N° 22, septembre 2007

Hamid Mossaddegh, De la séparation


Rouhollah Hosseini


Ces vers (écrits en 1964), devenus très tôt populaires, constituaient le mot d’ordre des étudiants réfractaires à la dictature de l’ancien régime d’Iran. Ils sont par ailleurs révélateurs de l’atmosphère de révolte dans laquelle baigne la poésie de Hamid Mossaddegh (1939-1998). Le titre de son premier ouvrage, L’étendard de Kâveh (1961), illustre cette dimension essentielle de l’œuvre de l’auteur. Celle-ci est cependant profondément marquée, comme les textes d’un grand nombre de poètes de l’époque, par la célébration de l’amour, la plainte contre la séparation et le pesant désespoir de l’amant, déçu dans sa quête de bonheur auprès de sa bien-aimée. Un profond pessimisme est ainsi à l’œuvre chez ce poète. Pourtant Mossaddegh ne manquera jamais, tout au long de sa vie d’artiste, de chanter l’amour, tout en continuant de nourrir son tempérament de contestataire :

Si je ne deviens pas nous

Si tu ne deviens pas nous

- Tu seras toi

Peut-être pourrions-nous

Attiser de nouveau

La flamme de solidarité

En Orient

Peut-être pourrions-nous

Dénoncer les malhonnêtes !

Si je me lève

Si tu te lèves

Tout le monde se lèvera

Si je m’assois

Si tu t’assois

Qui se lèvera ?


Prélude

Tu as ri de moi

Et tu ne savais point

Quelle peur me prit

Quand

Au jardin du voisin

Je volais la pomme

Le jardinier courut après moi

Il vit la pomme

Dans ta main

Et me regarda avec fureur

Cette pomme mordue

De ta main

Tomba au sol

Et tu partis

Mais toujours

Depuis des années

Le bruissement de tes pas

Se démultiplie doucement

Et doucement

A mes oreilles

Et me gêne

Et depuis

Je suis plongé

Dans l’idée

Que notre petite maison

Manquait de pomme

Parfois

Je me demande

Qui t’apprendra la nouvelle de ma mort ?

Ce jour-là

Si seulement

Je pouvais voir ton visage !

Ton haussement d’épaules

- Indifférent -

Et le mouvement de ta main

C’est-à-dire

- Peu importe !

Et ton haussement de tête

- Tiens ! enfin, il est mort ?

- Hélas !

Si seulement je pouvais voir !

Je me dis :

" Qui croirait

Que le feu de ton amour

Embrasa la forêt de ma vie ? "

Sans foyer

Je suis comme le vent

Errant

Je suis comme le nuage

Des parures

Je me suis moqué

Moi-même échevelé, je me suis moqué des parures

- Mais la pierre d’un enfant

Troublait le doux sommeil des pigeons

Dans leurs nids

Et le vent

Racontait le récit de mon errance

Pour les feuilles d’arbres

Le vent me disait :

" Homme, comme tu es pauvre ! "

Et le nuage le croyait.

Je vis mon visage dans le miroir

Tu avais raison

Ah ! Je vois, je vois

Tu es heureuse autant que je suis seul

Je suis endolori autant que tu es belle


Dans l’attente

Sur le seuil

Une jeune fille

Dans l’attente

Cherche au milieu des passagers

Son homme

Elle lève encore les yeux

L’oiseau de son regard prend son envol

Au plus lointain du chemin

Les hommes rentrés

De la guerre

Ont dit

Qu’il reviendrait

Cependant

Ils ont poussé

Dans leurs cœurs

Des soupirs

- son âme s’envole en ce moment

Autour de son toit

Le chemin est vide

De tout passager

Il est minuit passé

Personne n’est sur le chemin

Demain encore

La jeune fille

Dans l’attente

Se tiendra sur le seuil


Jamais

Je te suppliais

D’être avec moi

Tu m’as dis :

- jamais, jamais

Une réponse amère et dure

Et le chagrin de ces jamais

Me donna la mort.

Dans le désert

J’ai vu un arbre étranger

Dans le besoin

Ne serait-ce

Que des caresses d’une pierre passagère

Seul il était assis

Sans feuilles ni fruits

Et brûlait au souffle du soleil

Dans l’attente

D’une goutte de pluie

Il souhaitait l’eau.

Soudainement

Un nuage arriva

Et de joie

Le visage de l’arbre se détendit

Il dit heureux :

" Ô nuage ! Ô bonne nouvelle de pluie !

Mon soupir brûla-t-il ton obscur cœur ? "

Ce nuage noir rugit alors

Il lança un éclair

Et calcina

Le bois de ce vieil arbre !


Hélas

Aux yeux du monde

Notre vie

N’est qu’une goutte

Vis-à-vis

De l’océan

Aux yeux de tant de soleils

Dans les galaxies

La vie de tous les êtres

Est moins lumineuse

Hélas !

Qu’un petit phare

Sans toi

Je sens

Comme de vieux sapins

Mon amère ruine du dedans

Ma poésie en effet

Réduit ma vie

Je souhaitais

Que tu lises mes poèmes

- A propos, les lis-tu ? -

Non, hélas, jamais

Je ne crois pas que toi

Tu me lises

- Et si tu lisais mon poème ! –

Après toi

Dans mes nuits noires

Comment la lune pourrait-elle

Fredonner

Les esquisses en cours de sa lumière ?

Après toi

Comment pourrais-je

Eteindre

En moi ce feu caché ?

Cette poignante douleur en moi

Comment pourrais-je

L’oublier

Après toi ?

J’avais vécu toujours

Dans l’espoir

De ta faveur

Après toi ?

A Dieu ne plaise !

Je ne serai plus

Après toi

Le soleil sera noir

Je ne trouverai plus le chemin de ton intimité

Après toi

Le ciel de ma vie

Se videra de soleil et de lune

Après moi

Le ciel reste bleu

Bleu comme toujours

Bleu


Détachée de la branche

Dans ces minutes angoissantes

Ces minutes anxieuses

Elle s’en allait

Détachée des branches

Sur les ondes des vents

Jusqu’à se lier

Aux rivières

Sur cette rivière coulante

Et pensant à la mort

La feuille s’en allait

Ecoute la rivière

Qui murmure le chant

Du partir

Des départs sans retour !


Une légende pour le peuple

Après vingt ans

Je l’ai vue, ah !

Etait elle la même ou une autre, me demandais-je

D’elle en elle il y avait une petite chose

Et il n’y avait

Etait elle la même, cette belle ? Redemandais-je

Etonnés, à la dérobée

Nous nous sommes regardés

Et notre étonnement s’accrut

Nous étions peut-être flétris

Tous les deux

Dans la main du vent d’automne

Elle a acheté un livre

Et avec indifférence

Elle s’apprêta à partir

Ma main lui ouvrit la porte

C’était ma vie qui passait devant moi

Elle sortit et se perdit dans la foule

Mais devint pour moi

Le thème d’un nouveau poème

Et pour le peuple elle redevint

Une légende.


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