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Un voyage en Iran ne serait pas un véritable voyage sans une halte à Ispahan, cette ville abritant plus de 2500 ans de civilisation. De par son histoire féconde, elle abonde en richesses culturelles et artistiques de toutes sortes.
Ce n’est nullement un hasard si on l’a surnommée la « Moitié du Monde » (nesf-e jahân, qui rime avec "Ispahan" ou "Esfahân", en persan). L’arrivée à Ispahan donne l’impression de se retrouver soudain devant un nouvel espace, à la vois si vaste, original, et diversifié. Une promenade le long du fleuve Zayandeh-roud et ses ponts Si-o-seh-pol et Khâdjou permet de se mettre à l’écoute des murmures de ce fleuve depuis des siècles. Sur la place Naghsh-e djahân (actuellement place Imam Khomeyni), la seconde plus grande du monde, trottent en permanence des chevaux décorés trainant des carrosses destinés à promener les visiteurs d’un bout à l’autre de la place. Ces derniers, s’imaginant dans le paradis oriental qu’ils avaient en tête, parcourent avec des yeux curieux la surface monumentale de la place d’un magasin à l’autre, puis d’une mosquée à l’autre. A la question « Quels sont les repas typiques de la ville ? », on répondra sur le champ le « beryâni (Beryouni) [1] » et le « halim bâdemdjân [2] ». Car il va sans dire que la gastronomie ispahani se distingue fièrement de celles des autres villes.
Ispahan fut la capitale du roi safavide Shâh Abbâs. C’est là où se refugièrent, avec le soutien de ce même roi, un grand nombre d’Arméniens fuyant les Turcs ottomans.
Ispahan est le berceau d’un artisanat typiquement iranien, de l’art de la bijouterie jusqu’à celui du tissage de tapis. La ville est également célèbre pour son art du ciselage du cuivre et de l’argent, pratiqué dans des bazars spécialisés.
Cette ville escarpée se situe au sud-ouest du centre du pays, à 1530 m d’altitude. Elle compte plus de 130 palais, mosquées, bains... Malgré l’essor de l’architecture moderne, l’Ispahan seldjoukide (XIe-XIIe siècles.) et safavide (XV-XVIIIe siècles) a conservé les aspects principaux de sa physionomie originelle. L’atteste la présence des bazars, des ponts et des monuments dont le Tchehel sotoun (pavillon aux Quarante-colonnes), la madrasa de la Mère du Shâh, le hammâm de Ali Gholi âghâ, le pavillon de Alighâpou et beaucoup d’autres. Située au sud-ouest d’une vaste oasis où l’on cultive blé, orge, tabac, melon, coton, vignes, et où l’on s’est spécialisé dans l’élevage du mouton, Ispahan est un véritable centre industriel (raffinerie, textile, construction méchanique, etc.). Cité caravanière sur la route de la Soie, la ville a gardé ses traditions commercantes et industrielles tout en développant ses centres administratifs, universitaires et touristiques.
A quelle époque cette fameuse cité est-elle apparue ? Est-il possible de dater sa naissance ? En vérité, elle fut peuplée dès l’époque achéménide (-550 à -331). La plaine d’Ispahan était utilisée comme lieu de rassemblement des armées sassanides. La ville, siège de l’archevêché nestorien (IIIe-VIIe) était composée de deux agglomérations (Djey, la Cité Ronde construite au Ve siècle, et Yahoudiyeh, la ville juive, plus ancienne) qui devinrent une après la conquête arabe (v. 640). Gouvernée par les Bouyides à partir de 935, devenue centre de commerce et de culture, Ispahan devint naturellement la capital de l’Empire seldjoukide dès 1051 et connut alors sa première période de splendeur architecturale. Mais n’allons pas jusqu’à imaginer qu’elle fut née sous une bonne étoile.
Malheureusement, elle fut ruinée durant la période mongole (XIIe), incendiée par Tamerlan en 1386. Mais il n’a pas toujours été question d’attaques et de destructions. En 1589, le roi Abbâs Ier le Grand choisit Ispahan comme capitale. Grâce à lui, la ville conçut un vaste plan d’urbanisme, à l’origine de son surnom de « Moitié du Monde ». Les successeurs de ce roi pacifiste contribuèrent encore à l’embellissement de la ville. Plus tard, et bien avant l’époque contemporaine, Ispahan subit d’autres agressions. Ainsi mise à sac par les Afghâns ghalzai (1722), négligée sous les Zends (1750-1794) et les Qâdjârs (1794-1925), elle connut un certain déclin. Cependant, dès 1930, un vaste plan de restauration d’Ispahan débuta avec la coopération d’archéologues et d’architectes français et italiens. Actuellement, le projet continue sous l’égide de l’Organisation de l’Héritage Culturel de la ville.
A Ispahan, un grand nombre de lettrés, d’artistes et de marchands, tous hommes de culture, ont vécu. A titre d’exemple, il faut mentionner Aghâ Seyyed Ahmad Hâtef Esfahâni, grand spécialiste de sonnets et de ballades qui s’inspira des grands noms de la poésie tels que Saadi et Hâfez.
Chaque année, en particulier pendant les vacances de Norouz, Ispahan accueille de très nombreux visiteurs iraniens et étrangers qui déambulent dans l’ensemble de la ville et découvent les splendeurs du passé, au cours d’un voyage inoubliable.
Bibliographie :
Heidi A. Walcher,"Between Paradise and Political Capital : The Semiotics of Safavid Isfahan", Yale F&ES Bulletin 103 - Middle Eastern Natural Environments
Joseph Arthur de Gobineau, Trois ans en Asie. Voyage en Perse, 1855-1858, édition A.-M. Métailié, Paris, 1980.
Scott C. Levi, « Indian merchants in central Asia and Iran », in Encyclopédia Iranica en ligne .
[1] Repas fait de viande bien cuite, servie avec le jus de la viande.
[2] Repas traditionnel à base d’aubergines et de viande coupée en petits morceaux.