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Reis Ali Delvâri :
du héraut de la résistance contre les Britanniques
au statut de héros national
Tanguestân est un département de la province de Boushehr au sud de l’Iran. Il est divisé en deux zones septentrionale et méridionale dont les deux centres principaux sont respectivement Ahrom et Delvâr. Le nom de Tanguestân fait référence à un clan de commerçants réputé d’Asie centrale, les Tedmer. Le département de Tanguestân est connu pour sa résistance acharnée contre l’invasion des forces britanniques à l’aube du XXe siècle, et fut notamment le foyer d’un groupe de combattant audacieux connu sous le nom de Tangsir. Ce groupe fut dirigé par Reis Ali Delvâri, figure importante du nationalisme iranien de l’époque, et qui demeure comme un véritable héros de la nation iranienne. Le célèbre fort de Tanguestân est également situé dans ce département dont les habitants se sont distingués par leur loyauté et leur combativité.
Fils du chef de la police de Delvâr, Reis Ali Delvâri naquit en 1881 dans ce même village. A l’âge de sept ans, il fréquenta l’école religieuse afin d’acquérir une formation théologique et littéraire. Puis il assista son père dans ses fonctions. Parallèlement, il s’investit dans l’agriculture et fit de nombreux voyages dans les pays arabes voisins. Il était réputé pour sa courtoisie, sa bravoure, son honnêteté ainsi que son respect des préceptes religieux.
Son nom est issu de Delvâr, village situé à 50 kilomètres de la ville côtière de Boushehr et l’un des centres du département du Tanguestân. Delvâr, également appelé Delbar, signifie "courageux" en persan. A l’époque, la plupart des habitants de ce lieu étaient pêcheurs et effectuaient des allers-et-retours dans les pays arabes afin de développer leurs activités littorales et portuaires. Le port de Delvâr, dont la population était estimée à 700 habitants à cette époque, occupe une place importante dans la défense du pays contre l’invasion des forces britanniques en 1915. La jeunesse de Reis Ali, qui joua un rôle clé dans l’organisation de la résistance des populations du sud de l’Iran, coïncida avec la présence coloniale britannique dans le Golfe Persique.
A la veille de la Première Guerre mondiale de 1914, l’Iran fut occupé au nord par les Russes et au sud par les Britanniques. Les vaisseaux britanniques jetèrent l’ancre sur les rives de Boushehr et le 8 août 1915, les forces assaillantes ayant pour objectif l’occupation des zones littorales de Boushehr lancèrent une opération qui aboutit à l’occupation de la ville. Le lendemain, un groupe de quatorze personnes réagissait contre l’occupation : ils furent tous immédiatement arrêtés et déportés vers l’Inde, siège des colonialistes britanniques dans la région. Cet incident encouragea Delvâri et ses compagnons à s’organiser en vue de défendre le pays. A cette époque, l’Iran était sous la gouvernance d’un régime despotique ayant émergé à la suite de la Révolution constitutionnelle (mashroutiat). Au cours de la période appelée « la petite dictature » (estebdâd-e saghir), les habitants de plusieurs villes telles que Tabriz, Ispahan et Rasht protestèrent contre Mohamad ’Ali Shâh, l’avant dernier roi de la dynastie qâdjâre.
A Boushehr, les habitants parvinrent dans un premier temps à refouler les partisans du Shâh, alors minoritaires. Reis Ali, avec l’aide de son fidèle compagnon Seyyed Mortezâ Mojtahed Ahromi ainsi qu’avec près de cent fusilleurs recrutés, parvinrent à forcer le siège des forces gouvernementales à la suite de plusieurs assauts. Ayant pris le contrôle de la ville, il s’empara du bureau des douanes et veilla à ce que les marchandises ne soient pas pillées.
