N° 67, juin 2011

Entretien avec Amir Hossein Heshmati
A l’occasion de sa prochaine exposition de photos : Les kâsheh de Ghareh-dâgh


Djamileh Zia


Amir Hossein Heshmati connaît les montagnes Ghareh-dâgh rocher par rocher, pour s’y être rendu régulièrement depuis trente sept ans. Et il nous montre dans ses expositions les beautés de cette région d’Alborz depuis qu’il s’est mis sérieusement à la photographie. L’un des phénomènes naturels qu’il a découvert et photographié est le kâsheh, nom qui désigne la fine couche de glace sur l’eau. Il a l’intention d’exposer ses photos du 17 au 22 juin 2011, à la Galerie Shirin à Téhéran. [1]

Les montagnes Ghareh-dâgh au printemps. La maison située en bas des montagnes est celle d’Amir Hossein Heshmati

Djamileh Zia : M. Heshmati, merci de nous donner quelques explications sur le kâsheh et sur Ghareh-dâgh.

Amir Hossein Heshmati : "Kâsheh" est le nom de la fine glace qui se forme à la surface de l’eau, et Ghareh-dâgh est le nom d’un ensemble de montagnes de 4000 mètres d’altitude situées dans la chaîne Alborz, entre la ville de Damâvand et la région Aminâbâd de Firouzkouh. Ghareh signifie « noir » et dâgh signifie « rocher » en turc.

DZ : Les montagnes Ghareh-dâgh sont tout près de votre propriété, qui s’appelle Kangelaan. [2]

AH : Oui. Ces montagnes sont situées en haut de Kangelaan. Je m’y promène très souvent, et je photographie les différents phénomènes naturels que je découvre. Le kâsheh est l’un de ces phénomènes. Il n’apparaît que quelques semaines dans l’année, à la fin de l’hiver et au début du printemps. Au cours de cette période, la différence de température entre le jour et la nuit est très importante du fait de l’altitude élevée. Dans ces conditions, l’eau résultant de la fonte des neiges, qui ruisselle dans les vallées, commence à geler à partir du coucher du soleil. La glace s’épaissit progressivement au cours de la nuit et le lendemain, avec la chaleur du soleil, elle fond progressivement par en-dessous alors que la surface de l’eau reste gelée. Il y a donc deux périodes dans la journée où l’on voit une mince couche de glace alors que l’eau coule en-dessous d’elle.

DZ : C’est comme quand les rivières et les lacs gèlent.

AH : Pour que les rivières et les lacs gèlent, il faut qu’il fasse très froid. C’est le cas par exemple en Sibérie. A Ghareh-dâgh, il ne fait pas si froid, et c’est juste les petites coulées d’eau dans les vallées qui gèlent de cette manière. J’ai pris des photos à des moments où la glace commence brusquement à se former le soir, ou quand elle est sur le point de disparaître le matin.

DZ : Ce sont donc les périodes charnières qui vous intéressent.

AH : Oui, parce que la glace entièrement formée est épaisse et homogène. Par contre, au cours du processus du gel et du dégel, la glace prend des formes multiples. Ce sont ces formes qui m’intéressent. Certaines d’entre elles ressemblent à des êtres humains, d’autres sont comme des aiguilles ou comme des perles, etc. Sur les photos que j’ai prises le matin, on voit par endroits le reflet de la lumière du soleil sur la glace…tout cela est beau.

Amir Hossein Heshmati dans la « Little House of Arts »

DZ : Vous prenez vos photos avec des lentilles qui permettent de grossir les détails, n’est-ce pas ?

AH : Oui. J’ai pris ces photos avec une lentille Macro. Ce sont les détails qui m’intéressent et pour les capturer, je dois être très proche de ce que je veux prendre en photo.

DZ : Comment faites-vous en pratique ? Vous allez vous assoir pendant des heures dans ces vallées, en haute montagne ?

AH : Oui. Je m’assois et j’attends. Il fait très froid dans ces montagnes. Parfois, il faut mettre le trépied, ou s’agenouiller dans la neige ; bref, ce n’est pas facile. Certains jours, je ne trouve rien d’intéressant à photographier, mais d’autres jours, quand j’y vais, il se passe quelque chose et je fais de belles découvertes.

DZ : Cela demande une grande patience.

AH : Oui, il faut être très patient. Il faut savoir attendre longtemps, et je pense qu’il faut être dans un état d’esprit particulier pour trouver l’image qui convient. Pour moi, c’est comme la méditation zen.

DZ : Vous voulez dire que quand vous prenez ces photos de la nature, vous êtes en méditation ?

AH : Oui, en quelque sorte. Il faut que mon esprit soit prêt à découvrir ces choses dans la nature, parce que sinon, je passerai à côté d’elles sans les voir.

