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Metz est une ville de taille moyenne située au nord de la Lorraine ; elle fut prospère grâce aux industries de l’acier et à l’exploitation du charbon, mais ces activités se sont éteintes. Metz fut aussi allemande, comme l’Alsace et la Lorraine, lorsqu’au fil des conflits entre la France et l’Allemagne, ces deux régions furent plusieurs fois annexées. L’architecture de la ville garde la mémoire de cette occupation allemande, plus précisément prussienne. Récemment, en 2010, dans le cadre des politiques de décentralisation, s’est ouvert le Centre Pompidou-Metz, un musée de relativement petite taille (10 000 m² dont 5000 consacrés aux expositions) par rapport au Centre Pompidou de Paris. C’est à partir de 1981, sous le premier gouvernement du président François Mitterrand et avec le ministre de la culture, Jack Lang, que s’est mise en place une réelle politique de décentralisation culturelle qui changera beaucoup de choses dans le domaine des arts en France et permettra notamment une implantation volontariste et effective de l’art contemporain dans les régions. Ces actions en faveur de l’art contemporain, sous toutes ses formes, ont été coordonnées par les DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) et pour les arts plastiques, mises en action par les FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain). Le Centre Pompidou-Metz, comme le nouveau Louvre qui s’ouvrira prochainement à Arras, concrétisent la continuité de cette politique en même temps que cela permet d’exposer des œuvres faisant partie de trop importantes collections que les musées parisiens ne peuvent ni ne pourront jamais montrer. A Metz, ce musée répond sans nul doute à un besoin culturel régional et transfrontalier : la Belgique, le Luxembourg et l’Allemagne sont très proches, avec une forte densité de population et une offre assez modeste en matière d’art contemporain. Il est cependant certain que l’image exceptionnelle du Centre Pompidou-Paris joue fortement en la faveur de celui de Metz pour attirer un public nombreux.
Le Centre Pompidou de Paris a ouvert en 1977, à la fois en tant que musée et en tant que lieu de création. En même temps, il inaugurait une nouvelle espèce de musée où les arts visuels côtoient la musique, la création industrielle, le cinéma, et qui est aussi un lieu de travail et de recherche. Son ouverture suscita une vive polémique, notamment quant à son architecture de type raffinerie en décalage total avec celle des différents quartiers de Paris, peut-être également en partie en raison de son implantation dans un de ces vieux quartiers parisiens, le plateau Beaubourg, à côté des Halles, qu’il fallut raser avec toute la brutalité que cela implique. Le président de la république qui permit la construction de ce musée était Georges Pompidou et sous son mandat, Paris connut une médiocre modernisation, au plan qualitatif et au plan esthétique, au prix de la destruction totale d’un certain nombre de ses vieux quartiers, certes en partie vétustes, mais au charme indéniable. Avec le Centre Pompidou-Metz, le temps a passé, 33 ans, et le bâtiment créé par Shigeru Ban et Jean de Gastines ne peut surprendre qui connait un certain nombre de musées récemment créés, comme le Guggenheim de Bilbao ou le New Museum de New York. Pour définir ce bâtiment de Metz, on peut dire qu’il appartient à la catégorie qu’on appelle une folie architecturale, et il se situe dans une pensée hypermoderne, au-delà de l’ère de la postmodernité qui marqua l’architecture des années 70 aux années 90. Le Centre Pompidou-Metz est à deux pas de la gare et pour l’instant sa visibilité est facilitée par l’absence de hautes constructions à proximité. Lorsqu’on le découvre, puis s’approche, son architecture est séduisante, elle témoigne d’une réelle légèreté avec, pour la coiffer, une vaste bâche textile blanche ondulante qui évoque, entre autres choses, les tentes des nomades ; puis apparaissent des structures de bois en formes de nid d’abeille et torsadées. Certes l’utilisation de la bâche n’est pas nouvelle, pas davantage que ne l’est celle du bois lamellé-collé, mais le bâtiment est agréable et même séduisant. Ainsi bâche et bois donnent le ton, et cela est totalement dénué de prétention, notamment celle d’être un bâtiment fait pour durer l’éternité (comme la gare de la ville, construite à la fin du XIXe siècle, sous occupation prussienne, dans un style néo-moyenâgeux, à la fois pesant et kitsch) et cela résonne comme la volonté d’un faire écologique en même temps que celle d’innover au plan formel. La structure de bois qui accompagne le visiteur au fur et à mesure qu’il contourne le musée ou qu’il gravisse les étages évoque immanquablement la maquette (reconstituée en bois) du Monument à la Troisième Internationale de Tatline, de 1919. Elle évoque également les charpentes d’anciens châteaux et monastères, ou celles des barques et navires d’autrefois. La qualité des matériaux de construction comme celle des espaces ouverts au public semble bien supérieure à celle du Centre Pompidou Paris, mais ce dernier est trentenaire et au moment de sa construction, il n’était guère question ni d’écologie, ni de coûts énergétiques. A Metz, à l’intérieur du musée, une vaste et haute nef, un puits central, traverse les étages. Les plafonds aux formes déstructurées marquent l’héritage d’une architecture déconstructionniste, celle qui a notamment renié l’orthogonalité propre à la modernité d’une large partie du XXe siècle. Les salles consacrées aux expositions sont conçues comme de très vastes plateaux parallélépipédiques ouverts à leurs deux extrémités, par de larges baies, sur le panorama de la ville. Evidemment ces salles d’exposition disposent d’un système de modulation et de cloisonnement permettant de répondre, selon des scénographies différentes, aux besoins propres à chacune des expositions. La circulation du visiteur est aisée et ce qui la caractérise et en même temps la rend agréable est ce va et vient entre intérieur et extérieur, cette imbrication du dedans et du dehors. Que ce soit depuis les salles d’exposition vers les circulations et espaces internes du musée, puits central, escaliers, terrasses, ou vers l’environnement urbain extérieur, se dégage un sentiment de constante respiration, d’échappée possible et de liberté du regard, de continuité entre musée et ville.
