N° 67, juin 2011

Borges, l’homme des symboles et de la simplicité linguistique
"Une fois écrit, le texte est déjà loin de moi"*
(II)


Farzâneh Pourmazâheri

Voir en ligne : Jorge Luis Borges, l’éloge de l’imagination, de la mémoire et de l’oubli…


L’écriture de Borges est un ensemble de clés et de codes secrets à déchiffrer à l’infini, que chaque lecteur est libre d’interpréter selon sa propre compréhension. Selon Borges, une fois écrit, le texte n’appartient plus exclusivement à son créateur ; il s’éloigne de lui, car il s’adresse désormais à la compréhension du lecteur. Il écrit seulement à partir d’une nécessité puisant ses sources dans l’intimité de sa propre existence, sans prendre en compte la moindre raison extérieure. Il s’efforce seulement d’exprimer ce qu’il a en lui, de la manière la plus simple : "Je ne pense ni du XVIIe siècle, ni du XXe, mais j’essaie d’exprimer ce que je veux et j’essaie de le faire avec des mots habituels. C’est une erreur de supposer que tous les mots du dictionnaire peuvent être utilisés. Il y en a beaucoup qui ne sont pas pratiqués". [1]

A titre d’exemple, il fait allusion à trois mots du dictionnaire ayant apparemment un sens semblable : azulado [2], azulino, azuloso. Le mot azulado le plus courant, c’est le mot commun que connaît le lecteur. Mais si on choisit à la place azuloso ou azulino, cela devient un mot décoratif et "c’est comme si", dit Borges, "je mettais une tâche azurée sur la page !" [3]

Ainsi, en penchant vers la simplicité, il insiste sur l’importance de l’emploi d’un vocabulaire compréhensible par tous.

Dans ce sens-là, il s’oppose aux écrivains qui emploient toute leur rhétorique pour convaincre leur lecteur, c’est à dire ceux qui écrivent dans un style baroque. Le baroque, comme l’observe Borges, n’est pas capable de créer un lien entre l’auteur et le lecteur, précisément parce que cet art est un exercice de vanité.

Ce point de vue, c’est-à-dire la défense de la simplicité du lexique, n’empêche pas d’admettre que Borges aurait pu être un écrivain difficile, justement parce qu’il a passé son enfance dans la bibliothèque de son père, lieu regorgeant de nouveau vocabulaire et de fantaisie littéraire.

Il lisait beaucoup Jules Vernes, Kipling, Stevenson. Il est également entré dans l’univers des Mille et une Nuits raconté par Shéhérazade. Il lisait ces œuvres et beaucoup d’autres sans forcément les comparer ou en faire une lecture critique. Cependant, elles contribuaient à élargir son monde intérieur. Borges est un véritable maître en littérature, capable d’exposer une image claire des cultures et des œuvres majeures. Toutefois, il n’apprécie pas toujours les grands classiques adulés par la majorité des lecteurs. Dans la culture allemande, par exemple, il ne montre pas beaucoup d’intérêt pour l’œuvre de Goethe : il n’admire pas Faust, même si Les Elégies Romaines sont tout de même selon lui dignes d’appréciation. Il va même jusqu’à soutenir que loin d’être le chef-d’œuvre de Goethe, Faust est même une erreur : "Je pense aux Elégies de Goethe et à Goethe et même si je ressens de l’affection pour lui, je peux comprendre ses erreurs." [4] Concernant la culture française, Borges la considérait comme les plus florissantes et les plus riches. Chaque pays se distingue selon lui par un écrivain plus remarquable que les autres : l’Espagne avec Cervantès, l’Angleterre avec Shakespeare ; l’Allemagne avec Goethe. Mais, dans le cas de la France, il précisait qu’il se trouvait face à une grande liste des œuvres et qu’il lui était impossible de choisir un seul auteur...

* Entretien avec Jorge Luis Borges réalisé par M. Mostaza et télévisé pour la Télévision Espagnole en 1976 traduit et transcrit de l’espagnol en français.

Notes

[1Ibid.

[2bleuté(e), bleuâtre

[3Entretien avec Jorge Luis Borges réalisé par M. Mostaza et télévisé pour la Télévision Espagnole en 1976 traduit et transcrit de l’espagnol en français.

[4Ibid.


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