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Succédant aux Timourides, la dynastie safavide a fait de l’Iran un vaste empire moderne. La période safavide est caractérisée par d’importantes réalisations dans le domaine de l’art persan, notamment en architecture. L’ère safavide marque ainsi un âge d’or artistique de la civilisation iranienne. A partir du règne de Shâh Abbâs Ier, la nouvelle dynastie se stabilisa et la paix s’installa. La capitale fut déplacée à Ispahan. C’est là que les nouveautés architecturales permirent également un net développement des autres arts iraniens.
La dynastie safavide établit le chiisme comme religion officielle. Ceci eut un impact fort dans les changements culturels et artistiques de l’époque. La principale caractéristique des monuments safavides était l’usage uniforme de céramiques, l’un des spécimens principaux de l’ornementation traditionnelle en architecture islamique, avec le but d’orner les grandes espaces des bâtiments par une répétition infinie d’un même dessin en états variés [1]. Ces céramiques sont notamment remarquables par leur variété chromique.
Outre les couleurs, qui ont toujours occupé une place centrale dans les arts islamo-iraniens, il existe des chiffres-symboles importants dans la culture, et qui se manifestent sous d’autres formes dans l’art, tel que le chiffre sept. Le lien entre une couleur et un chiffre n’est certes pas omniprésent, mais le chiffre sept se manifeste cependant très souvent dans la vie culturelle, sociale, spirituelle et universelle islamique, en particulier iranienne [2]. Ce chiffre est lié à un ensemble de sept couleurs. Cet ensemble permet par exemple de créer artistiquement une énumération des jours de la semaine, des sept étages du ciel, de la création des êtres en sept jours, des sept conceptions intérieures du Coran (botoun), des sept arts, des sept voûtes célestes, etc.
Selon les Anciens, les couleurs basiques étaient le blanc, le noir, le rouge, le vert, le jaune, le bleu et le brun. La faïence colorée de ces sept couleurs est l’exemplaire le plus travaillé de l’emploi simultané de couleurs et de chiffres. [3] Les ornements varient de plus en plus en couleurs à mesure que l’on se rapproche de l’époque safavide. A Ispahan, les céramiques de sept couleurs ont un style nouveau. Et l’on peut voir un très grand spectre de couleurs diverses comme les bleus, les jaunes, les blancs, les noirs, les rouges, les verts, les bruns…
Il est vrai qu’il y a, parfois, une confusion de distinction ou terminologique pour ces couleurs. Cette confusion est parfois un résultat linguistique, par exemple, les Turcophones d’Asie centrale utilisent le même mot, kِk, servant à designer le bleu et le vert. En revanche, dans la culture persane, le vert est traditionnellement distingué du bleu qui correspondrait à un degré d’avancement tantôt inférieur tantôt supérieur au vert. Il y a d’ailleurs plus de sept mots pour nommer les couleurs, dans les cultures et les parler divers, en Iran. [4] Parmi toutes ces couleurs, le bleu azur, le bleu ciel et le jaune ont une place distincte et un rôle particulier. On estime que c’est le contraste entre ces couleurs qui crée la magie séduisante et l’attraction des célèbres monuments d’Ispahan et de l’art safavide.
En architecture et culture irano-islamiques, où la couleur est omniprésente, elle a un sens esthétique, mais surtout mystique. La céramique, où se manifeste le plus cette importance accordée à la couleur, est l’élément ornemental dominant de l’architecture islamique iranienne, particulièrement durant l’ère safavide.
La céramique la plus utilisée durant l’ère safavide était celle en sept couleurs, car sa production et son assemblage étaient plus facile et plus rapide que les autres [5]. Parallèlement à cette vitesse et facilité d’usage, les nouveaux bâtiments, palais ou lieux de culte, demandaient à foison de la céramique en tant qu’élément ornemental essentiel.
L’ornement dans l’art islamique est là pour évoquer l’espace saint et céleste, ainsi faut-il décoder et découvrir les mystères de ces images. L’artiste musulman a essayé de créer un espace calme, mystique et spirituel inspirant et s’inspirant de la religion et de la foi.
L’usage de la céramique en architecture irano-islamique traditionnelle est lié à de nombreuses raisons, les plus importantes étant la solidité et la beauté. L’assemblage des couleurs est la raison principale de la beauté des ensembles en céramiques. Ainsi, on peut voir ces couleurs lumineuses et fascinantes dans l’architecture des mosquées iraniennes, à l’intérieur, de même qu’à l’extérieur des bâtiments. Les voûtes et les arches, en particulier dans les mosquées, sont également un signe remarquable de l’univers musulman mystique des architectes de cette période, mais l’utilisation des couleurs, leurs tonalités et leur harmonie montrent plus que tout autre élément, cette dimension immatérielle de l’art islamique. [6] Les nombres et les formes géométriques n’avaient et (n’ont) pas seulement une signification extérieure, mais étaient une manifestation de la Création divine.
