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Les traces du mysticisme islamique dans la miniature
et les arts visuels iraniens :
l’art du negârgari
Aborder l’art en Iran, son évolution au cours de différentes époques, et ses divers aspects, peinture, calligraphie, littérature, architecture ou autres arts décoratifs, signifie aussi aborder la miniature. Le miniaturiste s’inspire de l’imagination et de l’esprit du poète pour dépeindre ce qui sera remis au calligraphe. L’art de la miniature iranienne, à travers les évènements, réels ou imaginaires, s’inspirant de la mythologie persane ou des histoires religieuses et coraniques, contient les mêmes caractéristiques que la peinture classique persane au sens large, des couleurs vives et unies, des surfaces bidimensionnelles, des motifs symboliques – purement géométriques et non géométriques, etc. Il arrive à une maturité remarquable dès l’époque des califats omeyyade et abbaside, c’est-à-dire peu après l’islamisation du pays, en découvrant ses propres caractéristiques dans l’Antiquité classique iranienne. Spirituellement, la miniature persane est définie sur la base d’un déni du privilège de la vie sur la mort de tout phénomène naturel, vivant ou non, et de l’idée que l’ensemble des créatures sont des paraboles et mystères du monde spirituel. Le peintre sait que refléter parfaitement la réalité du monde sensible est une quasi-impossibilité, ouvrant la voie à un véritable rejet du réalisme pictural. C’est pour cela que dans la peinture persane, il n’existe pas de règles pour placer un point aboutissant à un emplacement afin d’envisager un monument.
Les histoires et thèmes littéraires ou spirituels ont toujours été des sujets privilégiés d’illustration pour les miniaturistes, tout comme les œuvres de Saadi qui ont fréquemment été une source d’inspiration chez les miniaturistes depuis le XIVe siècle. A travers les récits littéraires et mystiques, la mise en scène des prophètes et des saints est également privilégiée, au travers d’un regard teinté de mysticisme et certaines des plus belles miniatures exposent les moments critiques de la foi. On peut donner l’exemple de L’Ascension du prophète Mohammad, miniature réalisée environ 60 à 70 ans après la composition du Me’râdj Nâmeh (Livre de l’Ascension) de Djâmi.
Les miniatures ayant pour sujet l’Ascension du prophète Mohammad sont généralement colorées selon des teintes dorées (vermillon, brillante, laquée et épaisse) et un rouge et un jaune pâle.
L’une des spécificités de la miniature persane est sa luminosité décentralisée, déjà apparente dans l’ancienne peinture persane, qui a pour fonction de figurer l’immatériel et le céleste. Elle contribue également à raviver l’univers de l’œuvre en enrichissant son espace de surfaces spécifiques. Quant à la luminosité de l’air céleste et mystique des mosquées, elle apparaît dans la miniature persane sur un fond uni d’or ou des surfaces dorées, argentées, avec des nuances de blancs et de gris. Le talent décoratif du miniaturiste musulman trouve sa source dans son horreur du vide ; ses personnages se superposent et créent une sorte de perspective, et dans un décor naturel, le ciel apparaît en taches vives en haut de l’image.
Le miniaturiste persan ne tente jamais de montrer la profondeur et se concentre entièrement sur les surfaces, les objets et les figures enfermées dans un cadre qui ne possède pas de points focaux. Durant la composition de l’œuvre, l’esprit et la pensée du miniaturiste sont basés sur un mouvement hélicoïdal et circulaire qui surgit de l’intérieur et le fond de la peinture (« le monde interne ») et qu’il tente d’externaliser en dehors du cadrage vers « le monde externe », hors de l’univers matériel. A titre d’exemple, il n’est jamais précisé dans une miniature si la fenêtre est placée devant le porche ou à l’arrière de celui-ci, ou comment une partie de la cour peut apparaître via le mur de la mosquée ou du palais. Le miniaturiste montre simultanément l’intérieur et l’extérieur d’un espace. La particularité du miniaturiste iranien est de relier la dimension spatiale à la dimension temporelle, mais dans la démonstration du monde actuel, comme la façade de la mosquée, de l’école ou d’une salle de bain, il ne dépeint pas la réalité de l’univers matériel en prenant en compte les règles de la perspective et de l’intensité de la lumière et de l’éclairage. Ce n’est pas une copie de la nature qu’il créerait grâce à une vision absolue du monde : en s’inspirant d’un monde au-delà de notre perception, il met en œuvre une nouvelle optique de l’espace et ses éléments. Ainsi, il utilise des espaces bidimensionnels, de la luminosité et de la calligraphie.
Les Européens, après avoir commencé à étudier l’art persan, ont nommé « arabesque » cette forme de peinture et d’art très géométrique, comprenant des treillages, chantournages et autres eslimi. En persan, une distinction est faite entre l’art « normal » et l’art marqué par la spiritualité et la mystique (minou’i) et l’art sacré (qodsi). Cette distinction a permis à l’art moderne persan de se renouveler en intégrant des éléments de l’art non-sacré, tout en restant lui-même. L’art sacré à l’origine de la miniature est à la recherche d’un moyen de pénétrer et refléter la transcendance. « Dieu est beauté ; la nature est belle puisqu’elle est une création divine. »
Pour chaque thème (historique, religieux, littéraire…), les miniaturistes iraniens déterminent des éléments se rapportant au monde immatériel et à l’univers indépendant de la présence physique et concrète. Dans la miniature persane, nous rencontrons une unité générée par la réciprocité des couleurs lumineuses et une lumière légère qui s’entrecroisent : « l’avènement du soleil a pour raison le soleil même ». [1]
Bibliographie :
Krista Nâssi, « Negârgari be Mosâbeh Honar-e Minâii » (La miniature en tant qu’art mystique), Fasl-Nâmeh honar, été 2000, Vije-ye honar-e Qodsi. (numéro spécial « Art sacré »).
Mohammad Khazâii, « Naqsh-e Binandeh dar Fazâ-ye Negârgari-e Irâni » (Le rôle du spectateur dans l’espace en miniature persane), Majaleh-ye di fasl-nâmeh motâle’ât-e honar-e eslâmi (Revue bi-trimestrielle du Journal des études d’art islamique), 1ère année, no. 1, automne-hiver 2005 ; no. 2, printemps-été 2006.
Anâsor-e Honari-e Shi’i dar Negârgari (Eléments artistiques chiites dans la miniature), Institution des études artistiques-islamiques.
[1] Aftâb âmad dalil-e âftâb, vers de Mowlânâ. Le soleil est une métaphore se rapportant à Dieu qui survient.