N° 74, janvier 2012

Regard sur le zoroastrisme iranien à l’aube du XXIe siècle


Afsaneh Pourmazaheri


« Heureux sera celui
qui est à la recherche du bonheur des autres »
Yasnâ 30, ligne 1 [1]

Bas-reliefs mettant en scène le Farvahar zoroastrien, symbole accompagnant les préceptes essentiels du zoroastrisme, Persépolis

Dans l’actuel Iran, notamment à Téhéran, il reste apparemment peu de traces de l’ancienne religion perse, le zoroastrisme. Pourtant, en « creusant l’écorce » et en dépassant cette première impression de vacance, on réalise que l’antique religion est toujours vivante. Elle perdure à travers un ensemble de signes et d’éléments, de rituels et de traditions, qui confirment non seulement sa permanence, mais également sa vivacité. Dans les rues, il est impossible de croiser une devanture de librairie sans y remarquer une ou plusieurs parutions relatives à Zoroastre et au zoroastrisme. Les kiosques à journaux proposent toujours, au milieu d’une myriade de journaux et de magazines, quelques revues zoroastriennes. Un petit nombre d’associations ou de sociétés zoroastriennes, des temples du feu, des écoles et des collèges zoroastriens, toujours actifs, attestent la présence de cette antique tradition aux côtés des autres formations sociétales de l’Iran moderne. Les jeunes manifestent de la curiosité pour l’antiquité persane et pour la première des religions ancestrales de leur patrie. Le zoroastrisme a également pénétré, depuis longtemps déjà, la culture folklorique du pays. Nowrouz, la « nuit de Yaldâ » (shab-e yaldâ) et « la fête du dernier mercredi de l’année » (tchâhâr shanbeh souri) [2] sont des événements religieux enracinés dans la tradition zoroastrienne, aujourd’hui apparentés à la culture iranienne dans son ensemble. Malgré ces deux mille années d’histoire, la persistance de cette religion minoritaire en Iran est due à la volonté et aux efforts consentis par les centres zoroastriens dispersés sur tout le territoire iranien, en particulier par les associations ou sociétés zoroastriennes, les différentes publications, et aussi et surtout les centres scolaires qui continuent de perpétuer au sein de la communauté, la petite flamme d’une tradition bimillénaire.

Les associations zoroastriennes

Il faut remonter 900 années en arrière pour saisir les causes de la réapparition des groupements zoroastriens dans la société iranienne. Cette période marque le départ et la migration de certaines populations perses zoroastriennes de leur pays natal, l’Iran, vers l’Inde. L’objectif avéré de ce mouvement migratoire était la préservation de la culture et de la religion zoroastrienne. Celle-ci, bousculée par l’arrivée de l’islam sur le territoire iranien, menaçait purement et simplement de disparaître. Il y a 150 ans, ces émigrés, dont on imagine le désir des nouvelles générations de rallier la patrie de leurs ancêtres, apprirent l’existence d’un nombre non négligeable de leurs coreligionnaires dans les villes iraniennes de Kermân et de Yazd. Ainsi, par l’intermédiaire de leur missionnaire, Mânkji Limji, ils parvinrent à établir, sous le règne des Qâdjârs, des liens avec leurs homologues iraniens. La situation ne cessait de s’améliorer en Iran. Suite à quoi les zoroastriens persans, gagnés par un souffle nouveau, reprirent leurs activités religieuses jadis délaissées, se lancèrent dans la construction de multiples centres scolaires et administratifs à Yazd. En somme, sous le regard consentant des autorités temporelles successives, ils s’appliquèrent à réinvestir leur culture. C’est ainsi que Yazd devint la première des villes iraniennes par le nombre de ses centres administratifs, liturgiques et pédagogiques zoroastriens. Parmi ces derniers, il faut mentionner l’école et le lycée Mârkâr de Yazd fondés par Mirzâ Soroush Lahrâsb et son épouse, ouverts à toute la population de Yazd, sans discriminations aucunes. [3]