A cette époque là, le gouvernement anglais interférait constamment dans les affaires intérieures de l’Empire ottoman, notamment la Mésopotamie (l’Irak actuelle) tout en étendant son agression vers les frontières et territoires méridionaux iraniens. Ce fut dans ces circonstances que la résistance du Tanguestân prit forme. Cette dernière était largement soutenue par les savants religieux et était considérée comme un jihâd non seulement par ces derniers, mais également par les tribus nomades de la région et les habitants du Tanguestân en général. A la suite de la diffusion du décret religieux de l’Ayatollah Sheikh Mohammed Hossein Borazjâni de Najaf, dans lequel il invitait le peuple à se mobiliser pour protester contre l’occupation britannique, Percy Cox, le président du conseil politique et militaire britannique, établit son siège à Boushehr dans l’esprit de contraindre les savants religieux à décourager les guerriers.
Reis Ali se rendit alors à Boushehr discuter de la situation chaotique avec les partisans de la libération parmi lesquels on peut citer Mirzâ ’Ali Kâzerouni, Mehdi Tabâtabâ’i, Seyyed Mortezâ Alam-ol-Hodâ Mojtahed, et Sheikh Mohammad Hossein Mojtahed, religieux de l’époque. A l’issue de cette réunion, Reis Ali jura qu’il se battrait jusqu’au bout contre les Britanniques. Le 15 août 1915 les forces britanniques parvinrent à occuper totalement Boushehr et hissèrent leur drapeau sur les toits du centre de gouvernance régional (dar-ol-hokoumeh) et d’autres bâtiments publics.
Après l’occupation de Boushehr à l’aide de navires de guerre, les Britanniques accompagnés par des centaines de soldats indiens donnèrent l’assaut au Tanguestân, assaut qui aboutit à la destruction de nombreuses habitations. A titre de riposte, les forces de Reis Ali menèrent un raid nocturne au cours duquel ils mirent le feu au consulat et aux installations britanniques. Le lendemain, les troupes britanniques munies de quatre navires de guerre et de cinq mille combattants indiens et anglais pénétrèrent de nouveau dans la région afin de bombarder Delvâr. Reis Ali ordonna l’évacuation des femmes et des enfants. Les forces assaillantes se rendirent à Delvâr en bateau. Reis Ali insista pour que ses hommes évitent de tirer sur les Anglais avant leur arrivée sur le rivage, et que le feu ne soit ouvert que lorsqu’ils débarqueraient. La stratégie de Reis Ali consistait à se camoufler durant la journée sur les collines surplombantes pour préparer l’assaut de nuit. A minuit, il lança donc un raid lors duquel le commandant en chef des troupes britanniques fut tué. Les échauffourées se poursuivirent jusqu’au lendemain. Les hommes de Delvâr réussirent à infliger des pertes considérables à l’armée britannique, les affaiblissant suffisamment pour gagner la bataille. Après leur défaite, les troupes britanniques restantes se retirèrent jusqu’à Boushehr. Cette victoire éclatante et inattendue fit de Reis Ali un véritable héro non seulement en Iran mais dans toute l’Europe. Le journal Times de l’époque alla même jusqu’à consacrer plusieurs pages à ce sujet.
La bravoure et l’héroïsme dont Reis Ali fit preuve durant cette batailles furent rapportés avec un tel enthousiasme que certaines tribus en vinrent à nourrir des sentiments de jalousie et de ressentiment à son égard. Il fut finalement victime d’un complot planifié par l’ennemi et exécuté par un traître. Son corps fut transporté à Najaf où il est enterré près de son père. Sa maison, transformée en musée ethnologique ouvert au public, est située dans la ville de Delvâr, à 45 km du sud de Boushehr. Certains effets personnels de Reis Ali Delvâri ainsi que des documents historiques de son époque, divers types de fusils, ainsi que des caparaçons sont exposés dans ce musée.
L’opération triomphale de Delvâri incita par la suite d’autres habitants à se joindre à la guérilla. Elle se poursuivit jusqu’à l’été 1915 qui fut marqué par la victoire de Reis Ali contre les agresseurs. La résistance, qui avait pour but de protéger toute la région du sud incluant le Tanguestân, le Dashtestân et Boushehr a ainsi donné une leçon claire aux forces impérialistes tout en préservant un temps la région des influences extérieures.