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Avant la guerre 1980-88 :
Khorramshahr au cœur de l’histoire iranienne des deux derniers siècles
Dânesh Mo’tamedi
Traduction :
Après l’assassinat de Nâder Shâh (dynastie Afshâride) en 1747 et la mort de Karim Khân (dynastie des Zends) en 1779, le chaos et le désordre régnèrent longtemps dans les régions limitrophes du Golfe persique et de la mer d’Oman. Aghâ Mohammad Khân, un officier de l’armée des Zends, fonda la dynastie qâdjâre (1794-1925). Sous le règne de son successeur, Fath ’Ali Shâh, la Grande-Bretagne étendit son influence sur le commerce et les finances de l’Iran, et prit en main le contrôle du Golfe persique.
Au début du XIXe siècle, le gouverneur qâdjâr de la province du Fârs (sud) signa un accord avec la marine britannique. Selon les termes de cet accord, l’Iran confiait le maintien de la paix et de la sécurité dans le bassin du Golfe persique au gouvernement britannique. La conclusion de cet accord permit à la Grande Bretagne de développer de plus en plus sa présence militaire dans le Golfe persique. En 1819, Sir William Grantkair prit les commandes dans le Golfe persique à la tête d’une flotte de 6 grands navires de guerre et 3 000 marins. Les Britanniques envahirent tout de suite toutes les îles du Golfe persique, et firent de Bahreïn leur base navale principale.
Avant cette date, les Britanniques avaient déjà signé des accords avec le nouveau sheikh de Bahreïn, Mohammad ben Khalifa. Dans les deux accords de 1880 et 1892, la marine britannique avait demandé au sheikh de Bahreïn de s’engager dans les projets visant à affaiblir la présence de l’Iran dans la région du Golfe persique. Dans le cadre de ces accords, le sheikh de Bahreïn installait des Arabes venant de différentes régions riveraines, dans les îles du Golfe persique, tandis que les Britanniques interdisaient la libre circulation et la résidence des ressortissants iraniens dans les îles, afin d’affaiblir la souveraineté iranienne dans toute la région.
A cette époque, la province iranienne du Khouzestân avait déjà, depuis de longs siècles, une importance stratégique extraordinaire, car elle donnait accès aux territoires situés au nord-ouest du Golfe persique, jusqu’au Kurdistân et les régions centrales du plateau iranien. Cette situation géopolitique privilégiée éveillait les convoitises des grandes puissances qui n’hésitèrent pas à expédier leurs armées au Khouzestân pour l’occuper définitivement.
Pendant le XIXe siècle, le Khouzestân fut attaqué à deux reprises par les grandes puissances étrangères : d’abord par les Ottomans, ensuite par les Britanniques.
La première guerre eut lieu à l’époque où le roi qâdjâr Mohammad Shâh expédia son armée vers Herat pour reconquérir cette ville, le général ottoman Ali Rezâ Pasha profitant de l’occasion pour lancer une attaque d’envergure contre le Khouzestân. Lors de cette attaque, il occupa la ville de Khorramshahr. Les soldats ottomans massacrèrent les habitants, incendièrent les habitations et saccagèrent la ville. Dans le même temps, les Britanniques s’allièrent aux Afghans qui résistaient à Herat aux attaques de l’armée des Qâdjârs, et pour obliger le roi Mohammad Shâh à abandonner le siège de Herat, ils mirent leur flotte dans le Golfe persique en état d’alerte, et menacèrent l’Iran d’attaque militaire contre les régions du sud.
Jusqu’à la fin du règne de Mohammad Shâh en 1847, le chaos et la dissidence se développèrent dans la plupart des régions iraniennes. Dans la province du Khouzestân, des sheikhs et des chefs de tribus arabes se rebellèrent contre le gouvernement central. Le sheikh Haddâd, chef de la tribu arabe d’Al-Kassir, s’insurgea dans le nord du Khouzestân. Il proclama un sultanat à Dezfoul et à Shoushtar, se nomma roi et fit battre monnaie à son nom.
En 1848, Mirzâ Ghavâmeddîn, de la célèbre famille des Tabâtabâ’ï à Behbahân, s’allia avec plusieurs sheikhs de tribus arabes du Khouzestân, dont le sheikh Haddâd. Le roi Nassereddîn Shâh nomma son oncle, Ardeshir Mirzâ, gouverneur du Lorestân et du Khouzestân et le chargea de réprimer les insurgés arabes à Dezfoul et à Shoushtar. Les chefs des rebelles furent alors arrêtés et envoyés à Téhéran. En 1856, les forces militaires britanniques attaquèrent le port de Khorramshahr. Elles profitèrent de la faiblesse du gouvernement central iranien et de la corruption des hommes politiques pour occuper la ville.