Dakhmeh ou "tour du silence", où étaient auparavant déposés les corps des défunts zoroastriens, Yazd

Aujourd’hui en Iran, un grand nombre d’associations zoroastriennes sont actives à différents niveaux. Leur principal rôle est de mettre à la disposition de leurs coreligionnaires un lieu rituel de rassemblement. C’est ainsi que ces centres associatifs jouxtent habituellement un « temple du feu » (âtashkadeh), espace privilégié de l’ancienne croyance, où le « feu sacré » continue d’être veillé par les prêtres zoroastriens. Ces associations constituent les points de départ ou les relais de l’ensemble des activités rattachées directement ou indirectement au zoroastrisme. On y gère le fonctionnement des centres scolaires, on y résout les divers problèmes d’ordre administratif, on y distribue les messages adressés par les grands mo’beds [4] à la communauté. Ces associations sont également chargées de tenir les membres de la communauté au courant des événements liturgiques ou autres événements culturels. La majorité d’entre elles sont situées à Téhéran et à Yazd, et les autres, dans les grandes provinces du pays.

A Téhéran, on compte 17 sociétés zoroastriennes dont l’association Adriân de Téhéran. C’est la première en date des fondations zoroastriennes de l’Iran. A son propos, le grand mo’bed Keykhosro écrit dans son journal intime : « J’ai pensé à construire un lieu de prière pour les 500 zoroastriens de Téhéran qui n’ont pas même accès à un temple pour la pratique de leurs rituels. » [5]

L’âtashkadeh, temple zoroastrien de Yazd - Photo : Pedrâm Veisi

Le processus qui conduisit à la naissance d’Adriân de Téhéran débuta le 13 aout 1913 et se poursuivit jusqu’à son inauguration en 1916. Celle-ci bénéficia de la contribution des Iraniens d’Inde, de celle des zoroastriens de Téhéran et de bien d’autres autres provinces du pays. Il a fallu rallumer le brasier du temple en puisant à la source, et pour ce faire, apporter le « feu sacré » de la ville de Yazd vers Téhéran. C’est ainsi que les prêtres zoroastriens Ardeshir Rostam Rostami, Bahrâm Rashid Rashid et Hormozdyâr Bahrâm Soroush se rendirent à Yazd et 25 jours plus tard, revinrent à Shâh ’Abdol-Azim, dans la banlieue téhéranaise, avec le feu sacré qui s’en alla ensuite éclairer le temple d’Adriân de Téhéran. La première société zoroastrienne venait de faire son apparition à Téhéran intramuros.

Pir-e Nâraki, lieu de pèlerinage zoroastrien situé à 58 km au sud-est de la ville de Yazd -
Photo : Fanian

Nommons également, entre autres associations zoroastriennes installées à Téhéran et ses alentours, la Société zoroastrienne de Téhéran, la Société zoroastrienne de Karaj, la Société des mo’beds de Téhéran et le Bureau des études culturelles du zoroastrisme, la Maison de l’étudiant, la Société des femmes zoroastriennes, la Société Farvahar des jeunes zoroastriens et la Société artistique et culturelle de Djamshid. Ajoutons à la liste non exhaustive des lieux associatifs, le Mausolée de la Fondation Pieuse du Palais turquoise (Ghasr-e-Firouzeh), 11 centres scolaires dont le collège et lycée Firouz Bahrâm, 5 hôtel-restaurants, une bibliothèque (la Bibliothèque Bahrâm Ardeshir), ainsi qu’une clinique et un sanatorium.

