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Le Musée national d’Iran, creuset de l’héritage culturel persan
Kiumars Derakhshân
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L’un des buts du musée est de rendre accessible à tous le patrimoine historique, culturel et artistique d’une nation, à travers l’exposition ordonnée d’objets. En Iran, l’histoire du musée a ses racines dans les voyages du souverain qâdjâr Nassireddin Shâh, au cours desquels il fut impressionné par les différents aspects de la modernité qu’il avait découverts en Europe. Cette influence constitua donc le point de départ de la naissance de l’un des premiers ancêtres des musées iraniens, c’est-à-dire le site de la Citadelle Royale (arg-e saltanati), qui rassemblait des collections privées. L’apparition des musées en tant que véritables institutions publiques commença dans les années 1930, avec l’apparition du Musée national (mouzeh-ye melli).
Le Musée national d’Iran est l’un des centres les plus importants et riches dans le domaine des recherches historiques et archéologiques du pays et de la région. Nous pouvons tout d’abord souligner le style de son architecture, fruit du travail du français André Godard, qui s’efforça de créer une harmonie entre le plan du bâtiment et les objets qu’il allait abriter. De ce fait, la façade du bâtiment, faite de briques rouge foncé et noires, ressemble au palais d’Ardeshir à Firouz Abâd situé dans la province du Fârs, et son fronton en forme d’arc évoque les Sassanides et leur monument grandiose appelé Arc de Kasrâ. C’est la raison pour laquelle l’édifice même abritant le Musée national est considéré comme faisant partie des œuvres historiques.
L’idée de créer un musée afin de montrer, conserver et collecter l’héritage culturel iranien fut d’abord présentée par Sani’-ol-Doleh, responsable de l’Association Ma’âref, organisation dont le but était de créer des écoles modernes et de promouvoir la culture.
A Téhéran, dans l’une des grandes salles de cette association, au nord du bâtiment de l’Ecole Dârolfonoun (l’Ecole Polytechnique), un premier "musée national" (mouzeh-ye melli) également appelé "musée des connaissances" (mouzeh-ye ma’âref) fut fondé en 1916. Parallèlement et à la suite de fouilles archéologiques réalisées par des délégations françaises sur plusieurs sites iraniens, le Bureau des antiquités (edâreh ’atighât) fut fondé en 1918 par le gouvernement de l’époque dans le même édifice de l’Association Ma’âref. La destruction des monuments historiques ainsi que le pillage des trésors culturels d’une part, et l’accroissement des mouvements patriotiques d’autre part, incitèrent un certain nombre de passionnés de culture à fonder l’Association des Œuvres Nationales (anjoman-e âsâr-e melli) en 1926. Grâce aux efforts des fondateurs de cette association, une loi permettant la conservation des œuvres nationales en Iran fut votée, ce qui constitua un terrain favorable à la construction d’un véritable musée. En 1928, André Godard, architecte et archéologue français, fut chargé de superviser la mise en place d’un musée national. Dans ce but, il assuma le poste de directeur des services archéologiques d’Iran, mit au point une politique de fouilles et de conservation des objets découverts, et dessina également les plans de la bibliothèque nationale (ketâbkhâneh-ye melli) ainsi que du Musée national d’Iran (Mouzeh-ye Melli) en 1930.
La construction du bâtiment du musée débuta en 1934 et fut achevée en 1937, année de l’inauguration du musée. D’une superficie de 7500 m², le musée comprenait différentes sections (incluant notamment de nombreux objets des périodes préhistorique, antique et islamique) ainsi qu’une salle spéciale d’exposition, une salle de photographie, une salle du trésor (ganjineh)… En 1996, la section consacrée à la période islamique fut transférée dans un nouveau bâtiment érigé juste à côté de l’ancien. Ainsi, en 1997, lors d’une cérémonie en présence du président de la république de l’époque et plusieurs ministres de la culture de pays membres de l’OCDE Organisation de Coopération et de Développement Economiques, la section consacrée à l’ère islamique fut officiellement séparée du bâtiment principal pour devenir un musée indépendant. Aujourd’hui, le Musée de l’Iran ancien (mouzeh-ye irân-e bâstân), c’est-à-dire le bâtiment principal, et le Musée de la période islamique (mouzeh-ye dorân-e eslâmi) constituent ensemble le Musée National d’Iran.
A l’heure actuelle, le complexe administratif du Musée National comprend également d’autres musées tels que le Musée Rezâ Abbâsi, le Musée Abguineh qui expose de nombreuses œuvres faites de pièces de verre et de céramique, le Musée des arts nationaux (mouzeh honar-hâye melli) ou encore le Musée du tapis (mouzeh-ye farsh).