Les architectes, utilisant des briques monochromes, pouvaient illuminer les constructions architecturales. Ils déplaçaient les briques, alternativement, avec les jeux géométriques de l’ombre et de la lumière et les clairs-obscurs, et c’est ce jeu avec la lumière qui a poussé à une encore plus grande attention à l’emploi des couleurs. Ainsi, l’usage et la manipulation des céramiques multicolores comme éléments essentiels devinrent courant, ce qui changea l’espace architectural islamique de l’Iran. Le plus grand pouvoir des céramiques fut de transformer une construction monumentale en une construction brillante et unique dans laquelle les techniques architecturales, les ornementations et les couleurs se mélangèrent. Ainsi, ces céramiques colorées furent-elles utilisées pour améliorer la spiritualité, le charme, l’éclat et l’attrait des monuments. [7]
Dans chaque société, chaque couleur évoque un état précis qui a un lien intime avec l’âme des peuples, comme la couleur bleu ciel ou bleu azur évoque le ciel infini et généreux et la quiétude du cœur. Ainsi, les couleurs des ziggourats, de bas en haut, étaient le blanc, qui symbolise le mystère, la clarté et la pureté, le noir, signe d’un univers invisible, le pourpre, symbole de la terre et du monde souterrain, le bleu, l’incarnation du ciel et du cœur, et enfin la couleur dorée des voûtes qui évoque la lumière du soleil. [8] En effet, la couleur, l’éternité et la beauté du soleil ont toujours attiré l’attention des êtres humains, qui en ont toujours fait un symbole central de leurs monuments. Les Iraniens se sont également attachés à montrer cet élément esthétique dans l’architecture des lieux saints islamiques.
Ainsi, pour conclure, nous pouvons souligner que la mosquée iranienne, grâce notamment à la céramique et ses variations chromiques, avec sa cour qui symbolise le paradis, son toit qui veut convier au ciel et sa voûte qui évoque l’arbre de la vie et constitue le symbole de l’Orient, rappelle l’univers éternel décrit par les philosophes et les mystiques musulmans. Cette couverture immuable des monuments religieux iraniens est fortement due à la conception mystique des couleurs et leur harmonie admirable et céleste [9].
Bibliographie (ouvrages non cités dans les notes) :
Bolkhâri, Hassan, Mabâni-e erfâni-e honar va me’mâri-e eslâmi, (Bases mystiques de l’art et de l’architecture islamique), Téhéran, éd. Sourey-e Mehr, 2003.
Sharif, Moâyed, Haft dar ghalamro-e farhang-e jahân (Sept dans le domaine culturel de l’univers) colloque, Shirâz, 1993.
Shâyestefar, Mahnâz, Honar-e Shii (L’art chiite), Téhéran, éd. Motâleât-e honar-e eslâmi, 2003.
Stierlin, Henri, Esfahân, tasvir-e behesht (Ispahan, image du paradis), éd. Farzân, 1997.
[1] Ferried, Roland, "Honarhâ-ye Irân" (Les arts d’Iran), Téhéran, ed. Farzânpour, 1998.
[2] Shekâri Nayyeri, Javâd, Jâygâh-e rang dar farhang va honar-e eslâmi (La place de la couleur dans la culture et l’art islamiques), Téhéran, éd. Vezârat-e farhang va ershad-e eslâmi, 2000.
[3] Ibid.
[4] Sophie Renaud, « Couleurs et culture chez les Kazakhs », Cahiers d’Asie centrale [En ligne], 8, 2000.
[5] Shekâri Nayyeri, Javâd, op.cit.
[6] Ibid.
[7] Malekinejâd, Mehdi, Târikh-e honar-e Irân dar dore-ye eslâmi (L’Histoire de l’art de l’Iran à l’époque islamique), Téhéran, éd. Samt, 2007.
[8] Shekâri Nayyeri, Javâd, Jâygâh-e rang dar farhang va honar-e eslâmi (La place de la couleur dans la culture et l’art islamiques), Téhéran, éd. Vezârat-e farhang va ershad-e eslâmi, 2000.
[9] Malekinejâd, Mehdi, op. cit.