A Yazd également, on compte plus de vingt-cinq associations zoroastriennes, treize temples du feu et mausolées, cinq centres scolaires, deux maisons de repos et onze hôtel-restaurants zoroastriens. A Kermân, on dénombre huit associations, quatre temples du feu, huit centres scolaires, sept hôtel-restaurants, un musée, une bibliothèque et une clinique, le tout prioritairement réservés aux zoroastriens. Dans les autres provinces, le nombre de ces structures tend à diminuer mais Ispahan, avec quatre centres, la ville de Shirâz et la région du Khouzestân, avec respectivement deux et trois centres zoroastriens demeurent les lieux communautaires les plus actifs après la capitale et Yazd. [6]

L’école et le lycée Mârkâr de Yazd fondés par Mirzâ Soroush Lahrâsb et son épouse

Les publications

Les ouvrages et les publications concernant le zoroastrisme restent rares. Pourtant, certains titres continuent toujours plus de séduire les zoroastriens et autres passionnés ou amateurs de la Perse antique et du prophète Zoroastre. Les ouvrages généralistes sont disponibles dans la plupart des librairies, mais très peu disposent de publications spécialisées. Parmi ces dernières, la Librairie Farvahar de Téhéran est la plus connue et la plus fournie en la matière. Elle entretient par ailleurs des liens avec la Société Zoroastrienne de Téhéran. Toutes les publications de cette dernière y sont donc disponibles. Quant aux autres support-papiers, le bihebdomadaire culturel A’Mordâd se positionne sans doute à l’avant-garde des parutions. A’Mordâd vient de publier son 205ème numéro en 12 pages après onze années de publication. Il se consacre avec succès à la culture, à la tradition et au folklore irano-zoroastrien. [7] La Société des mo’beds de Téhéran publie également une petite revue consacrée au compte rendu des activités, des diverses réunions et des discours prononcés par les zoroastriens ou à propos du zoroastrisme en Iran. D’autres publications, parmi lesquelles, le Mâhnâmeh de Farvahar, le Périodique de Vahoumân, l’Almanach de Râsti, le Pârseh Nâmeh, le e-Journal de Parsiân-e Yazd et le Mensuel d’Esfand de Kermân reçoivent également un bon accueil de la part de leur public. [8]

Pârs Bânou, lieu de pèlerinage zoroastrien situé à 54 km de la ville d’Ardakân

Les centres scolaires

Les écoles, les collèges et les lycées font partie des espaces décisifs de survie pour le monde zoroastrien. Les grands prêtres, les représentants institutionnels, et les porte-parole des zoroastriens ont tous fréquenté ces écoles et ont tous suivi le même type d’apprentissage. Le lycée Firouz Bahrâm, avec ses 70 années de bons et loyaux services, est l’un des plus anciens lycées d’Iran. Il fut fondé en 1932 par Bahrâm Jei Pikâdji, zoroastrien d’Inde, en souvenir de son fils « Firouz » mort prématurément à l’âge de 20 ans. Le lycée ouvrit ses portes à la fin de cette même année 1932 sous les auspices de Keykhoshro Shâhrokh, et poursuit, aujourd’hui encore, ses activités pédagogiques.

Pir-e Setti, lieu de pèlerinage zoroastrien situé dans la citadelle d’ Asadân, quartier de Maryam Abâd, ville de Yazd

D’autres structures similaires méritent d’être citées (onze en tout) parmi lesquelles, à Tehrân-Pârs (à l’est de la capitale), le lycée de Maître Pourdâvoud, le lycée Agâhi, le collège Hormoz Arash, ou encore l’école Djamshid-e Djâm. A Kermân et à Yazd également, on compte respectivement huit et cinq centres scolaires zoroastriens qui assument la formation d’une partie de leurs coreligionnaires.

Pour améliorer le niveau scientifique et la qualité de l’enseignement, les responsables éducatifs n’ont de cesse de proposer de nouvelles alternatives aux membres de leur communauté. Au cours de la dernière réunion interscolaire qui s’est tenue en 2008, le représentant des zoroastriens à l’assemblée nationale, Esfandiâr Ekhtiâri a, par exemple, insisté sur les différents problèmes auxquels les élèves zoroastriens se trouvent confrontés. Selon ce dernier, il est impératif de mettre à jour les programmes scolaires en fonction des besoins réels et actuels des élèves. M. Ekhtiâri est actuellement le 11ème représentant des zoroastriens à l’Assemblée nationale.

