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"Qu’il ne reste point inconnu aux habitants de notre empire que la volonté royale a décrété son souhait d’éduquer ses sujets, et comme l’éducation comprend notamment la connaissance des choses de ce monde, il a été décidé par Sa Majesté que sera désormais imprimé un papier d’informations comprenant les nouvelles de l’Orient et de l’Occident. Ce journal sera envoyé dans toutes les provinces de l’Empire. Les nouvelles de l’Orient comprendront celles de l’Arabie, de l’Anatolie, de l’Arménie, de la Transoxiane, de la Sibérie, du Tibet, de la Chine, de l’Indochine, du Japon, de l’Inde, du Bengale, de Kaboul et de Gandhara, et les nouvelles de l’Occident seront celles de l’Europe, de l’Afrique et de l’Amérique ainsi que des îles du monde. Ainsi augmenteront les connaissances des sujets. Ce journal sera mensuel…"
Extrait du décret de Nâssereddîn Shâh
annonçant le lancement du premier journal national, 1836
Ce décret datant de 1836 marque l’apparition d’un mensuel qui fut édité par Mîrzâ Sâleh Shîrâzî à partir du 1er mai 1837, quatrième année du règne du roi qâdjâr Mohammad Shâh. Premier journal officiel du pays, il marqua un tournant important et fut l’emblème de l’émergence du modernisme en Iran par la voie de l’alphabétisation. Désormais, le savoir n’était plus confiné à une élite en manque de repères, qui, s’ouvrant au monde, découvrait depuis peu l’ampleur des progrès matériels accomplis par l’Occident. Publié durant trois années, ce journal contenait effectivement les nouvelles du monde, mais comme il était gouvernemental, l’essentiel des informations concernait la personne du roi et ce qui se passait à la cour. Il ne s’agissait pas d’une publication haut de gamme. En fait, ce mensuel n’avait même pas de nom et on l’appelait simplement "La feuille des informations" (kâghaz-e akhbâr), traduction littérale du newspaper anglais. Les premiers numéros ne contenaient que des informations au sujet de la capitale mais, s’étoffant peu à peu, des dépêches concernant les provinces et l’étranger se rajoutèrent à l’ensemble.
Ce journal, réputé pour avoir été l’un des vecteurs de la modernisation de la société iranienne, fut fermé au bout de trois ans sans que l’on sache de réellement la raison exacte de cette interruption.
Durant les cinquante ans de son règne, le roi Nâssereddîn Shâh vivait officiellement à Téhéran mais effectuait en réalité d’incessants déplacements en province ou en Europe, qu’il affectionnait particulièrement. Comme il tenait autant à ses journaux qu’à ses voyages et que les voies de communication n’étaient pas en bon état, une équipe de journalistes et d’imprimeurs, une équipe complète d’édition disposant de tous le matériel et outils nécessaires, accompagnait la cour en déplacement et publiait les nouvelles là où était le roi. Parmi les publications erratiques de la cour en déplacement du roi, on peut notamment citer Le Camp Royal (ordou-ye homâyounî) qui fut édité lors du voyage du roi au Khorâssân durant un an. Ce journal fut publié en quatre numéros contenant de dix à vingt-deux pages. Le premier numéro de cette publication parut en 1830 à Semn ?n. Le but de ce journal était justement d’être le rapport des activités royales lors du déplacement.
Le second journal itinérant de l’ère nasséride fut le Miroir du Voyage (mir’âtol-safar) qui devint à partir du troisième numéro le Miroir du Voyage et Foyer des Présences (mir’âtol-safar va mishatol-ahzâr). Le premier numéro de ce journal fut publié en 1834 à Téhéran et le treizième et dernier numéro fut également publié à Téhéran. Les onze autres exemplaires furent édités au fil des voyages du roi dans le Mazandéran, au cours de ce voyage parsemé de nombreuses haltes et ayant duré près d’un an. Le directeur de cette publication, "Directeur en chef de toutes les imprimeries du pays" selon la volonté royale, était Mohammad Hassan, nommé d’abord Sanî’oddoleh, puis E’temâdossaltâneh. En tant que membre de la petite noblesse qâdjâre, il était proche de la cour. Homme politique célèbre de son époque, il ne fit pourtant rien pour son pays. Il demeura cependant populaire pour sa plume qui rédigea près de vingt volumes de mémoires où il raconte de manière savoureuse la vie des grands de la cour de Nâssereddîn Shâh.