Sous le roi Nâssereddin Shâh, les Ottomans essayèrent à plusieurs reprises d’envahir la ville de Khorramshahr et l’île de Khark dans le Golfe persique. Le grand vizir de Nâssereddin Shâh, Amir Kabir, engagea les jeunes guerriers des tribus nomades des régions du sud et du sud-est pour former une garde frontalière puissante à Khorramshahr. Il confia le commandement de la garde à Mohammad Khân. Ils purent résister ainsi aux menaces ottomanes.
A l’époque de Mozaffareddin Shâh, la révolution constitutionaliste remporta la victoire. Les révolutionnaires voulaient assurer la liberté et l’indépendance du pays et y instaurer la justice sociale. Cependant, l’influence des puissances européennes, le désordre à l’intérieur et la corruption des autorités gouvernementales amenèrent la révolution constitutionaliste vers la dérive, favorisant le terrain à l’apparition d’une nouvelle forme de despotisme. Dans le même temps, la découverte des gisements de pétrole en Iran, notamment dans la province du Khouzestân, conduisit la Grande Bretagne à intensifier ses ingérences dans les affaires intérieures de l’Iran.
En 1914, avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, toutes les îles et presque toutes les zones littorales du Golfe persique étaient sous occupation britannique. Sir Charles Belgrave régna pendant plusieurs décennies à Bahreïn, et autres îles et endroits stratégiques du Golfe persique.
Officiellement, les rois de la dynastie qâdjâre ne reconnurent jamais la mainmise des Britanniques sur le Golfe persique au détriment de la souveraineté historique de l’Iran sur le bassin du Golfe persique et de la mer d’Oman. Pourtant, les Britanniques réussirent toujours à profiter de la situation intérieure chaotique de l’Iran et de la corruption des hommes politiques pour assurer leurs objectifs.
Pendant la Première Guerre mondiale, la Grande Bretagne consolida encore davantage son pouvoir dans le Golfe persique et occupa de plus en plus de régions littorales. La ville de Khorramshahr subit de lourdes pertes des conséquences de l’occupation britannique, car elle était le point le plus stratégique du nord-ouest du Golfe persique, et constituait la porte d’entrée à la fois du Khouzestân et de la Mésopotamie.
La situation géostratégique de l’Iran n’y était pas pour rien : le territoire iranien se trouvait à proximité de la Russie tsariste et de l’Empire ottoman. En outre, l’Iran se situait sur les chemins qui menaient en Inde et en Chine, dominées à l’époque par la Grande Bretagne. Le territoire iranien faisait donc l’objet des convoitises des Britanniques depuis longtemps, et le déclenchement de la Première Guerre mondiale fut un bon prétexte pour que la Grande Bretagne développe son emprise politique et militaire, non seulement en Iran mais dans l’ensemble du Moyen-Orient.
Outre les avantages géostratégiques que le contrôle du territoire iranien pouvait avoir pour les Britanniques, ces derniers voyaient en l’Iran une importante réserve logistique pour ravitailler leurs armées. Ainsi, pendant la Première Guerre mondiale, les Britanniques confisquèrent une très grande quantité de produits agroalimentaires en Iran. Le pillage était si important que le pays en subit les conséquences, - en outre sous forme de famines qui décimèrent des centaines de milliers de personnes -, pendant plusieurs décennies.
A ce propos, Mohammad-Gholi Majd a écrit un livre intitulé The Great Famine and Genocide in Persia, 1917-1919 (La grande famine et le génocide en Perse, 1917-1919) [1] dans lequel il révèle les différents aspects du génocide en Iran pendant la Première Guerre mondiale.
Ses recherches montrent comment le gouvernement britannique pilla les ressources naturelles du pays et les productions agroalimentaires des Iraniens au nom du ravitaillement de ses troupes en guerre, et empêcha l’Iran d’acheter des produits alimentaires aux autres pays, en bloquant les revenus pétroliers du gouvernement iranien. Selon Mohammad-Gholi Majd, l’objectif de cette politique génocidaire du gouvernement britannique était de réduire le taux de la population iranienne, de détruire la structure démographique du pays et de perturber profondément la composition des forces humaines en Iran. Le gouvernement britannique voulait empêcher ainsi que l’Iran ne devienne une puissance régionale capable de concurrencer la domination britannique. Les effets de cette politique génocidaire des Britanniques sur la structure démographique de l’Iran persistèrent pendant près de cinquante ans.