Partie du bâtiment de l’école et lycée Mârkâr de Yazd - Photo : F. Demehri, 2006

Au long du siècle passé, la société zoroastrienne iranienne a finalisé de nombreux projets bénéfiques à son épanouissement. Elle a également pu bénéficier d’une autonomie suffisante et surtout constructive en sa qualité de minorité religieuse. Elle est en cela non seulement redevable aux efforts des figures emblématiques de la communauté, tel que maître Djamshid Bahman Djamshidiân, premier député zoroastrien à l’assemblée nationale en 1945 [9] et Keykhosro Râsti, fondateur de l’imprimierie zoroastrienne en 1953. La perpétuation de cette tradition (au moins) deux fois millénaire doit également beaucoup au volontarisme des zoroastriens et des organes et structures sociétales qui ont permis de sauvegarder le « feu sacré » de leur religion. [10]

La « nuit de Yaldâ » (shab-e yaldâ), Yazd - Photo : Mahlâ Dârian

Notes

[1La Sociéte des mo’beds (Société des Mages) de Téhéran, Un Regard sur la Religion de Zoroastre, hiver 2008.

[2Tchâhâr shanbeh souri est en fait une appellation qui associe deux événements au départ séparés : une antique fête persane (le sour) et l’assassinat du calife Yazid en 683 ap. J.-C . Mais aujourd’hui, les Iraniens célèbrent cette date sans se référer à ce dernier événement. Voir in Hamid Ameriân, Connaissance de la Culture et des Tribus Iraniennes, Manuel d’Apprentissage des fondamentaux du Tourisme, tome 2, p. 224.

[3La Revue des Mob’eds de Téhéran, No 3, Téhéran, édition de la Société des mo’beds, printemps 2007, p. 6.

[4Les mo’beds (mo’bad ou mubed) sont les prêtres zoroastriens. Gilbert Lazard, Dictionnaire Persan-français, édition Alfa, 2005, p. 419.

[5La Revue des Mob’eds de Téhéran, No 3, Téhéran, édition de la Société des mo’beds, printemps 2007, p. 33.

[6Keykhosro Khosroyâni Râsti, Almanach Zoroastrien de Râsti, édition Râsti, 2009.

[7Bihebdomadaire Culturel, A’Mordâd, no. 203, mars 2009.

[8Keykhosro Khosroyâni Râsti, Almanach Zoroastrien de Râsti, édition Râsti, 2009.

[9Mensuel des zoroastriens, Maître Djamshid Djamchidiân, 1973, No. 7.

[10Touradj Amini, Documents sur les Zoroastriens Contemporains de l’Iran, le Centre des Documents Nationaux de l’Iran, 2001.


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2 Messages

  • Notre voyage en Iran en octobre dernier nous a enchanté.
    Mon mari et moi-même avons été ravis de visiter ce pays tellement riche culturellement.
    Les Iraniens étaient curieux, dignes et d’une grande gentillesse à notre égard .
    Tout était bien : nourriture, hébergement , contacts , lieux historiques etc..
    Pour moi , le fait d’aller à la rencontre de Zoroastre était magique , tout autant que la rencontre avec cette région du monde à qui nous devons tant.

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  • Bonjour

    Je m’intéresse au zoroastrismes seulement depuis quelles mois suite au documentation des écritures et traductions cunéiformes car j’ai compris que le zoroastrisme est la religion des dieux qui sont venu du cosmos nous donner la vie.la bible ancien testament est issus des croyances zoroastrisme et copier en partie lors des captures des israélites a Babylone puis le nouveau testament.

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