N° 80, juillet 2012

La peinture à l’époque qâdjâre


Zeinab Sadough


La période qâdjâre a été une période politiquement très mouvementée, intérieurement et extérieurement, une période qui a connu beaucoup de changements et de développements mondiaux, qui ont eu chacun une grande influence sur la situation politique et culturelle de l’Iran.

Le maître calligraphe Mirzâ Rezâ Kalhor

Malgré tous les problèmes politiques et sociaux, les rois qâdjârs prêtaient beaucoup attention aux arts et en particulier à la peinture. Ils étaient d’ailleurs souvent artistes. A titre d’exemple, Fath’Ali Shâh, dont le règne a prouvé son incapacité à bien diriger le pays, était un poète relativement talentueux, et composait sous le pseudonyme de "Khâghân" ; Nâssereddin Shâh, quant à lui, avait un réel talent d’écrivain. Il s’intéressait également à la peinture et était l’élève de Kamâl-ol-Molk. Il a également introduit la photographie et le cinématographe en Iran.

L’étude par les artistes iraniens des styles, méthodes et techniques de la peinture occidentale (en particulier les peintures italienne et française) a permis à la peinture iranienne, vieille de plus de mille ans, de se rénover avec la mise en œuvre des nouvelles expériences, styles et outils occidentaux. Il faut indiquer qu’avant cette évolution, la peinture persane fut largement influencée par les formes orientales, marquées par des compositions plates centralisées et en spirales, initiées et propagées par les artistes chinois de la période timouride. Les artistes persans ont alors commencé à appliquer de nouvelles techniques venues de l’Occident, comme l’utilisation de la toile, de nouvelles brosses et de nouvelles perspectives. En utilisant ces nouvelles techniques avec talent et créativité dans le cadre de la peinture traditionnelle, les artistes iraniens ont réussi à rénover la peinture iranienne, entrée dans une nouvelle ère.

Les débuts du réalisme

Durant l’ère qâdjâre, la peinture et le dessin iraniens se sont distingués l’un de l’autre et sont devenus deux disciplines différentes. Avec l’apparition des premières machines à imprimer et la généralisation de l’utilisation de la lithographie, les artistes ont créé les premiers échantillons de gravure sur bois, ce qui a entraîné la diminution des difficultés techniques, notamment en permettant une meilleure impression des lignes et surfaces.

Ces gravures peuvent être considérées comme les premières œuvres d’art graphique en Iran. Durant le règne de Nâssereddin Shâh, la presse prend un essor notable et de nombreux journaux sont publiés, l’impression s’étant améliorée notamment avec les efforts de simplification calligraphique de Mirzâ Rezâ Kalhor et les innovations en illustration d’Aboutorâb Ghaffâri, peintre de la cour qâdjâre. Le développement de la presse a poussé à un développement des arts graphiques et visuels. Le dessin "animé" en Iran date également de cette période. Durant l’ère constitutionnelle, même si la majorité de la population était analphabète, il était pourtant nécessaire pour les constitutionnalistes que les citoyens aient accès aux informations relatant les événements politiques. Les caricatures se généralisent également et permettent l’expression du mécontentement général. On peut en particulier citer les illustrations et les caricatures des journaux satiriques Mollâ Nasreddin et Hasharât-ol-Arz. La sensibilisation des dirigeants aux opinions politiques et sociales du public est peut-être l’une des raisons les plus importantes du développement de l’art de cette période.

Scène de la bataille de Karbalâ, par Mohammad Modabber, deuxième fondateur de l’école picturale ghahveh-khâneh

Les caractéristiques du réalisme

Les artistes de l’époque qâdjâre s’intéressaient plutôt aux détails physiques de leurs sujets. Par exemple, l’esquisse des hommes et en particulier des dirigeants de ce moment-là se concentrait sur l’illustration de la moustache, la barbe longue et noire, la maigreur de la taille, les sourcils joints, le chapeau orné, l’arme décorée de bijoux, de beaux vêtements. Les sujets étaient dessinés sans complexité. En ce qui concerne les femmes, leurs portraits mettaient en valeur les courbes du corps, les tatouages, les bijoux et en général, les éléments caractérisant les femmes de la cour. Elles étaient également souvent portraiturées avec leurs enfants pour rappeler leur pouvoir de fertilité.

Les portraits montrent les sujets fixant directement le spectateur. Cette caractéristique est aussi visible dans les films et les photos de cette époque, comme si le sujet défiait avec mutisme le spectateur.

