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La figure de Saadi (Abou Mohammad Mosleheddin Ibn Abdollâh, né et mort à Shirâz 1213-1292) est apparue dans le répertoire de la littérature persane comme un élan majestueux vers la méditation spirituelle, permettant la purification de l’âme par la sensation humaine.
Ce mariage entre la spiritualité et la sentimentalité révèle le souci constant du poète pour le bonheur humain. Celui-ci implique principalement un nouveau langage dans la mesure où il répondrait aux exigences de tout individu exalté, désespéré, voire déprimé. A cet égard, la poétesse Marceline Desbordes-Valmore (1785-1859) prend le nom de Saadi dans son célèbre poème « Les Roses de Saadi » afin de généraliser son statut de poète de façon plus remarquable. Le choix d’un tel poème renvoie sans doute à une mélancolie causée par la séparation survenue entre la poétesse et son bien-aimé.
A ce titre, dans son fameux livre Irân dar adabiyât-e Jahân (L’Iran dans la littérature du monde), Shoja’-od-Din Shafâ souligne : « La source d’inspiration de Marceline Desbordes-Valmore dans « Les Roses de Saadi » fut son amour ardent pour un homme dont elle n’a jamais voulu parler. » [1] Selon cette allégation, l’attrait poétique de Saadi apparaît dans les rapports sentimentaux de ceux qui sont satisfaits de transformer leurs désirs en un amour éthéré et chaste.
J’ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir, [2]
Dans cet extrait, la rose est le symbole de la vitalité de l’esprit qui fortifie l’âme lorsqu’il s’agit de l’apaiser au travers d’un comportement subtil et du langage commun : la louange de l’amour fait le bonheur de l’aimé, et l’amante trouve son équilibre dans la parole de l’autre. La poétesse française montre ici son affection enthousiaste et débordante pour l’être à qui elle a attribué tant de beauté et de fraîcheur.
Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées.
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir,
La vague en a paru rouge et comme enflammée. [3]
Le déchaînement désigne ici la fragilité de l’existence lorsqu’elle devient un moyen de s’échapper fugitivement vers l’immensité de l’univers instable et éphémère. Cependant, la transformation de l’eau en rouge est le signe de la souplesse humaine. L’image que notre poétesse donne de son amour menacé fait apparaître le cheminement d’un parcours poétique par lequel tout devient fluctuant pour son esprit. L’usage du terme « enflammée » évoque la supériorité de l’âme sur l’être notamment dans les moments monotones de la vie humaine. Ceci dit, la notoriété des poèmes de Saadi ne se limite pas à un rapport réciproque entre l’amant et sa bien-aimée, mais à une tentation sensuelle qui fait que l’amour mérite d’être apprécié par le secret de l’intimité suprême. Dans l’œuvre de Marceline Desbordes-Valmore, la délicatesse de la poésie de Saadi est présentée comme une élévation vertueuse pour la quête de soi et celle d’autrui. A cet égard, il faut mentionner l’opinion de Victor Hugo sur Saadi tel qu’il écrit dès 1824 dans Odes et Ballades « Novembre » (XLI) : « Je lui dis : la rose du jardin, comme tu sais dure peu ; et la saison des roses est bien vite écoulée ». De même, La Captive (IX) citait ce texte du Golestân ou Gulistan de Saadi : « On entendait le chant des oiseaux aussi harmonieux que la poésie ». [4]
C’est ainsi que la poétesse se réfère à son état d’âme :
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée… [5]
Dans ce passage, à l’instar de Saadi, la poétesse décrit la grandeur de l’amour par l’odeur des fleurs comme étant un moyen d’attirer l’amant et de le purifier mentalement :
Respires-en sur moi l’odorant souvenir. [6]
L’adoration est hautement exagérée par l’amante afin de trouver un appui sentimental. En guise de conclusion, nous pouvons dire que dans les poèmes de Marceline Desbordes-Valmore, le style poétique de Saadi est une composante quasi-émotionnelle utilisée afin que l’amante puisse se souvenir du passé par le biais d’un monologue intérieur d’une part, et par une évocation sereine d’autre part. Un tel poème à la fois mystérieux et spirituel pourra être le pivot de tout destin salvateur. Comme Saadi, Marceline Desbordes-Valmore estime que l’amour se cristallise dans la pensée humaine et est ultimement destiné à être le ressort de la perfection morale.
Bibliographie :
Shafâ, Shojâ’-od-Din, Irân dar adabiyât-e jahân (L’Iran dans la littérature du monde), Ibn-e Sinâ, Téhéran, 1953.
La "littérature-Monde" francophone en mutation, Harmattan, Paris, 2009.
Ducros, D., Lecture et analyse du poème, A. Colin, 1996.
Linares, S., Introduction à la poésie, Nathan Université, 2000.
[1] Shafâ, Shojâ’-od-Din, Irân dar adabiyât-e jahân (L’Iran dans la littérature du monde), éd. Ibn-e Sinâ, 1953, p. 30.
[2] Ibid. p. 81.
[3] Ibid.
[4] Valérie, Cambon, La littérature-Monde francophone en mutation, Harmattan, Paris, 2009, p. 172.
[5] Ibid.
[6] Ibid.