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Le Musée de Farchtchiân, champ des couleurs dansantes
Susan Ghâem Maghâm, une novatrice dans l’art du Negârgari
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- Autoportrait de Mahmoud Farchtchiân
Quel secret est dissimulé dans le jeu de la lumière ? Que cherche-t-elle lorsqu’elle tend ses mains deçi-delà, déchirant le voile du fantasme des couleurs ? L’obscurité s’en va. Peu à peu apparaît un territoire multicolore, mais la danse du pinceau n’est pas encore finie. Paré de jaune, il va bientôt laisser son empreinte là où une petite colline manque toujours un peu plus d’éclairage. Un autre tableau est né. Le peintre se retire. Il est satisfait.
La peinture persane, ou l’art de Negârgari, vit le jour lorsque des hommes primitifs de la Perse donnèrent un ordre à leur conception visuelle de la nature. Les exemples de ces figures peuvent être contemplés aujourd’hui sur les murs de certaines caves aussi bien que sur des poteries antiques. Cet art comporte des caractéristiques de la peinture primitive des autres peuplades du monde mais possède également ses propres traits distincts. La liberté de l’action, les ailes étendues de l’imagination, les mouvements légers des lignes et l’éclat des couleurs dans le développement des motifs persans donnent au peintre la possibilité de révéler la sincérité et la profondeurs de ses sentiments. A cela s’ajoutent l’habileté et le pouvoir des mains du peintre dans la création d’une nouvelle œuvre. La beauté et la perfection divines se manifestent dans tous les éléments de la peinture persane. L’amour pour la beauté de la nature incite le peintre persan à présenter à chaque fois une conception d’un printemps éternel. La fleur, la feuille et la verdure omniprésentes dans l’œuvre ornent la toile d’une beauté délicate tout en mettant en liaison les éléments différents de l’œuvre et en lui conférant un certain équilibre.
Dans la peinture persane, la forme et le fond de chaque œuvre sont interdépendants. La forme en soi ne mène pas le spectateur à une réflexion profonde, tandis que le fond seul ne peut fasciner des yeux à la recherche du beau au milieu de la chaîne et de la trame des couleurs. Le peintre persan a l’audace et le don d’utiliser et de concilier des couleurs opposées. L’éclat du soleil lumineux de l’Orient permet ainsi à la dimension manifestation mystique de l’esprit de l’artiste persan de se révéler. Mieux encore, les accessoires et ornements des figures représentées permettent à l’artiste d’exprimer certains motifs et concepts. L’artiste persan se nourrit de métaphysique. Il tend à s’affranchir des attaches terrestres pour embellir et donner à la nature une dimension mystique. Il aspire ainsi à laisser une trace de la réalité profonde des objets, et non pas de l’apparence de leur existence matérielle. Une telle harmonie et une telle conciliation de l’abstrait et du concret, du fond et de la forme, du naturel et du surnaturel apparaissent clairement dans les œuvres exposées au Musée du Maître Farchtchiân.
Inauguré en octobre 2001, le Musée du Maître Farchtchiân se niche dans les jardins centraux du Palais Sa’ad Abâd à Téhéran. Il est entouré par d’autres musées variés exposant des objets d’art historiques et modernes. Des palais remontant à la fin de l’époque qâdjâre et au début de l’époque pahlavî, situés au milieu d’arbres gigantesques, ont désormais été transformés en musées modernes. L’un d’eux a été dédié au maître Farchtchiân, étant donné l’étendue de ses contributions au monde de l’art. Fondé par la Fondation du Patrimoine Culturel, il est ouvert au public six jours par semaine. Ce musée comprend plusieurs galeries et plus de 59 œuvres originales du maître Farchtchiân, contemporaines et anciennes telles que Le Cinquième jour de la Création, La Réunion, La Prière, l’Espoir est éternel, la Chanson de l’Harmonie, l’Etoile Guide, Le prophète Jonas et la Mélodie enchantée... Les étudiants en art affluent dans ce musée afin d’étudier de près les tableaux qu’ils avaient préalablement admirés dans leurs manuels, aux côtés de nombreux touristes étrangers.
Au cours de ces dernières années, cet art semble avoir connu un certain renouveau et a intégré d’autres éléments tout en gardant sa splendeur.
De nos jours, beaucoup d’artistes sont spécialistes dans le domaine de l’art de Negârgari. Parmi les peintres contemporains, on peut notamment citer Susan Ghâem Maghâm, auteur de près d’une centaine de tableaux peints selon une méthode qui lui est propre et où les couleurs vives et animées sont très présentes. Dans ses tableaux, l’obscurité est si entourée par la clarté des couleurs vives qu’elle semble devoir se transformer elle-même en lumière tôt ou tard. Une nature au visage gai et beau y est également omniprésente. Ses œuvres s’inspirent des thèmes simples et atemporels tels que l’amour et l’espoir, la gaieté et la tristesse, la guerre et la paix. Ses tableaux sont le résultat de la combinaison de l’art graphique et celui de Negârgari associa la paix et la beauté à une dimension métaphysique. Avec ses œuvres, Susan Ghâem Maghâm s’éloigne de la réalité dure et grossière de ce monde pour frapper aux portes d’un autre univers. Tout fait d’elle une sorte de peintre-poétesse. Elle s’intéresse également beaucoup à l’école de Harât et à Kamâleddin Behzâd, considéré comme l’un des principaux novateurs dans l’art de Negârgari, tant pour ce qui concerne l’emploi des couleurs que la combinaison rythmique des formes ouvertes.