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Mon cœur n’admire que l’amour
Sans amour ce monde ne vaut rien…
Fils de la grande poétesse Alamtâdj Ghâ’em Maghâmi [1] (surnommée Jâleh), Hossein Pejmân Bakhtiâri naquit en 1279 (1900) à Dashtak [2]. Son père, Ali Morâd Pandjeh Bakhtiâri, était l’un des chefs de la tribu Bakhtiâri.
Pejmân débuta ses études primaires à Téhéran et apprit la langue française à l’école Saint-Louis ; il y fut notamment le condisciple de Nimâ Yushidj [3]. Il étudia ensuite la littérature auprès de Adib Neyshâbouri [4] à Mashhad, ainsi que de Badi-ol-Zamân Forouzânfar [5] à Téhéran. A 18 ans, il commença à publier ses poèmes dans divers journaux. Sa poésie est classique, avec une préférence pour les formes traditionnelles dont le masnavi (poème composé de distiques à rime plate), le ghassideh (sorte de poème lyrique) et le quatrain. Son premier recueil intitulé Meilleurs vers fut publié en 1933. Ayant souffert pendant plusieurs années d’une maladie chronique, il mourut en 1974 à Téhéran. Son recueil poétique, qui s’ouvre par une introduction détaillée écrite par P. Bâstâni Pârizi [6], a été réédité à plusieurs reprises au cours de ces dernières années.
Il a publié d’autres recueils poétiques, dont Zan-e bitchâreh (La pauvre femme), Mohâkemeh-ye shâ’er (Procès d’un poète), et Andarz-e mâdar (Conseil d’une mère). Il a également traduit René et Atala de Chateaubriand, ainsi que plusieurs œuvres de Benjamin Constant. Il a de plus corrigé plusieurs manuscrits du Divân (Recueil poétique) de Hâfez, des Robâ’iât (Quatrains) de Omar Khayyâm, le recueil poétique de Djâmi, ainsi que les poèmes de Jâleh Bakhtiâri, sa propre mère.
Les cheminées en haut des terrasses
poussent un soupir du fond du cœur
De leur bouche couleur de goudron
les fumées volent vers le ciel comme un corbeau
Les cheminées, l’une rouge, l’autre bleue
contiennent des fumées, l’une noire, l’autre blanche
Ces fumées toutes muettes
racontent des histoires qu’on n’entend pas
L’une raconte les repas copieux des riches
histoire d’abondance et de respect
L’autre raconte la cuisine des pauvres
histoire de misère et de besoin
L’une se dégage d’un château
dont les chats et chiens mêmes vivent dans le confort
L’autre s’élève d’une ruine
dont même les enfants ont un cœur chargé de douleur
L’une nous invite au sein d’un paradis verdoyant
pour y voir la joie et l’ivresse infinies
L’autre nous invite dans une maison modeste
pour y percevoir le sens de la misère
Les oreilles fermées, la bouche fermée
elles volent vers le ciel et y disparaissent
Le ciel lui-même en a trop entendu
cette histoire de la misère et du besoin
Au pied d’une montagne gigantesque
Se trouve une région riche de magnificence
Elle contient des champs et des sources vives
Elle luit comme le soleil
Sur cette terre céleste
Se trouve une race d’hommes braves
Tous sont patriotes à l’esprit éclairé
Tous sont plus brillants que le soleil
Cette région s’appelle bakhtiâri
Qu’elle vive dans le bonheur
Les Bakhtiâris sont vaillants héros
Tels des montagnes fermes, solides
O terre bakhtiârie ! Que tu sois prospère !
Que tu vives dans la liberté !
Tu n’obéiras à la Grèce ni au Touran [8]
Gardant ta splendeur originale [9]
Je t’aime de tout mon cœur et
Je ne peux plus abandonner cet amour
Le coin de mon cœur n’est pas le siège de l’amour
Dans cette ruine personne ne s’est logée
Toutes mes bien-aimées ont renoncé à moi
Personne ne peut fréquenter un tel fou
Dans la fête du monde, mon cœur
Est un amoureux sans amant
Tout cœur est le domicile de l’amour
Hélas ! Aucune passion dans mon cœur
Je demandai à ma bien-aimée pourquoi je ne pouvais la poursuivre
Tu n’es pas digne de cet amour, dit-elle
Je n’accompagnerai plus les sages
Car un savant et un fou ne peuvent s’accorder
Sources :
Goli Zavâreh, Gh., Visage de Tchahâr Mahâl et Bakhtiâri, Téhéran, Sâzmân-e Tablighât-e Eslâmi, 1377/1998.
Pejmân Bakhtiâri, Hossein, Recueil Poétique, Téhéran, 1353/1974.
Nâderi Béni, Khadidjeh, "Les Bakhtiâris : héritage culturel des montagnes du Zâgros", La Revue de Téhéran, nچ’b054, mai 2010.
[1] Petite fille de Ghâ’em Maghâm Farâhâni, politicien et homme de lettres de l’époque qâdjâre.
[2] Situé à Tchahâr Mahâl va Bakhtiâri
[3] Fondateur de la poésie moderne persane
[4] Maître de littérature persane
[5] Professeur à l’Université de Téhéran
[6] Professeur d’histoire à l’Université de Téhéran
[7] Selon les critiques, dans ce poème, le style Pejmân ressemble à celui de William Blake, peintre et poète pré-romantique britannique.
[8] Pays d’au delà de l’Oxus.
[9] Les Bakhtiâris comptent parmi les peuples iraniens qui se sont le moins mélangés aux autres peuples non seulement d’un point racial, mais également linguistique (leur langue étant le lori), culturel et littéraire. Au cours des différentes périodes historiques, ils ont mené une vie rude et retirée au cœur des montagnes Zagros (à l’ouest de l’Iran) : les monts élevés, les vallées profondes et étroites, les forêts denses et impénétrables, les cascades et les fleuves rebelles, en d’autres termes l’enclavement et la difficulté d’accès à leur lieu d’habitation a ainsi contribué à les préserver en partie des guerres et des attaques que leurs compatriotes ont subies dans les autres régions du pays, comme par exemple celles d’Alexandre, des Arabes ou des Mongols. (voir "Les Bakhtiâris : héritage culturel des montagnes du Zâgros", La Revue de Téhéran, no54, mai 2010).