La Bibliothèque du Musée national, inaugurée officiellement en 1937 dans le bâtiment principal du musée, avait près de 1000 livres en persan et langues européennes empruntés à la bibliothèque de l’Association Ma’âref. Le fond ne cessa depuis de s’enrichir. Depuis sa création, cette bibliothèque fut un lieu fréquenté par les élites, ainsi que de nombreux savants et chercheurs.
La bibliothèque possède actuellement près de 20 000 ouvrages et revues (périodiques) en différentes langues, et est l’un des principaux centres d’étude de l’histoire de la Perse antique, de l’Inde et des autres pays de la région. La bibliothèque du Musée national a également tissé de nombreux liens et mis en place des accords de coopération et d’échange d’information avec des instituts scientifiques nationaux et musées nationaux et internationaux.
Le Musée de l’Iran ancien est consacré aux objets découverts lors des fouilles archéologiques en Iran. Le terme persan bâstân signifie "ancien" ou "antique".
Dans ce musée, les objets découverts et les collections sont classifiés selon l’ordre historique des civilisations correspondantes. Ce musée comprend ainsi deux sections : le département de la période dite "préhistorique" (dorân-e pish az târikh), le département de la période dite "historique" (dorân-e târikhi), le point de départ de cette dernière étant non pas l’apparition de l’écriture à la fin du IVe millénaire av. J.-C., mais l’apparition des grandes dynasties de la Perse antique, notamment les Mèdes et les Achéménides.
La préhistoire, souvent considérée comme étant la période débutant avec l’apparition de l’humanité et s’achevant avec l’apparition des premiers documents écrits, est l’une des sections les plus riches du musée. Elle fut fondée dès l’inauguration de Musée national d’Iran et présente des objets de diverses civilisations préhistoriques ayant existé entre les VIIe et Ier millénaires av. J.-C. Cette section n’a, par la suite, cessé de s’enrichir d’un nombre très important d’objets et d’œuvres de grande valeur découverts lors des fouilles archéologiques des dernières décennies. La section expose près de 10 000 objets faits d’argile, d’airain, de pierre, etc.
Les plus anciens objets permettent ainsi au visiteur de parcourir 800 000 ou même un million d’années, c’est-à-dire de remonter jusqu’à l’époque du pléistocène inférieur. Ces objets anciens, qui sont tous en pierre furent découverts dans la province du Khorâssan-e-Razavi, plus précisément près de l’ancienne rivière de Kashf-Roud, à proximité du village de Iravân en 1974 lors de fouilles archéologiques effectuées par un professeur de l’université de Bordeaux.
Le musée rassemble également de nombreux objets datant du VIe et Ve millénaires av. J.-C. permettant de réaliser les avancées des habitants de la Perse de cette époque. La majorité de ces objets a notamment été découverte dans les sites historiques de Tappeh Sarâb, Ali Kosh, Tcheshmeh Ali, ou encore d’Esmâil Abâd, village situé près de Karadj où furent découverts des récipients en terre rouge et en argile avec des motifs floraux et géométriques, ou encore des représentations d’hommes et d’animaux. Ces objets présentent des ressemblances avec ceux découverts dans d’autres sites préhistoriques du pays, à savoir Tappeh Sialk à Kâshân, Geyan à Hamadân, ou encore Ghareh Tappeh à Shahriyar. Parmi les objets les plus intéressants découverts dans les collines de Sarâb (tappeh Sarâb) situées près de la province de Kermânshâh, la sculpture d’une femme en terre cuite datant du VIe millénaire av. J.-C.
Une collection est également consacrée aux objets datant des IVe et IIIe millénaires av. J.-C., et comprend notamment de nombreuses pièces en terre cuite et en céramique découvertes à l’issue de fouilles réalisées par une équipe française en 1942. Le visiteur peut notamment y admirer un vase très fin sur lequel est peinte une chèvre, objet appartenant au mobilier funéraire des premiers habitants de Suse. Les défunts recevaient, lors d’une inhumation secondaire, des boisseaux, des coupes et objets en métal qui montraient la prospérité de la cité. Le style des céramiques se rattache à celui de la plaine de Susiane qui fut dominée par Suse dès sa fondation. Un autre exemplaire de ce genre de vase est exposé au Musée du Louvre.