Le Camp royal et le Miroir fusionnèrent en 1882 pour devenir Camp Royal, une publication irrégulière dont le premier numéro parut le 17 juin 1883 sous la direction d’E’temâdossaltâneh, et le dernier de ses onze numéros en octobre de la même année.
Malgré leur nombre imposant, ce ne sont pas les journaux royaux itinérants qui marquèrent l’histoire de la Perse mais davantage des publications telles que le Vaghâye Ettefâghieh (Journal des Evénements), le plus célèbre et le plus durable journal de cette époque.
Quatorze ans après le Papier des informations et grâce à l’aide de Mîrzâ Tâghî Khân Amîr Kabîr, le grand chancelier, une nouvelle gazette, le Journal des Evénements, fut lancée lors de la troisième année du règne de Nâssereddîn Shâh. Le premier numéro de ce journal parut le 7 février 1851 sans avoir le titre qu’il eut plus tard. Il se nommait alors Petite gazette des Informations de la Perse et portait en première page l’emblème royal et national persan du lion et du soleil (shîr-o khorshîd).
Les buts de cette publication, annoncés en première page du premier numéro, étaient à peu de choses près les mêmes que ceux du Papier des Informations, toutefois, les premiers murmures de colère et de désapprobation s’élevant peu à peu contre l’absolutisme royal, les rédacteurs précisaient qu’ils souhaitaient informer le peuple et rectifier les erreurs et les malentendus concernant le roi et son gouvernement.
Ce journal avait une forme beaucoup plus élaborée que le Papier des Informations. Il était imprimé en grand format, en deux colonnes, sur le meilleur papier de l’époque, avec une belle police nasta’ligh. L’emblème du lion et soleil était gravé sous un arc en haut de la première page, et les informations générales du journal entourait cet emblème ainsi que les numéros, les prix, les conditions d’abonnement, les points de vente, etc.
Les premières pages traitaient des affaires internes ; d’abord celles de la capitale, puis celles des provinces, puis enfin les nouvelles diverses, qui comprenaient parfois des traductions d’articles parus en Europe, les nouvelles de la cour, les décisions gouvernementales, les affaires militaires et les décrets étatiques.
Il faut considérer ce journal comme le premier en Iran à insérer des faits divers dans ses nouvelles. Ces derniers traitaient de toutes sortes d’événements, des incendies du marché aux "miracles", en passant par les moissons et les grandes bagarres des clans téhéranais.
Dans la partie concernant l’étranger, les informations concernant chaque pays étaient rassemblées sous une colonne portant en haut, en caractères gras, le nom du pays en question. Les seize premiers numéros de ce journal parurent les vendredis, puis les jeudis, en quatre page, ou parfois six ou huit pages, et, plus rarement, en douze pages.
Le style était très simple, loin des fioritures du style littéraire précieux en vogue à l’époque. Son fondateur, Amîr Kabîr, l’homme qui contribua à la diffusion des idéaux de la modernité en Iran, voulait que tout le monde puisse le lire.
Son envoi dans les différentes villes suivait la même ligne de conduite. L’on voulait qu’il fût disponible partout dans le pays le plus vite possible. Amir Kabîr le chancelier avait décrété que les numéros fussent remis à la Poste dès leur parution pour être envoyé aux provinces. A Téhéran, le journal était disponible par abonnement.
Cette gazette fut également la première à publier des petites annonces. La plus ancienne annonce de l’Iran parut en 1850 dans ce journal. C’était une publicité vantant les mérites de certains produits occidentaux en vente près de l’ambassade d’Angleterre.
Le Journal des Evénements parut en 471 numéros dont 40 du vivant du chancelier Amîr Kabîr ; le 41ème numéro contenant l’ordre royal qui démit ce grand homme politique iranien de ses fonctions. Ce journal parut jusqu’en 1860 puis changea de nom.