N° 77, avril 2012

Les fondements de la médecine iranienne selon l’Avesta


Djamileh Zia


L’Avesta est un ensemble de textes religieux écrits sous les Sassanides (qui ont régné en Iran de 224 à 651), mais dont le contenu date d’une époque beaucoup plus lointaine que l’on situe au cours du IIe millénaire av. J.-C. Les chercheurs pensent que Zoroastre, qui a vécu entre 1000 et 600 av. J.-C., a réformé les croyances qui existaient chez les Iraniens avant lui. La santé, les maladies et leurs traitements sont abondamment mentionnés dans l’Avesta. Ces textes sont donc une source précieuse pour avoir des informations sur la médecine qui était pratiquée en Iran au cours de l’Antiquité. Dans cet article, nous passerons en revue quelques aspects spécifiques de la médecine iranienne d’après les textes sacrés des zoroastriens.

Il existe des paragraphes dans l’Avesta où l’on évoque le premier médecin, qui s’appelait Thrita. Thrita avait le pouvoir de guérir les fièvres et les blessures provoquées par les flèches. Ahoura Mazda lui avait offert un couteau incrusté pour qu’il fasse de la chirurgie avec. De plus, Thrita connaissait les effets des plantes. Le nom de Thrita existe également dans les textes sacrés des Indiens ; on peut donc penser que les Aryens avaient des connaissances en médecine à l’époque où ils n’avaient pas encore migré de leur pays d’origine. Dans d’autres parties de l’Avesta, c’est Fereydoun qui a le pouvoir de guérir les maladies et l’une des hypothèses est que le nom de Thrita s’est transformé en Fereydoun chez les Aryens qui ont migré en Iran.

En Iran au cours de l’Antiquité, le vin fabriqué à partir des plantes médicinales était un moyen thérapeutique

La médecine en Iran au cours de l’Antiquité

Pour les zoroastriens, six anges appelés Amshâspand représentant les qualités spécifiques du Créateur, Ahoura Mazda, veillent au bon fonctionnement du monde. Le mot « amshâspand » signifie « le sacré qui ne meurt pas ». Deux d’entre eux veillent en particulier au bonheur et à la santé des êtres humains. La maladie est la conséquence de l’action néfaste des forces maléfiques, représentées par les Div, qui sont à l’origine des désordres. Préserver la santé est donc un devoir qui entre dans la logique de la lutte permanente dans le monde entre les forces du Bien et du Mal.

Cette théorie générale concernant les maladies explique le fait qu’en Iran, au cours de l’Antiquité, la plupart des médecins étaient des religieux (appelés Mobad ou Mages) ; mais en fait, ceux-ci n’étaient considérés que comme des intermédiaires, le pouvoir de guérison n’appartenait qu’à l’Amshâspand Ordibehesht. Les prières jouaient donc un rôle important dans le processus du traitement, en particulier dans les méthodes de traitement par la suggestion. Les médecins qui avaient le plus haut rang étaient d’ailleurs ceux qui traitaient les malades en ayant recours au Mantra, c’est-à-dire à la Parole Divine. Cette méthode thérapeutique, appelée Mantru Baeshazou dans l’Avesta, était utilisée couramment et prenait de l’importance quand le traitement par les plantes ou par la chirurgie n’avaient pas guéri le malade. Signalons que le mot Baeshazou s’est transformé plus tard (dans le moyen persan) en Bajashki, puis est devenu Pezeshki, qui signifie « médecine » en persan moderne.

Cependant, en Iran au cours de l’Antiquité, un certain nombre de médecins n’étaient pas des mages, mais des personnes issues de la classe des agriculteurs et connaissant de ce fait les propriétés des plantes. La médecine par les plantes était appelée Orvaru Baeshazou. Elle consistait en général à faire boire au malade une infusion, l’essence ou le fruit de la plante, ou encore du vin fabriqué avec la plante en question. Dans d’autres cas, on administrait des inhalations de plantes médicinales, ou des lavages du corps avec une eau qui contenait l’essence de la plante, ou des massages du corps avec une eau contenant la plante en question, pour la faire pénétrer par la peau.

Une autre méthode thérapeutique utilisée par les Iraniens au cours de l’Antiquité était la chirurgie, appelée dans les textes avestiques Karetu Baeshazou qui signifie « la médecine par le couteau ». Elle était utilisée pour traiter les abcès, les blessures, les tumeurs et pour amputer. Pour les chirurgies, le médecin utilisait un anesthésiant qui était généralement de la poudre de Bangha (son nom est mentionné dans l’Avesta) mélangée à du vin. Par ailleurs, le vin était utilisé seul en tant que somnifère et anesthésiant.