Ces collections d’objets du IIIe millénaire av. J.-C. furent enrichies par des pièces découvertes dans le temple de ziggurat, situé à Tchogha Zanbil, complexe élamite situé dans la province du Khouzestân. C’est à l’entrée nord-est de la ziggurat que l’équipe archéologique dirigée par Roman Ghirshman, archéologue et historien français d’origine ukrainienne, constata l’existence d’un taureau en terre cuite émaillée où figurait le nom du roi élamite Untash-Napirisha, et dédié à l’Inshushinak et aux autres dieux de la ville de Suse.
Enfin, plusieurs collections rassemblent des objets datant des IIe et Ier millénaires av. J.-C. et découverts dans différents sites archéologiques du pays comme le site de Marlik dans la province du Guilân, Tappeh Hasanlou situé dans la province de l’Azerbaïdjan occidental, etc. De ce dernier site, un vase muni d’une anse et d’un bec sur piédouche blanc et noir, ou encore un rhyton en airain datant du IX siècle av. J.-C. ont été retrouvés. Le rhyton est un vase qui se présente sous la forme d’une tête d’animal, utilisé pour boire lors de certaines cérémonies et rituels religieux. Une partie importante des objets de cette époque provient de la province du Guilân, qui abrite de nombreux sites historiques, et où ont notamment été retrouvés de la vaisselle (aiguières, coupes couvertes, pichets, jarres), des objets en terre cuite (animaux sculptés, rhytons), des armes (sabres, masses d’arme, flèches), des charrues primitives, ainsi que des bijoux (bracelets, colliers, chaînes en or, miroirs, etc.).
Une copie de la stèle du code d’Hammourabi vers 1750 av. J.-C.), l’un des plus anciens textes de loi nous étant parvenu, est également exposée dans cette section spécifique. L’original est actuellement au Musée du Louvre.
Dans cette salle, de nombreux objets en or et en argent provenant de différents sites historiques d’Iran comme le site archéologique de Marlik dans le Guilân, Teppeh Hasanlou, Kelâr Dasht, ou encore Wiziyeh dans la province du Kurdistan, sont exposés. Le gobelet doré de Malik est un témoignage de l’art très original du récipient en métal précieux de la civilisation de Marlik. Réalisé en électrum, alliage composé notamment d’or et d’argent, il est travaillé au repoussé et gravé à la pointe. Sur le pourtour du vase figure à deux reprises un taureau.
Les différents objets de la section de la période dite "historique", exposés au première étage du Musée de l’Iran ancien, sont principalement de deux types : les objets relatifs à la province du Lorestân et les objets concernant les différentes dynasties de la Perse avant l’arrivée de l’islam (de l’Empire des Achéménides jusqu’aux Sassanides).
La province du Lorestân, située à l’ouest de l’Iran au milieu des monts Zagros, est l’une des plus vieilles régions d’Iran dont la civilisation date du IIIe et IVe millénaires av. J.-C. Divers objets d’une grande richesse issus de 263 sites d’importance culturelle et historique du Lorestân nous font découvrir de nombreux bronzes à forme humaine, animale ou fantastique datant de l’âge du fer, ainsi que des objets pratiques tels que des armes en pierre, en fer, ou encore en arain.
Parmi les objets les plus impressionnants du musée figurent ceux datant de la dynastie achéménide, fondée par Cyrus II vers 556 av. J.-C., et notamment de grands morceaux des pierres du palais de Darius, rapportés à l’issu de fouilles réalisées dans des sites tels que Pâsârgâd.
Des carreaux de pavement en terre cuite, qui furent les décors des immenses édifices de Persépolis et Suse, sont également exposés. L’ensemble des objets exposés témoignent de l’apogée de la gloire des Achéménides : la statue de Darius Ier d’une hauteur de deux mètres, les tablettes, les diverses pièces en pierre et en terre cuite, ou encore les dessins en relief illustrant l’audience publique du roi, Darius, accompagné du prince héritier, de lanciers et d’un disciple mède.
La dynastie syro-iranienne des Séleucides, fondée par Alexandre, régna jusqu’au IIe siècle av. J.-C., dans la continuité des Perses achéménides. Parmi les nombreux objets exposés datant de cet empire, nous pouvons citer les masques en or du roi séleucide Antiochos IV découverts dans le village Shemi Darmâl dans le Lorestân, les tablettes en pierre de l’époque du roi séleucide Antiochos III découvertes à Nahâvand, ou encore les statues en airain représentant les dieux grecs.
