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Ces vers (écrits en 1964), devenus très tôt populaires, constituaient le mot d’ordre des étudiants réfractaires à la dictature de l’ancien régime d’Iran. Ils sont par ailleurs révélateurs de l’atmosphère de révolte dans laquelle baigne la poésie de Hamid Mossaddegh (1939-1998). Le titre de son premier ouvrage, L’étendard de Kâveh (1961), illustre cette dimension essentielle de l’œuvre de l’auteur. Celle-ci est cependant profondément marquée, comme les textes d’un grand nombre de poètes de l’époque, par la célébration de l’amour, la plainte contre la séparation et le pesant désespoir de l’amant, déçu dans sa quête de bonheur auprès de sa bien-aimée. Un profond pessimisme est ainsi à l’œuvre chez ce poète. Pourtant Mossaddegh ne manquera jamais, tout au long de sa vie d’artiste, de chanter l’amour, tout en continuant de nourrir son tempérament de contestataire :
Si je ne deviens pas nous
Si tu ne deviens pas nous
- Tu seras toi
Peut-être pourrions-nous
Attiser de nouveau
La flamme de solidarité
En Orient
Peut-être pourrions-nous
Dénoncer les malhonnêtes !
Si je me lève
Si tu te lèves
Tout le monde se lèvera
Si je m’assois
Si tu t’assois
Qui se lèvera ?
Tu as ri de moi
Et tu ne savais point
Quelle peur me prit
Quand
Au jardin du voisin
Je volais la pomme
Le jardinier courut après moi
Il vit la pomme
Dans ta main
Et me regarda avec fureur
Cette pomme mordue
De ta main
Tomba au sol
Et tu partis
Mais toujours
Depuis des années
Le bruissement de tes pas
Se démultiplie doucement
Et doucement
A mes oreilles
Et me gêne
Et depuis
Je suis plongé
Dans l’idée
Que notre petite maison
Manquait de pomme
…
Parfois
Je me demande
Qui t’apprendra la nouvelle de ma mort ?
Ce jour-là
Si seulement
Je pouvais voir ton visage !
Ton haussement d’épaules
- Indifférent -
Et le mouvement de ta main
C’est-à-dire
- Peu importe !
Et ton haussement de tête
- Tiens ! enfin, il est mort ?
- Hélas !
Si seulement je pouvais voir !
Je me dis :
" Qui croirait
Que le feu de ton amour
Embrasa la forêt de ma vie ? "
…
Sans foyer
Je suis comme le vent
Errant
Je suis comme le nuage
Des parures
Je me suis moqué
Moi-même échevelé, je me suis moqué des parures
- Mais la pierre d’un enfant
Troublait le doux sommeil des pigeons
Dans leurs nids
Et le vent
Racontait le récit de mon errance
Pour les feuilles d’arbres
Le vent me disait :
" Homme, comme tu es pauvre ! "
Et le nuage le croyait.
Je vis mon visage dans le miroir
Tu avais raison
Ah ! Je vois, je vois
Tu es heureuse autant que je suis seul
Je suis endolori autant que tu es belle
Sur le seuil
Une jeune fille
Dans l’attente
Cherche au milieu des passagers
Son homme
Elle lève encore les yeux
L’oiseau de son regard prend son envol
Au plus lointain du chemin
Les hommes rentrés
De la guerre
Ont dit
Qu’il reviendrait
Cependant
Ils ont poussé
Dans leurs cœurs
Des soupirs
- son âme s’envole en ce moment
Autour de son toit
Le chemin est vide
De tout passager
Il est minuit passé
Personne n’est sur le chemin
Demain encore
La jeune fille
Dans l’attente
Se tiendra sur le seuil
Je te suppliais
D’être avec moi
Tu m’as dis :
- jamais, jamais
Une réponse amère et dure
Et le chagrin de ces jamais
Me donna la mort.
Dans le désert
J’ai vu un arbre étranger
Dans le besoin
Ne serait-ce
Que des caresses d’une pierre passagère
Seul il était assis
Sans feuilles ni fruits
Et brûlait au souffle du soleil
Dans l’attente
D’une goutte de pluie
Il souhaitait l’eau.
Soudainement
Un nuage arriva
Et de joie
Le visage de l’arbre se détendit
Il dit heureux :
" Ô nuage ! Ô bonne nouvelle de pluie !
Mon soupir brûla-t-il ton obscur cœur ? "
Ce nuage noir rugit alors
Il lança un éclair
Et calcina
Le bois de ce vieil arbre !
Aux yeux du monde
Notre vie
N’est qu’une goutte
Vis-à-vis
De l’océan
Aux yeux de tant de soleils
Dans les galaxies
La vie de tous les êtres
Est moins lumineuse
Hélas !
Qu’un petit phare
…
Sans toi
Je sens
Comme de vieux sapins
Mon amère ruine du dedans
Ma poésie en effet
Réduit ma vie
Je souhaitais
Que tu lises mes poèmes
- A propos, les lis-tu ? -
Non, hélas, jamais
Je ne crois pas que toi
Tu me lises
- Et si tu lisais mon poème ! –
Après toi
Dans mes nuits noires
Comment la lune pourrait-elle
Fredonner
Les esquisses en cours de sa lumière ?
Après toi
Comment pourrais-je
Eteindre
En moi ce feu caché ?
Cette poignante douleur en moi
Comment pourrais-je
L’oublier
Après toi ?
J’avais vécu toujours
Dans l’espoir
De ta faveur
Après toi ?
A Dieu ne plaise !
Je ne serai plus
Après toi
Le soleil sera noir
Je ne trouverai plus le chemin de ton intimité
Après toi
Le ciel de ma vie
Se videra de soleil et de lune
Après moi
Le ciel reste bleu
Bleu comme toujours
Bleu
Dans ces minutes angoissantes
Ces minutes anxieuses
Elle s’en allait
Détachée des branches
Sur les ondes des vents
Jusqu’à se lier
Aux rivières
Sur cette rivière coulante
Et pensant à la mort
La feuille s’en allait
Ecoute la rivière
Qui murmure le chant
Du partir
Des départs sans retour !
Après vingt ans
Je l’ai vue, ah !
Etait elle la même ou une autre, me demandais-je
D’elle en elle il y avait une petite chose
Et il n’y avait
Etait elle la même, cette belle ? Redemandais-je
Etonnés, à la dérobée
Nous nous sommes regardés
Et notre étonnement s’accrut
Nous étions peut-être flétris
Tous les deux
Dans la main du vent d’automne
Elle a acheté un livre
Et avec indifférence
Elle s’apprêta à partir
Ma main lui ouvrit la porte
C’était ma vie qui passait devant moi
Elle sortit et se perdit dans la foule
Mais devint pour moi
Le thème d’un nouveau poème
Et pour le peuple elle redevint
Une légende.