DZ : Ce que je trouve intéressant, c’est que depuis plusieurs années, vous prenez vos photos dans ces mêmes montagnes, et vous y avez découvert des phénomènes naturels que d’autres gens n’ont probablement pas observés.

AH : C’est vrai. J’ai embauché quelques personnes natives du village situé près de Kangelaan pour les travaux d’agriculture dans ma propriété, parce que j’y ai planté des arbres fruitiers. Quand je leur montre les photos que je prends, ils me disent qu’ils ne savaient pas qu’il se passait tant de choses près de chez eux. J’ai découvert là-bas beaucoup d’autres phénomènes que je veux photographier plus tard.

Photos de kâsheh prises par Amir Hossein Heshmati

DZ : Quoi par exemple ?

AH : Par exemple les flocons de neige qui tombent sur une surface un peu glacée. Comme vous le savez, les flocons de neige ne se ressemblent pas ; la neige ne fond pas quand elle tombe sur la glace, et les photographier dans cette condition permet de montrer les formes qu’ils ont. Un autre de mes projets est de photographier les algues quand elles sont gelées, parce qu’elles prennent alors des formes très intéressantes.

DZ : Nous sommes ici dans la « Little House of Arts », que vous avez fondé il y a deux ans. Merci de nous en dire quelques mots.

AH : Cette « Petite Maison des Arts » est en fait mon atelier de travail. J’accroche aux murs des agrandissements des photos que j’ai prises, pour pouvoir les regarder et sentir l’effet qu’elles auraient sur les visiteurs de mes expositions, parce que voir les photos sur l’écran de l’ordinateur ou sur un papier en format A4 n’est pas suffisant pour moi. J’y garde aussi les œuvres d’art que j’achète. Des artistes viennent aussi de temps en temps ici, et nous avons des échanges.

DZ : Vous êtes ingénieur en électronique. Pensez-vous qu’il y a un rapport entre votre activité professionnelle et vos photographies ?

AH : Je vais vous répéter ce que l’un de mes professeurs disait toujours. Quand j’étais en maîtrise, l’un de mes professeurs, un érudit – il faisait partie de l’équipe qui avait inventé le transistor - me disait qu’une université de haut rang était une université qui excellait non seulement en sciences, mais en art et en littérature aussi. Pour lui, chaque être humain devait faire son possible pour ressembler à une université de haut rang, c’est-à-dire qu’il devait tenter d’acquérir des connaissances dans plusieurs domaines scientifiques et artistiques.

DZ : Vous avez fait vos études aux Etats-Unis, n’est-ce pas ?

AH : Oui. Et je suis d’accord avec ce que mon professeur disait. Quand je faisais mes études, j’ai suivi des cours optionnels sur la musique et les religions. Je pense qu’il est important de s’enrichir intérieurement quel que soit le travail que l’on fait, et un moyen d’y parvenir est de connaître différents domaines scientifiques, artistiques, sportifs, etc. Je connais par exemple un médecin oncologiste qui possède une bibliothèque dans son cabinet ; il a décoré son cabinet avec des reproductions des œuvres de grands peintres, et il est juge dans les tournois de karaté. Tout cela a certainement une influence sur sa relation avec ses patients, qui sont d’ailleurs très satisfaits de lui.

DZ : Oui, avoir des activités dans des domaines différents est une richesse. Mais revenons à votre prochaine exposition. Elle aura lieu à la Galerie Shirin.

AH : Oui. La Galerie Shirin est une maison ancienne avec un haut plafond. Cela me permettra d’y exposer de très grandes photos.

DZ : Pourquoi de très grandes photos ?

AH : Parce que j’ai envie que les gens voient les beautés de la région de Ghareh-dâgh. J’ai envie de transmettre mes expériences de photographe et de faire connaître cette région, que je trouve très belle.

DZ : Vous pourriez aussi faire un livre avec vos photos, pour les montrer à plus de gens. [3]

AH : Tout à fait. Je pense d’ailleurs faire un livre sur les photos que j’ai prises à Ghareh-dâgh.

DZ : M. Heshmati, merci beaucoup d’avoir accordé cet entretien à la Revue de Téhéran.

AH : Merci à vous.

Notes

[1L’exposition « Les kâsheh de Ghareh-dâgh » aura lieu du 17 au 22 juin 2011 à la Galerie Shirin, à l’adresse suivante : Téhéran, Farmâniye, boulevard Andarzgoo, avenue Salimi nord, n° 145.

[2Prononcez « Kanguélân ».

[3Pour voir les photos d’Amir Hossein Heshmati vous pouvez consulter son site personnel à l’adresse suivante : www.amirhosseinheshmati.com. Par ailleurs, un article sur une autre exposition de photos d’Amir Hossein Heshmati a été publié dans le n°48 (novembre 2009) de la Revue de Téhéran.


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