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L’Iran des romantiques est une contrée brillante, bigarrée et grandiose où le charme de la nature et la vivacité des couleurs épurent la vie de la monotonie et de la vulgarité, et la rendent plus intense, plus poétique. En matière de poésie, les rapports de l’Iran avec les lettres françaises sont variés. Nous tâcherons de présenter dans cet article quelques remarques sur l’attrait de Victor Hugo et de Lamartine pour la poésie iranienne et sur le réinvestissement de cette influence dans leurs œuvres. Hugo s’est intéressé aux poésies iraniennes par sa lecture préalable de Fouinet [1], et il reproduit en tête de ses Odes et Ballades ("Pour les pauvres", poème publié dans Le Globe du 3 Février 1830, et "Soleils Couchants", publié en septembre 1829), écrites en 1822, un vers de Hâfez « Ecoutez, je vais vous dire des choses du cœur » [2]. D’après ce vers, nous pouvons supposer qu’il connaissait la poésie de Hâfez et qu’il en a surtout apprécié la sincérité spontanée de l’inspiration. En effet, l’image qu’il se faisait de l’Iran avant la communication des traductions de Fouinet lui était fournie par une lecture passionnée de la poésie iranienne et l’Iran resta toujours pour lui la patrie idéale du poète.
Dès 1824, Odes et Ballades, la quinzième Ballade "La fée et la Péri", place un enfant entre l’Occident des fées et l’Orient des Péris. Le « minaret des maures », « la pagode de nacre » s’opposent aux « gothiques églises ». Si la Péri ouvrait l’éden de l’Orient : « l’Orient fut jadis le paradis du monde », en revanche, la fée convie l’enfant orphelin à « Peupler de gais follets la morose abbaye ».
Charmé entre la belle Orientale parmi les bayadères
Mon front porte un turban de soie ;
Mes bras de rubis sont couverts
Et la magicienne qui chante sous la lune :
Mon aile bleue est diaphane,
L’enfant qui « écoutait des esprits l’appel fallacieux » montera pourtant aux cieux de la chrétienté. Cet ultime poème annonce Les Orientales de 1929 dans lesquelles les couleurs orientales sont venues comme d’elles-mêmes empreindre toutes ses pensées et ses rêveries, et ses pensées sont, tour à tour et presque sans le vouloir, hébraïques, turques, grecques, persanes, arabes, espagnoles même, car l’Espagne, c’est encore l’Orient ; l’Espagne est à demi africaine, l’Afrique est à demi asiatique.
Victor Hugo poursuit sa préface en montrant mosquées et cathédrales dans les villes espagnoles après avoir affirmé dans une de ces oppositions entre l’Ancien et le Nouveau dont il possède le secret ; « au siècle de Louis XIV, on était helléniste, maintenant on est orientaliste ».
Cependant, le philhellène qui fera le portrait devenu image mythologique de L’Enfant grec aux yeux bleus mettra en épigraphe du poème V Navarin, les Perses d’Eschyle
Hélas ! hélas ! nos vaisseaux,
Hélas ! hélas ! sont détruits !
Quant à Lamartine, il occupe également une place importante parmi les poètes passionnés par la poésie iranienne. Il devait avoir une connaissance assez profonde de Saadi par des traductions françaises du XVIIIème siècle. Le regard de Lamartine sur l’Orient s’enracine dans la contemplation de la beauté de la nature et se transfigure en perception poétique de la grandeur de Dieu.
Peut-on prétendre avec certitude que Lamartine a lu Ferdowsi ? Peu importe. Ce qui est essentiel de savoir, c’est ce qu’il dit de l’Orient : « C’est une des raisons pour lesquelles j’aime mieux l’Orient que l’Occident, parce que l’Orient est la terre de la poésie par excellence ! La terre des parfums au physique et au moral, la terre où l’homme ne rougit pas de Dieu devant l’homme ! La terre où le chrétien s’agenouille sous le cèdre et le musulman sous le platane pour y baiser la poussière comme une relique de la création. » [3] Pour Lamartine comme pour Victor Hugo, l’Iran demeure une contrée de révélation où la notion de grandeur humaine répondrait aux exigences de toute génération passionnée. Ainsi des images inspirées par un Orient imaginaire, dominé par les figures de femmes et de péris, Hugo passe à une réflexion inspiratrice qui fait de l’Iran un panorama poétique comparable à celui de Lamartine dont Le Lac présente sans doute des points communs avec Le Divân de Shahriyâr (Les souvenirs de Behjat-Abâd). Saadi traduit en France dès le XVIIème siècle, Hâfez, chantre du vin et de l’amour, qui fut peut-être connu d’Hugo à travers Goethe, incarnent la Perse mystique des roses et de la poésie venue des diwâns, dont le Romantisme a parfois compris les figures féminines à l’image de l’Aimée du Cantique des cantiques.
Bibliographie :
1. « La littérature-Monde » francophone en mutation, Harmattan, Paris, 2009.
Lapointe, Monique, Du Romantisme à aujourd’hui, Erpi, Québec, 2008.
Linares, S., Introduction à la poésie, Nathan Université, 2000.
[1] Ernest Fouinet, orientaliste et romancier.
[2] Hâfez (Shamssodin Mohammed), poète de langue persane (1325-1390) maître du ghazal en Iran.
[3] Cité par Nayyereh, Samsâni. L’Iran dans la littérature française, thèse uni de Paris, p. 58. 1937.