Lors du parcours de visite, il est toujours possible de passer de l’intérieur vers l’extérieur et inversement, grâce à de nombreuses terrasses où la présence des structures de bois intervient en rappel de l’architecture déjà vue en arrivant sur le site. Ce possible et constant retour sur ce qu’on a déjà vu existe également au plan interne grâce à de nombreuses ouvertures d’étage à étage, de salle à salle ou d’escalier à salle, qui à la fois donnent des points de vue différents sur les lieux et jouent comme un rappel, comme le maintien d’une présence et mémoire des lieux et des œuvres déjà visités. Ainsi ce musée est agréable à pratiquer avec une lecture de ses espaces qui se vit presque de manière ludique. On est donc loin des musées fermés, aux salles aveugles, coupées du monde et aux parcours unilatéraux en même temps qu’obligatoires ; tel est par exemple le cas lors des grandes expositions historiques du Grand Palais de Paris, où, malgré la hauteur des plafonds, règne un certain sentiment d’étouffement. Dans le sens d’un espace intérieur agréable à pratiquer, comme pour ce qui est de son architecture, le Centre Pompidou-Metz est une réussite, certes plus aisée à réaliser que pour une énorme machine comme le Centre Pompidou-Paris.
Le Centre Pompidou-Metz est un établissement de coopération culturelle dont les acteurs et partenaires sont la ville, la Région Lorraine, l’Etat et le Centre Pompidou-Paris auquel il est étroitement associé puisque lui-même ne possèdera pas de collections. Pour son ouverture, le musée avait organisé une vaste exposition sur le thème du chef-d’œuvre : 700 chefs-d’œuvre étaient présentés, principalement extraits des collections parisiennes. Ainsi s’agissait-il du meilleur de ce que possède le Centre Pompidou-Paris, et couvrant le XXe siècle. L’exposition peut à la fois s’avérer être une découverte, pour ceux qui ne fréquentent guère les musées d’art moderne et elle peut être une révision et un plaisir de revoir pour ceux qui connaissent déjà. Le thème du chef d’œuvre peut sembler se situer à rebours des courants dominants car le XXe siècle a vu disparaître cette notion de chef d’œuvre, subvertie par un concept d’art expérimental et inscrit le plus souvent dans une durée extrêmement éphémère. Cependant cette interrogation sur le chef d’œuvre au plan phénoménologique semble venir fort à propos quelque temps après que la notion d’avant-garde, dissoute dans la postmodernité, se soit estompée. En effet, l’hyperproduction d’œuvres qui caractérise les décennies récentes finit par noyer l’art dans un magma, dans une foule de tendances et postures incompréhensibles au public. Ainsi la mise en évidence de certaines œuvres remarquables, ici désignées comme chefs d’œuvre, joue certes dans le sens de l’élaboration de repères solides susceptibles d’aider à une meilleure compréhension de l’art moderne. Dans le cas présent la tâche n’est pas si ardue puisqu’avec l’art moderne la période couverte est quasiment tout le XXe siècle. Ainsi Brancusi, Matisse, Bonnard, Miro, Giacometti, Dubuffet, Pollock, Man Ray, Picasso, les Nouveaux réalistes appartiennent à une histoire de l’art aux choix et classements désormais bien établis, donc aisément lisible.
Une autre exposition présentée ici en mai était constituée de deux installations in situ de Daniel Buren, calées sur un niveau entier du musée, un espace qui traverse le bâtiment de part en part. Comme il sait le faire, Buren s’empare du lieu et de la vue sur la ville en un espace étrangement vacant, ne serait-ce ces murs-miroir dont il est l’instigateur, travail dépouillé à dessein, travail avec l’architecture du musée et celle de la ville, travail avec les apparences et le reflet. D’autre part, pour une seconde installation, Buren a créé un vaste espace labyrinthique, une construction praticable, faite de cloisons aux couleurs vives et fluorescentes ; cette œuvre semble être un peu trop une construction technique, sans âme, ce qui par rapport à l’exposition Chefs-d’œuvre, très fréquentée, draine un public extrêmement clairsemé. Peut-être aurait-il fallu penser cela accompagné d’une médiation systématique et adaptée ; l’œuvre de Buren est remarquable mais bien peu accessible sans un réel travail de la part du visiteur aidé par une médiation.
Le Centre Pompidou-Metz dispose d’espaces et salles très bien aménagés consacrés aux débats, rencontres et spectacles, d’une librairie et boutique, d’une cafétéria plus qu’accueillante, notamment lorsqu’elle se répand en terrasse. Peut-être que les dimensions de ce type de musée rendent la visite plus agréable et certainement plus tranquille que celle des grands musées comme par exemple le Centre Pompidou-Paris, le MOMA de New York ou le Louvre, où, fréquemment, après un long temps d’attente, le visiteur se heurte à de successifs et vains contrôles avant d’entrer dans des salles d’exposition surpeuplées et investies par des visites de groupes qui empêchent de voir les œuvres, notamment lorsqu’elles sont de petites dimensions.