Durant cette époque, les artistes ont abandonné l’abstraction, l’imaginaire et l’absence de perspective, toutes inspirées par l’art asiatique. Sous l’influence des échanges culturels et des nouvelles techniques venues de l’Occident, les artistes iraniens ont commencé à appliquer l’anatomie et des perspectives variées, tout en utilisant des couleurs naturelles ainsi qu’une nouvelle luminosité pour créer des œuvres réalistes et orientées vers la nature. Dans cette approche, les premières œuvres, marquées par la nouveauté de l’attitude, du regard, de la technique et des éléments employés, sont souvent inférieures aux œuvres occidentales et il a fallu attendre avec que les artistes iraniens ne parviennent à créer des œuvres mémorables.

L’Imâm Ali et ses deux fils, l’Imâm Hassan et l’Imâm Hossein, par Ebrâhim Naghâsh Bâshi, peinture à l’huile sur carton, période qâdjâre

La lumière occupe une place importante dans les œuvres de cette époque, mais l’angle de la lumière n’était pas très précis, c’est pourquoi la surface des tableaux était marquée par une luminosité très contrastée. L’un des désavantages de cette méthode est que l’artiste ne pouvait pas représenter les trois dimensions, c’est pourquoi les tableaux de cette époque sont uniquement bidimensionnels. Cependant, à la fin de l’époque qâdjâre, les artistes ont commencé à prêter beaucoup plus attention aux volumes. Peu à peu, à la fin de cette période, un grand changement est perceptible dans toutes les formes existantes, par exemple dans les dessins des objets en verre ou en porcelaine, sur les toitures, les vêtements féminins, les gestes des sujets, les symboles utilisés dans les œuvres, comme la canne, la chaise, la couronne, le chapeau des hommes, etc. Ces exemples mettent en évidence l’étendue de ce changement. La peinture à l’époque qâdjâre peut être subdivisée en trois périodes différentes :

1-La première période, s’inscrivant dans le règne d’Aghâ Mohammad Khân Qâdjâr, est marquée par la relation visuelle entre les éléments de la peinture zand, safavide et qâdjâre.

2-La deuxième période, qui va du règne de Fath’Ali Shâh à celui de Nâssereddin Shâh, durant laquelle les artistes iraniens découvrent et apprennent les principes de la peinture européenne.

3-La troisième période, qui commence sous le règne de Nâssereddin Shâh, où les artistes iraniens commencent à appliquer les techniques européennes dans leurs œuvres.

Nâssereddin Shâh, tableau de Mirzâ Abolhassan Ghaffâri (Sani’ol-Molk)

Au fur et à mesure, les tableaux iraniens se sont davantage rapprochés de la peinture européenne et avec la généralisation de l’imprimerie et la diffusion d’une certaine culture au sein de la population, l’accès et l’intérêt pour la peinture se sont accrus. La peinture, jusqu’alors réservée à la cour sous sa forme "classique", est devenue un art public, de même que la photographie et le cinéma. Ces deux dernières disciplines jouent d’ailleurs un rôle notable dans le développement de la peinture moderne en Iran.

Deux courants de peinture sont notables durant cette période :

- Le premier, influencé par la religion et la culture publique, est connu sous le nom de naqqâshi ghahveh-khâneh (peinture de café)

- Le deuxième est celui de l’école de Kamâl-ol-Molk, une école marquée par une formation académique et qui suit des perspectives scientifiques. Les artistes formés dans cette école ont pu créer les premières œuvres réalistes de l’époque. C’est pour la première fois dans l’histoire artistique de l’Iran qu’outre des maisons de peinture affiliées à la cour, des ateliers d’art ont pu se développer indépendamment comme celui de l’école polytechnique Dâr-ol-Fonoun ou l’Atelier artistique du Ministère de l’éducation. Ces ateliers séparés de la cour ont influencé le développement de l’art pour les prochaines générations. Le budget de ces deux écoles était fourni par le gouvernement.

Il est à préciser cependant que plus que la cour qâdjâre, ce sont les profonds changements que vivaient la société iranienne et le monde de l’époque qui ont influencé la peinture iranienne de cette période. L’influence occidentale de cette période n’a non seulement pas étouffé l’art iranien, mais l’a enrichi par sa nouveauté, son expérience et l’étendue de ses techniques.

Scène de la mise à mort du Démon blanc (Div-e Sefid) par Rostam, de Hossein Ghollar Aghâssi, un des fondateurs de l’école picturale ghahveh-khâneh

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