Le dédoublement de narratrice, l’association involontaire d’idées, la discontinuité du récit, etc. fournissent un cadre à Sarraute pour se dégager des problèmes ordinaires de l’autobiographie. A vrai dire, elle cherche parmi les souvenirs d’enfance sa véritable identité. Ainsi, elle situe ce récit dans la voie qui aboutit toujours aux tropismes. Elle exploite les libertés de l’autofiction afin de citer l’importance qu’ont les faits et les effets des sentiments dans la mémoire. Ainsi, elle écrit dans le dernier paragraphe du livre que « je m’efforce de faire surgir quelques moments, quelques mouvements qui [lui semble] intacts […] » [39]

Bibliographie :
- Bouhadid, Nadia, L’aventure scripturale au cœur de l’autofiction dans Kiffe Kiffe demain de Faiza Guène, Université Mentouri, Constantine, Magistère en science des textes littéraire, en ligne
- Colonna, Vincent, L’Autofiction (Essai sur la fictionnalisation de soi en littérature), II tomes, doctorat de l’EHESS sous la direction de Gérard Genette, 1989 (microfiches n° 5650, ANRT, 1990), inédite à ce jour.
- Denès, Dominique, Nathalie Sarraute Enfance, Paris, Ellipses, coll. Résonances, 1999.
- Lejeune, Philippe, Le Pacte autobiographique, Paris, Le Seuil, 1975.
- Keltoum, Melle Soualah, L’écriture autofictionnelle au secours d’une identité éclatée dans l’Interdite de Malika Mokeddem, Mémoire élaboré en vue de l’obtention du diplôme de Magistère, sous la direction de Dr. Rachida Simon, Université de M’sila, année 2008-2009.
- Michineau, Stéphanie, L’Autofiction dans l’œuvre de Colette, Thèse pour l’obtention du doctorat de littérature française sous la direction de Madame Michèle Raclot, Université du Maine-U. F. R. de Lettres, juin 2007.
- Mounia, Belguechi, Romain Gary ou la multiplicité de soi, Du roman autobiographique au roman autofictionnel dans La promesse de l’aube et La vie devant soi, Mémoire de Magister sous la direction du Docteur Nedjma Benachour, l’Université Mentouri, Constantine, novembre 2006.
- Sarraute, Nathalie, Enfance, Paris, Gallimard, 1983.
-Lire, juin 1983, no. 94.
-Le Magazine littéraire no. 409, Mai 2007.
-Le Magazine littéraire no. 196. Juin 1983. Nathalie Sarraute.
-Le Monde, 4 avril 2003, « L’autofiction, genre litigieux », de Michel Contat.
-La Revue de Téhéran no. 23.

Articles :
- Cresciucci, Alain, « Le roman au XXe siècle : Dernières nouvelles du personnage », Université de Rouen, Mars 2008.
- Fautrier, Pascale, « Autofiction et construction de soi : les Yeux largement fermés », en ligne http://www.magma.analisiqualitativa.com/
- Genon, Arnaud, « De quoi l’autofiction est-elle le nom ? », Conférence prononcée à l’Université de Lausanne, le 9 octobre 2009.
- Grell, Isabelle, « Pourquoi Serge Doubrovsky n’a pas évité le terme d’AUTOFICTION », Genèse et Autofiction, collaboratrice avec Catherine Viollet et Jean-Louis Jeannelle (dir.), actes du colloque du 4 juin 2005 à l’ENS, Ed. Académie Bruylant, 2007.
- Jenny, Laurent, « L’autofiction », Université de Genève, 2003.
- Legune, Brigitte, « Réflexion sur le roman contemporain français ; une littérature de rupture", Université Nationale d’éducation à distance.
- Montremy, Jean-Maurice, « L’Aventure de l’autofiction », Magazine littéraire, no 409, mai 2007.
- Mounir, Laouyen, « L’Autofiction, une réception problématique », Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand II), 1999.
- Robin, Régine, « L’auto-théorisation d’un romancier : Serge Doubrovsky », Etudes françaises, vol. 33, no1, 1997.

Sites consultés :
- www.fabula.org/forum/colloque99/PDF/Laouyen.pdf
- www.fabula.org/forum/colloque99/208.php#FM31
- www.erudit.org
- www.mémoireonline.com
- www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/autofiction/afintegr.html#afsommar
- www.weblettres.net/spip/article.php3?id_article=736
- fr.wikipedia.org/wiki/Autofiction

Notes

[1S. Doubrovsky, Un Amour de soi, Paris, Hachette, 1982, p. 74.

[2N. Sarraute, Enfance, Paris, Gallimard, 1983, p. 7.

[3P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, Paris, Le Seuil, 1975, p. 13-14.

[4Cité par D. Denès, Nathalie Sarraute, Enfance, Paris, Ellipses, 1999, p. 13.

[5N. Sarraute, Op. cit., p. 41.

[6Ibid., p. 43.

[7Ibid., p. 78-79.

[8Ibid., p. 85.

[9Ibid., p. 186.

[10Ibid., p. 213.

[11Ibid., p. 217.

[12Ibid., p. 263.

[13D. Denès, Op. cit., p. 29-30.

[14N. Sarraute, L’Ere du soupçon, Paris, Gallimard, 1956, p. 10.

[15La Revue de Téhéran, no. 23

[16N. Sarraute, Op. cit., p. 194.

[17Cité par B. Mounia, Romain Gary ou la multiplicité de soi Du roman autobiographique au roman autofictionnel dans La promesse de l’aube et La vie devant soi, Mémoire de Magister Sous la direction du Docteur Nedjma Benachour l’Université Mentouri, Constantine, novembre 2006, p. 21.

[18V. Colonna, Essai sur la fonctionnalisation de soi en littérature, EHESS, 1989, p. 18.

[19D. Denès, Op. cit., p. 60.

[20Cite par V. Colonna, Ibid., p. 18.

[21Regarder l’autobiographie de Nathalie Sarraute

[22Cf. “Pourquoi Serge Doubrovsky n’a pas évité le terme d’autofiction” Isabelle Grell en ligne :http://www.autofiction.org/index.php?post/2008/10/15/Pourquoi-Serge-Doubrovsky-na-pu-eviter-le-terme-dautofiction.

[23Cité par B. Mounia, Op. cit., p. 19.

[24Cité par N. Bouhadid, L’aventure scripturale du cœur de l’autofiction dans Kiffe Kiffe demain de Faiza Guène, Université Mentouri, Constantine – Magistère en science des textes littéraires.

[25Cité in La Revue de Téhéran, no. 23.

[26N. Sarraute, Op. cit., p. 95.

[27P. Fautier, « Nathalie Sarraute, Autofiction et construction de soi : Les Yeux largement fermés », en ligne : http://www. Magma.analisiqualitativa.com/

[28Ibid.

[30N. Bouhadid, Op.cit.

[31N. Sarraute, Op.cit., p. 277.

[32D. Denès, Op.cit., p. 26.

[33N. Sarraute, Op.cit., p. 148.

[34Ibid.

[35Lettre du 17 octobre 1977, cité par N. Bouhadid, Op. cit., deuxième partie, chapitre 1.

[36V. Colonna, Op. cit., p. 27.

[37I. Grell, Op. cit.,, p. 12.

[38Id.

[39N. Sarraute, Op. cit.,, p. 277.


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