Dans son ouvrage, Mohammad-Gholi Majd se référa sur les recensements faits par les Américains en Iran. Selon ces statistiques, la population de l’Iran était de 20 millions de personnes en 1914, mais ce chiffre se réduisit à 11 millions en 1919. Il en déduit que l’application des politiques génocidaires des Britanniques se traduisit par la mort de 8 à 10 millions d’Iraniens pendant cinq ans. Ces politiques avaient imposé aux populations iraniennes famine, malnutrition et pandémies de maladies mortelles. Il fallut attendre jusqu’en 1956 pour que la population iranienne atteigne de nouveau 20 millions d’âmes.
Pendant la Première Guerre mondiale, le sheikh Khaz’al, un chef de tribu arabe du Khouzestân, profita de la faiblesse du gouvernement central et du soutien des Britanniques pour développer son pouvoir, et tenta de fonder au Khouzestân un sultanat arabe.
Il est noter que l’histoire de la collaboration entre les Britanniques et les séparatistes du sheikh Khaz’al remonte à la fin du XIXe siècle, puisque le sheikh Khaz’al devint membre de la loge franc-maçonne de l’Egypte en 1895, et de celle de Bagdad en 1900. Le sheikh Khaz’al devint Grand Maître maçonnique en 1922. La loge de l’Egypte proposa alors à la Grande Loge mère en Angleterre qu’une nouvelle loge soit créée à Khorramshahr. Les Britanniques ne tardèrent pas à exécuter ce plan, et ils permirent au sheikh Khaz’al d’organiser des réunions maçonniques à Khorramshahr.
L’Iran annonça sa neutralité dès le début de la Seconde Guerre mondiale. Depuis quelques années, plusieurs grandes compagnies allemandes s’investissaient dans de grands projets industriels iraniens, ainsi que dans la construction d’infrastructures : construction routière et ferroviaire, services médicaux et pharmaceutiques, imprimerie, pêche… Dans le même temps, l’Allemagne nazie développa ses relations politiques et économiques avec le régime de Rezâ Shâh Pahlavi, rivalisant ainsi avec l’influence britannique en Iran. La Grande Bretagne et l’Union soviétique regardaient d’un mauvais œil le développement des relations du gouvernement iranien avec l’Allemagne hitlérienne, et leurs ambassadeurs à Téhéran avaient demandé à plusieurs reprises au gouvernement iranien de rompre ses liens avec l’Allemagne, en estimant que ces relations violaient le principe de la neutralité de l’Iran.
Après l’assaut nazi contre l’Union soviétique en juin 1941, les Alliés devinrent de plus en plus sensibles à la question de la neutralité en Iran, d’autant plus que Rezâ Shâh ne cachait plus sa sympathie pour les Allemands. Quelques mois plus tard, les Alliés décidèrent d’envahir le territoire iranien, avec pour prétexte d’empêcher le gouvernement iranien de basculer dans le camp adverse, et pour assurer la possibilité d’envoyer des aides logistiques aux Russes via le territoire iranien.
Le 25 août 1941, les ambassadeurs de Grande Bretagne et d’Union soviétique rendirent visitent au Premier ministre iranien de l’époque, Ali Mansour, pour l’informer de l’expédition militaire imminente des Alliées contre le territoire iranien. Les militaires britanniques et américains envahirent aussitôt les régions du sud, tandis que les Soviétiques occupèrent les régions du nord du pays.
Le commandement militaire britannique en Mésopotamie fut chargé d’organiser une invasion des régions de l’ouest et du sud-ouest iraniens. Les troupes britanniques basées en Irak occupèrent alors la ville de Ghasr-e Shirin (ouest) et les ports de Khorramshahr et d’Abâdân (sud-ouest). Dans le même temps, les troupes soviétiques attaquèrent les provinces du nord : Azerbaïdjân, Guilân et Khorâssân. Les forces alliées venues du sud et du nord se croisèrent très vite, le 14 mai 1941 à Ghazvin, avant de prendre Téhéran, la capitale. Le roi Rezâ Shâh abdiqua le lendemain en faveur de son fils, Mohammad Rezâ Pahlavi.