La plupart des musées ne disposent que de très peu d’objets concernant la dynastie parthe, ce qui n’est pas le cas du Musée national qui dispose de nombreuses pièces datant de cette époque comme le buste en marbre de Musa, l’épouse de Phraates IV, ou encore un relief de l’époque du dernier roi parthe séleucide Artaban V. La pièce maîtresse de cet ensemble est la statue en bronze du général Suréna, vainqueur de Crassus, dont l’image est présentée comme l’un des symboles de la civilisation et de la culture des Parthes dans les manuels scolaires en Iran.
L’Empire sassanide, l’une des deux grandes puissances d’Asie occidentale durant plus de 400 ans, régna sur l’Iran jusqu’à l’arrivée de l’islam en 651. Cette période constitua un âge d’or pour l’Iran sur les plans artistique et politique. La riche collection datant de l’ère sassanide comporte des objets réalisés dans des matériaux les plus divers : verre, argent, pierre dure comme le cristal de roche, ou encore tissus, qui montrent le haut degré d’avancement de l’art, de l’urbanisme et de l’architecture durant la période sassanide. Différents objets et les plâtres décoratifs appartenant aux anciens palais sassanides qui y sont exposés furent découverts lors des fouilles archéologiques sur le site de Tappeh Hessâr de Dâmghân, au sud de la province de Semnân, ainsi que sur le site de Tchâl-tarkhân à Rey, ville située au sud de la ville de Téhéran.
La ville de Zanjân, située dans le nord-ouest de l’Iran, possède de nombreux sites d’intérêt culturel et historique. Ce fut notamment là où le premier homme de sel datant de 1700 ans (c’est-à-dire vers la fin de l’époque arsacide et le début de l’époque sassanide), fut découvert. Au cours de l’hiver 1993, à l’ouest de la ville de Zandjân, des mineurs découvrirent une tête barbue aux cheveux longs ainsi qu’une botte de cuir. Quelques mois après, l’Organisation du tourisme, de l’artisanat et de l’héritage culturel entama des recherches sur cet homme de sel découvert dans la mine de sel de Tchehrâbâd, au milieu d’un tunnel, à une profondeur de 45 mètres. Dans la botte de cuir, un pied gauche et quelques objets ont été trouvés, dont notamment trois couteaux de fer, une pierre à affûter, un pantalon court en laine, une fronde, une aiguille d’argent, des morceaux de corde en cuir, des fragments d’étoffe et des débris de poterie, ainsi qu’une noix. Les experts archéologiques ont estimé l’âge de l’homme de sel à 1700 ans après avoir notamment analysé ses vêtements et sa boucle d’oreille en or.
Située au rez-de-chaussée, la première partie de cette section est consacrée à la numismatique et à l’étude des monnaies et sceaux. La deuxième partie, située dans la dernière salle de cet étage, abrite près de 50 000 sceaux allant du IIe siècle av. J.-C. à la dernière dynastie iranienne, les Pahlavis. On peut distinguer les sceaux à encre, très utilisés depuis l’ qui servaient notamment à signer des documents de papier, et les sceaux-cylindres en relief qui impriment un motif sur une matière molle durcissent rapidement : l’argile humide, la cire chauffée à la flamme, le plomb. L’exemple remarquable de cette collection est un sceau-cylindre gris orné par un Fravahar, symbole du zoroastrisme datant de l’époque achéménide.
De nombreux objets et œuvres d’art sont également exposés dans cette seconde section du Musée national, devenu un musée indépendant en 1997. La plupart de ces œuvres ont été découvertes lors de fouilles archéologiques, mais certaines sont des dons. Les objets exposés se caractérisent par leur grande diversité : de nombreuses miniatures, des manuscrits du Coran, des tapis, des poteries et divers objets d’art en fer, en pierre et en verre. Ces objets témoignent de l’apparition d’un art d’inspiration religieuse propre à l’Iran, s’inspirant de l’islam tout en étant à la foi influencé par certains éléments de l’art iranien des époques précédentes, et plus particulièrement de l’art sassanide. Ce musée expose ces objets sur trois étages, par sujet ou époque. Il est actuellement en rénovation afin d’agrandir certains espaces et de réorganiser l’exposition des différentes œuvres.
Expositions, nouvelles recherches archéologiques et scientifiques, coopérations scientifiques et culturelles, accueil des chercheurs, restauration, enrichissement de la collection, dépôt des œuvres, ainsi que missions et fouilles archéologiques, font également partie des activités culturelles du complexe du Musée National.
Ouvert tous les jours de 9h à 18h sauf le lundi.
Tel : (0098 21) 66 70 20 61
Site internet du musée : www.nationalmuseumofiran.ir