La chirurgie était pratiquée en Iran au cours de l’Antiquité

Importance accordée à l’hygiène personnelle et l’hygiène publique

Dans l’Avesta, les paragraphes sur l’hygiène personnelle et l’hygiène publique sont nombreux et témoignent de l’importance de l’hygiène pour les Iraniens dans l’Antiquité, bien avant que les autres civilisations s’intéressent à ces questions. Dans les textes avestiques, l’hygiène se reflète sous différents aspects, dont les plus importants sont les règles pour préserver la propreté de l’eau et de la terre, ainsi que les règles de désinfection.

Les Iraniens accordaient une grande importance au lavage du corps et des vêtements, qui étaient à la fois un devoir religieux et une coutume de la population. Il fallait être propre pour être considéré comme vertueux et pieux. L’une des règles de la religion zoroastrienne (mentionnée dans les textes avestiques) était que l’on devait se laver les mains et le visage plusieurs fois par jour. Cependant, il était interdit de se laver ou de laver du linge dans une eau courante (rivière, canal) pour ne pas polluer cette eau, et toute personne qui voulait se baigner dans une rivière devait se laver d’abord en dehors de celle-ci. Souiller une eau courante en y jetant des saletés ou un cadavre était un grand péché, et toute personne voyant une saleté dans une eau courante avait le devoir de la retirer de l’eau. Rendre la terre impropre était également un péché, et c’est dans cette logique que les zoroastriens n’enterraient pas leurs morts. Une terre sur ou dans laquelle un cadavre d’être humain ou d’animal avait existé était considérée comme souillée, donc impropre à l’agriculture durant un an après l’enlèvement du cadavre. En tenant les saletés à l’écart de l’eau et des terres agricoles, les Iraniens ont réussi à avoir probablement une eau salubre la plupart du temps et ont pu ainsi diminuer le taux des maladies dans la population.

De nombreuses autres règles religieuses avaient pour objectif de limiter la transmission des maladies. L’interdiction de boire dans le même verre que quelqu’un d’autre, l’interdiction de toucher les cadavres et les matières excrétées par les vivants faisaient partie de ces règles. Par ailleurs, détruire les insectes, en particulier les mouches, était un acte recommandé. De plus, dans les textes sacrés des zoroastriens, il existe des paragraphes à propos de la mise en quarantaine des malades contagieux et la destruction de leurs vêtements.

Les règles de nettoyage qui existent dans la religion zoroastrienne correspondent à des méthodes pour empêcher la contagion des maladies. Les textes sacrés des zoroastriens permettent de conclure qu’au cours de l’Antiquité, les Iraniens avaient des méthodes pour désinfecter les objets souillés. Le soleil était considéré comme le plus grand désinfectant ; le feu était désinfectant également par sa chaleur et c’est pour cette raison, entre autres, qu’il était respecté. Le froid était également un élément désinfectant, comme le chaud. Le soleil, le chaud et le froid étaient utilisés pour désinfecter les objets et le linge, après qu’ils aient été lavés. Le feu était utilisé pour désinfecter les objets métalliques. De plus, pour désinfecter les pièces d’un bâtiment, on y allumait un feu et l’on brûlait des plantes parfumées car la vapeur de ces plantes était également considérée comme un élément désinfectant. Les plantes les plus utilisées étaient la rue sauvage, le myrte, le girofle, l’origan de perse (âvishan), le santal rouge ou blanc, le camphre, le bois d’aloès, et la gomme ammoniacale qui dégageait des fumées d’ammoniac quand on la brûlait. Le mélange de vinaigre, d’ail et de vin était également utilisé comme désinfectant.

Les informations contenues dans les textes sacrés des zoroastriens reflètent la médecine qui était pratiquée en Iran jusqu’à environ 700 ans av. J.-C. Après cette date, la médecine des autres civilisations – égyptienne et grecque surtout – a été introduite en Iran (à la suite des guerres et des conquêtes des achéménides) et a été mélangée à la médecine pratiquée en Iran jusqu’alors.

Sources :
- Pour les informations à propos de l’Avesta : L’article de Jean Kellens intitulé « L’Avesta, Zoroastre et les sources des religions indo-iraniennes » consulté sur le site www.clio.fr le 3 mars 2012, et l’article intitulé « Indo-Aryan migration » consulté sir le site en.wikipedia.org le 5 mars 2012.
- Pour l’histoire de la médecine en Iran dans l’Antiquité : Najmabadi, Mahmoud, Târikh-e teb dar Irân pish az eslâm (L’histoire de la médecine en Iran avant [l’avènement de] l’islam), Editions de l’Université de Téhéran (Enteshârat-e Dâneshgâh-e Tehran), 1340 (1961), pp. 151-314.

Note : Docteur Mahmoud Najmabadi (1903-2000) a consacré sa carrière universitaire à la recherche sur l’histoire de la médecine. Il a été membre de la première Académie de la langue persane et de l’Académie des sciences Médicales de l’Iran, président de l’Association Iranienne de l’Histoire des Sciences et de la Médecine, ainsi que vice-président de l’Association Internationale de l’Histoire de la Médecine.


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