Le réseau ferroviaire iranien qui reliait le port de Khorramshahr au sud aux régions situées dans le nord du pays permit aux Alliés d’acheminer des équipements logistiques vers l’Union soviétique attaquée par l’armée hitlérienne.
Le général Donald Booth, haut membre du quartier général de l’armée américaine dans la région du golfe Persique avait écrit dans une lettre confidentielle : "Aujourd’hui, les soldats américains connaissent les noms des villes du sud de l’Iran, comme Khorramshahr, Abâdân ou Ahvaz, aussi bien que ceux de leurs villes natales aux Etats-Unis. Car jusqu’en décembre 1944, ils ont participé aux opérations d’acheminement de plus de 5 millions de tonnes d’aides logistiques à l’Armée rouge." Dans sa lettre, le général Booth confirma que les commandants militaires des forces alliées avaient parfaitement raison de surnommer l’Iran "Pont de la victoire", en raison de l’importance stratégique des ports du Khouzestân et du réseau ferroviaire de l’Iran dans le sort de la Seconde Guerre mondiale.
Khorramshahr et ses installations portuaires eurent une importance stratégique de premier ordre pour l’Iran. La concentration importante des installations pétrolières du pays dans la province du Khouzestân et surtout la proximité de la grande raffinerie d’Abâdân, après la construction du canal de Suez reliant la Méditerranée et la mer Rouge, ne firent qu’ajouter à l’importance au port de Khorramshahr.
Le fleuve Arvandroud formé par l’affluence du Chatt al-Arab (Irak) et du Karoun (Iran) a longtemps constitué la frontière d’abord entre l’Iran et l’Empire ottoman, ensuite entre l’Iran et l’Irak. Etant donné l’importance vitale de ce cours d’eau frontalier pour les deux parties, le fleuve Arvandroud fut l’objet de plusieurs accords : entre l’Iran et l’Empire ottoman (1843), entre l’Iran et l’Irak (1937 et 1975). Cependant, le partage du fleuve et du droit de la navigation restèrent toujours un objet de controverse entre les deux parties.
Pour la partie irakienne, le fleuve Arvandroud fut toujours une artère vitale car il constituait le seul accès de la Mésopotamie aux eaux du Golfe persique entre les côtes iraniennes et koweïtiennes. Selon l’accord de 1843 signé entre l’Iran et l’Empire ottoman, l’Iran n’avait la souveraineté que de l’embouchure de Karoun sur Arvandroud et des deux îles d’Abâdân et de Minou. Par conséquent, les Ottomans réussirent à imposer leur souveraineté et leur contrôle sur l’ensemble du fleuve Arvandroud, ce qui leur accordait le droit de contrôler la navigation et l’exploitation des eaux de ce grand fleuve.
Dès 1914, plusieurs événements modifièrent les équilibres géostratégiques de la région : après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, les troupes britanniques prirent en main le contrôle des zones situées sur la rive ouest d’Arvandroud, jadis contrôlées par les Ottomans, ensuite la création par les Britanniques d’un nouvel Etat irakien qui comprenait trois anciennes provinces ottomanes de la Mésopotamie, et enfin l’importance grandissante des réserves du pétrole. Ces trois facteurs importants amenèrent les Britanniques à vouloir contrôler entièrement la navigation sur le fleuve Arvandroud.
En 1937, l’Iran et l’Irak signèrent un nouvel accord frontalier. Selon les termes de cet accord, la frontière fluviale des deux pays à Arvandroud fut démarquée sur la ligne Thalweg, c’est-à-dire ligne de fond d’un lit d’un cours d’eau qui en indique la partie la plus profonde. Cet accord définissait la souveraineté des deux pays sur le fleuve Arvandroud de Khorramshahr et de Abâdân au nord, jusqu’à l’embouchure du fleuve au sud. Le problème qui resta insoluble pour la partie iranienne résidait dans le fait que selon l’accord de 1937, les Britanniques avaient arrangé les choses de sorte qu’à Abâdân, la frontière de l’Iran n’était pas démarquée à la ligne Thalweg mais à la rive d’Abâdân.
Cependant, l’accord prévoyait la liberté de la navigation internationale dans les eaux d’Aravandroud, d’autant plus que les gouvernements irakien et iranien s’engagèrent à signer des accords additionnels pour définir clairement les modalités de l’usage des installations portuaires et de la navigation sur Arvandroud.
