N° 71, octobre 2011

Hossein Pejmân Bakhtiâri
Poète classique contemporain


Khadidjeh Nâderi Beni


Mon cœur n’admire que l’amour
Sans amour ce monde ne vaut rien…

Fils de la grande poétesse Alamtâdj Ghâ’em Maghâmi [1] (surnommée Jâleh), Hossein Pejmân Bakhtiâri naquit en 1279 (1900) à Dashtak [2]. Son père, Ali Morâd Pandjeh Bakhtiâri, était l’un des chefs de la tribu Bakhtiâri.

Pejmân débuta ses études primaires à Téhéran et apprit la langue française à l’école Saint-Louis ; il y fut notamment le condisciple de Nimâ Yushidj [3]. Il étudia ensuite la littérature auprès de Adib Neyshâbouri [4] à Mashhad, ainsi que de Badi-ol-Zamân Forouzânfar [5] à Téhéran. A 18 ans, il commença à publier ses poèmes dans divers journaux. Sa poésie est classique, avec une préférence pour les formes traditionnelles dont le masnavi (poème composé de distiques à rime plate), le ghassideh (sorte de poème lyrique) et le quatrain. Son premier recueil intitulé Meilleurs vers fut publié en 1933. Ayant souffert pendant plusieurs années d’une maladie chronique, il mourut en 1974 à Téhéran. Son recueil poétique, qui s’ouvre par une introduction détaillée écrite par P. Bâstâni Pârizi [6], a été réédité à plusieurs reprises au cours de ces dernières années.

Il a publié d’autres recueils poétiques, dont Zan-e bitchâreh (La pauvre femme), Mohâkemeh-ye shâ’er (Procès d’un poète), et Andarz-e mâdar (Conseil d’une mère). Il a également traduit René et Atala de Chateaubriand, ainsi que plusieurs œuvres de Benjamin Constant. Il a de plus corrigé plusieurs manuscrits du Divân (Recueil poétique) de Hâfez, des Robâ’iât (Quatrains) de Omar Khayyâm, le recueil poétique de Djâmi, ainsi que les poèmes de Jâleh Bakhtiâri, sa propre mère.

Cheminées [7]

Les cheminées en haut des terrasses

poussent un soupir du fond du cœur

De leur bouche couleur de goudron

les fumées volent vers le ciel comme un corbeau

Les cheminées, l’une rouge, l’autre bleue

contiennent des fumées, l’une noire, l’autre blanche

Ces fumées toutes muettes

racontent des histoires qu’on n’entend pas

L’une raconte les repas copieux des riches

histoire d’abondance et de respect

L’autre raconte la cuisine des pauvres

histoire de misère et de besoin

L’une se dégage d’un château

dont les chats et chiens mêmes vivent dans le confort

L’autre s’élève d’une ruine

dont même les enfants ont un cœur chargé de douleur

L’une nous invite au sein d’un paradis verdoyant

pour y voir la joie et l’ivresse infinies

L’autre nous invite dans une maison modeste

pour y percevoir le sens de la misère

Les oreilles fermées, la bouche fermée

elles volent vers le ciel et y disparaissent

Le ciel lui-même en a trop entendu

cette histoire de la misère et du besoin

Bakhtiâri

Au pied d’une montagne gigantesque

Se trouve une région riche de magnificence

Elle contient des champs et des sources vives

Elle luit comme le soleil

Sur cette terre céleste

Se trouve une race d’hommes braves

Tous sont patriotes à l’esprit éclairé

Tous sont plus brillants que le soleil

Cette région s’appelle bakhtiâri

Qu’elle vive dans le bonheur

Les Bakhtiâris sont vaillants héros

Tels des montagnes fermes, solides

***

O terre bakhtiârie ! Que tu sois prospère !

Que tu vives dans la liberté !

Tu n’obéiras à la Grèce ni au Touran [8]

Gardant ta splendeur originale [9]

Je t’aime de tout mon cœur et

Je ne peux plus abandonner cet amour

Regret de l’amour

Le coin de mon cœur n’est pas le siège de l’amour

Dans cette ruine personne ne s’est logée

Toutes mes bien-aimées ont renoncé à moi

Personne ne peut fréquenter un tel fou

Dans la fête du monde, mon cœur

Est un amoureux sans amant

Tout cœur est le domicile de l’amour

Hélas ! Aucune passion dans mon cœur

Je demandai à ma bien-aimée pourquoi je ne pouvais la poursuivre

Tu n’es pas digne de cet amour, dit-elle

Je n’accompagnerai plus les sages

Car un savant et un fou ne peuvent s’accorder

Sources :
- Goli Zavâreh, Gh., Visage de Tchahâr Mahâl et Bakhtiâri, Téhéran, Sâzmân-e Tablighât-e Eslâmi, 1377/1998.
- Pejmân Bakhtiâri, Hossein, Recueil Poétique, Téhéran, 1353/1974.
- Nâderi Béni, Khadidjeh, "Les Bakhtiâris : héritage culturel des montagnes du Zâgros", La Revue de Téhéran, nچ’b054, mai 2010.

Notes

[1Petite fille de Ghâ’em Maghâm Farâhâni, politicien et homme de lettres de l’époque qâdjâre.

[2Situé à Tchahâr Mahâl va Bakhtiâri

[3Fondateur de la poésie moderne persane

[4Maître de littérature persane

[5Professeur à l’Université de Téhéran

[6Professeur d’histoire à l’Université de Téhéran

[7Selon les critiques, dans ce poème, le style Pejmân ressemble à celui de William Blake, peintre et poète pré-romantique britannique.

[8Pays d’au delà de l’Oxus.

[9Les Bakhtiâris comptent parmi les peuples iraniens qui se sont le moins mélangés aux autres peuples non seulement d’un point racial, mais également linguistique (leur langue étant le lori), culturel et littéraire. Au cours des différentes périodes historiques, ils ont mené une vie rude et retirée au cœur des montagnes Zagros (à l’ouest de l’Iran) : les monts élevés, les vallées profondes et étroites, les forêts denses et impénétrables, les cascades et les fleuves rebelles, en d’autres termes l’enclavement et la difficulté d’accès à leur lieu d’habitation a ainsi contribué à les préserver en partie des guerres et des attaques que leurs compatriotes ont subies dans les autres régions du pays, comme par exemple celles d’Alexandre, des Arabes ou des Mongols. (voir "Les Bakhtiâris : héritage culturel des montagnes du Zâgros", La Revue de Téhéran, no54, mai 2010).


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