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Dans de nombreuses villes iraniennes, des musées, surtout anthropologiques, souvent très intéressants et riches, ont été construits durant ces dernières années dans des locaux ayant autrefois servi de bains publics. Mais d’où vient cette idée magnifique ?
C’est un vieil homme avec des cheveux toujours blancs, habillé aussi en blanc. Il était. Il est mort en mars 2011, suite à un arrêt cardiaque.
Pour l’auteur de ces lignes (calque maladroit d’une expression persane ?), le souvenir est toujours sur scène. Il joue. Avec ses silhouettes, avec son sourire. Il y a une harmonie quiète dans ses mouvements, dans sa posture.
- « Où allons-nous, papa ? » (C’est le Nouvel-an, et la période des rencontres propres à Norouz).
- Chez Monsieur le Docteur Rouholamini.
- Qui est chez lui ?
- Lui, sa femme, et… ses vieux objets. Ses filles sont parties à l’étranger.
- D’où nous le connaissons ?
- C’est un camarade de longue date de ton grand-père.
Nous partons tous les trois. Parfois nous quatre, avec ma grand-mère. Il habite dans son appartement à Behjatâbâd de Téhéran. Tout y est curieux. On est toujours de plus en plus fascinés. Les objets y sont doués d’histoires.
Ah ! La nappe de Haftsin est autre chose chez lui. Il y a deux autres nappes, Haftchin et Haftshin. Ici, un bât sur le sol, là-bas, un faix sur le mur. Les hommes racontent, les objets aussi, même plus vivement, plus avidement.
Nos yeux, tout comme nos papilles, sont régalés. Tant de gâteaux ! On y passe un bon moment, surtout si on demande l’avis d’un enfant. Tout y est simple, sans prétention, sans préoccupation. C’est là que réside la beauté la plus pure, sans fard, sans fardeau. Ah ! Mon Dieu ! Comme les filles non-maquillées. Tu t’en souviens ? Quand on était tout petit ? On est toujours tout petit. On ne grandit qu’après la mort. La vie, c’est cet appétit d’apprendre, ce plaisir de goûter.
Mahmoud Rouholamini est originaire d’un village de Kermân : Kouhbonân. Né en 1928, il part jeune à Téhéran pour étudier à Dârolfonoun, et après une licence en littérature persane de l’Université de Téhéran et une maîtrise en sciences sociales, il part à Paris pour effectuer ses recherches doctorales à la Sorbonne. Parmi ses maîtres figurent Claude Lévi-Strauss, Roger Bastide, Georges Gurvitch et tant d’autres.
Après quatre ans, il est honoré du grade de docteur en anthropologie. Sa thèse concerne « La civilisation ovine chez les nomades de Fars » (traduction incertaine à partir d’une source persane). Il devient ensuite chercheur au CNRS. Un an après, il retourne à son pays natal, et fonde le Département d’Anthropologie de l’Université de Téhéran, devenant lui-même son premier directeur.
Cependant, son apport le plus éminent à l’anthropologie iranienne (sur le plan populaire et non-académique), serait l’idée qu’il conçut et qu’il fit réaliser d’abord dans le Palais Golestân, puis dans plusieurs villes iraniennes, et qui consiste en la restauration de vieux bains publics (un des éléments architecturaux et anthropologiques les plus iraniens) et leur transformation en musées ethnologiques (ou anthropologiques, la nuance scientifique et définitionnelle étant de peu d’importance pour nous ici).
Mais quelle est la source de cette excellente idée ? Comme les bains étaient des lieux de rencontre et de vie sociale à l’orientale de la société féodale de jadis, et qu’ils sont donc d’une grande valeur historique et culturelle, un grand effort devrait être déployé pour les sauvegarder, leur insuffler une nouvelle vie, et leur accorder une vraie signification dans une société qui prend conscience d’elle-même.
L’idée de la restauration de ces bains anciens en musée fut réalisée pour la première fois avant la Révolution de 1979, et le mouvement a pris de l’ampleur durant ces dernières années. Un exemple éminent : les bains de Gandjali Khân, situés dans le bazar traditionnel de Kermân (lui-même particulièrement beau et figurant parmi les bazars iraniens les plus importants).
Monsieur Rouholamini est également l’auteur d’un livre sur les bains publics, publié par les éditions Ettela’ât. Grand connaisseur de Mowlavi, il a également écrit un livre portant sur la tradition du dialogue dans les allégories (ou bien les paraboles) du Masnavi, ainsi que d’autres ouvrages sur les aspects anthropologiques de la littérature persane ancienne.
- Papa, on va rentrer ?
- Oui, chéri, maman nous attend.
- On ne peut pas rester un peu plus longtemps ?
- Non, car d’autres gens arrivent pour rendre visite au Docteur.
- Alors, au Nouvel-an prochain.
Mais le Nouvel-an suivant, le professeur savant et gentil, doté d’un calme paradisiaque et rappelant la génération des Shahriâri et des… autres Shahriârs (princes) de l’Iran n’était plus là. Le maître était décédé avant Nowrouz.