L’accord de 1937 signé sous l’égide de la Grande Bretagne mettait en péril le développement économique et social des régions du sud-ouest de la province iranienne du Khouzestân, car l’ambiguïté de la démarcation de la ligne frontalière dans certaines parties du fleuve donnait plus de droit à la partie irakienne.
Le développement de l’industrie pétrolière dans le sud du Khouzestân fut une source de prospérité pour la ville portuaire de Khorramshahr. Par ailleurs, de grandes installations pétrolières dont la grande raffinerie d’Abâdân, et même les zones d’habitation civile des deux villes iraniennes d’Arvandroud, à savoir Khorramshahr et Abâdân, restaient sous la menace militaire de l’Irak. Par conséquent, le régime juridique de la souveraineté du fleuve Arvandroud s’avérait crucial.
En 1969, les litiges frontaliers entre l’Iran et l’Irak se transformèrent en une véritable crise risquant de finir par le déclenchement d’une guerre entre les deux pays. A l’origine de la crise se trouvait l’annonce faite par le gouvernement irakien d’interdiction aux navires iraniens de naviguer sur le fleuve Arvandroud sous pavillon iranien. Le gouvernement irakien prétendait alors que le fleuve Arvandroud faisait partie intégrante de son territoire, et que le personnel de la marine iranienne n’avait pas le droit de se montrer sur le pont des navires navigant sur le fleuve. Le gouvernement irakien menaça même de recourir à la force pour empêcher la navigation iranienne sur le fleuve frontalier.
La réaction du gouvernement iranien fut ferme : Téhéran annula unilatéralement l’accord de 1937 et accusa le gouvernement irakien d’avoir violé cet accord en ce qui concernait le contrôle partagé d’Arvandroud, défini dans l’accord de 1937 comme voie de navigation internationale.
Dans le même temps, le gouvernement iranien fit état de son respect pour le partage du droit de la navigation sur Arvandroud selon la ligne Thalweg. Pour souligner la fermeté de sa position, le gouvernement iranien fit entrer l’un de ses navires dans le fleuve sous pavillon iranien et avancer vers le nord.
Le capitaine Ramzi Ataï mit une chaise sur le bord de son navire, sous le drapeau iranien, et resta assis sur le bord pendant tout le trajet. Le gouvernement irakien ne réagit pas au geste du capitaine iranien qui conduisit son navire à sa destination sans aucun incident.
Mais en représailles, le régime de Bagdad confisqua les avoirs des Iraniens résidants en Irak et des Irakiens d’origine iranienne, avant de les expulser du pays. Dans le même temps, le gouvernement irakien se mit à provoquer les groupes dissidents kurdes afin de les encourager à s’activer contre le gouvernement central. Le gouvernement iranien prit des mesures similaires en réaction aux agissements irakiens.
La victoire du régime israélien contre les armées arabes en 1967, et le soutien inconditionnel des Etats-Unis à Tel-Aviv empêchèrent les Etats arabes alliés des Etats-Unis de soutenir l’Irak dans une guerre contre l’Iran. Par ailleurs, à l’époque, le gouvernement américain soutenait une théorie de Henry Kissinger qui s’opposait à l’idée d’une coalition puissante d’Etats arabes, estimant que la continuité des litiges frontaliers entre l’Irak et l’Iran serait dans l’intérêt d’Israël.
De plus, la puissance de plus en plus grandissante des Kurdes irakiens au nord, et le danger de la création d’une alliance entre les Kurdes en Irak et en Turquie pour lutter conjointement pour l’indépendance, amenèrent les stratèges américains à chercher une issue pour sortir de la crise. Par conséquent, après la conférence d’Istanbul, les Américains soutinrent l’initiative du président algérien Houari Boumediene qui joua un rôle de médiation entre les gouvernements iranien et irakien. La médiation algérienne conduisit les deux pays à signer l’accord d’Alger en 1975. Selon cet accord, le gouvernement irakien finit par reconnaître le droit de l’Iran à la navigation dans le fleuve Arvandroud (en tant que voie maritime internationale) et la souveraineté iranienne sur le fleuve selon la ligne Thalweg.
Pour le régime iranien de l’époque, la conclusion de l’accord d’Alger en 1975 fut une victoire totale, permettant au gouvernement iranien d’obtenir l’aval du gouvernement américain pour augmenter le taux de ses achats d’armements et d’équipements militaires "made in USA", pour jouer le rôle du gendarme régional.
[1] Cet ouvrage a été publié par le University Press of America