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Lorsqu’il plait à ces dames de s’endormir sur une voir ferrée, le train s’arrête, attend une heure, deux heures, puis redémarre après qu’elles aient daigné bouger un peu. J’en ai fait l’expérience. Personne ne proteste, bien sûr, nous sommes en Inde, et les vaches sont des divinités vivantes.
Le Rig Véda nous raconte une histoire curieuse, d’apparence peu cohérente, et occupant pourtant une large place dans ce texte d’une grande beauté poétique.
Des êtres impurs, malfaisants, dérobèrent des vaches "brillantes" et les retinrent prisonnières sur une lointaine montagne, au fond d’une grotte obscure. Sept hommes sages, des rishi, partirent à leur recherche, assistés de quelques dieux, en tête desquels le principal d’entre eux, Indra. Ils réussirent leur entreprise, libérant les vaches et par la même occasion le monde de l’obscurité en laissant apparaître la lumière de l’aurore.
Que cache ce récit ?
Il rejoint le mythe iranien où Fereydoun ramène le monde à la lumière après avoir combattu le dragon au sommet d’une montagne. D’aucuns ont vu dans ces mythes le retour des vaches grasses après une longue période obscure. Une glaciation peut-être. Rien n’est sûr.
Retournons dans la région d’Ahourâmân, au Kurdistan. Sur une montagne sacrée, jadis, se rendait un culte en l’honneur de Mithra. Une montagne percée d’une grotte, d’où son nom Mergâvân, mer signifiant "caverne" dans le dialecte kurde local, et gâvân, "vaches". La Caverne aux Vaches, donc. Un hasard peut-être ; aujourd’hui encore, dans les régions montagneuses du pays, il est de coutume d’enfermer dans des grottes les animaux domestiques. Voyons un peu plus loin malgré tout. Nous y trouvons une petite ville nommée Divândarreh. De même que pour Divazni, rapproché de Div Agni (Ag-ni), il est possible de voir dans Divândarreh [1] une déformation de Div Indra, le dieu Indra. Or ces dieux se trouvent associés dans la libération des vaches sacrées du Rig Véda. Serions-nous sur le lieu de la naissance d’un mythe ? Comme nous l’étions pour l’Eden de la Bible ? Le lieu focal de toutes les genèses ? Il faudrait alors trouver un autre sens à cette histoire de vaches !
Un penseur indien renommé, Sri Aurobindo, se pencha un jour sur le Rig Véda, voulut en déchiffrer le sens profond [2]. Il en décortiqua chaque mot, à la lueur de la culture du pays. Et fit une découverte étonnante. Gô, le mot indien pour "vache" (gav en persan) [3], est porteur d’un deuxième sens. Il signifie aussi "lumière". La lumière venant du ciel, dans sa polarité féminine [4]. Surgit alors un éclairage différent. Nos vaches sont les atomes de la lumière divine, capturés dans la matière, empêchés d’en sortir.
C’est le combat de l’Homme une nouvelle fois, appelé au dépassement. Il doit franchir les sept étapes que représentent les sept rishi (les hindouistes y verront les chakra). Les dieux l’assistent. Indra est la volonté d’agir, le moteur en quelque sort ; Agni le feu intérieur, poussant l’être à évoluer. L’issue est l’irruption dans la Lumière, rayonnant de cette Lumière, la Xvarenah.
Osons un rapprochement entre ce mythe oriental et notre bonne vieille religion chrétienne.
Remplaçons les vaches par l’Agneau de Dieu (agnus dei), et rapprochons la racine agn du dieu védique Agni [5]. L’Agneau dans sa mandorle n’est-il pas la Lumière dans l’atome [6] ? Il tient la croix, ce chemin à parcourir. Un chemin qu’il montre à l’Homme, difficile, périlleux. Celui-ci n’est pas seul. Il porte en lui Celui de qui il vient. Et vers qui il retourne.
Ce chapitre fait suite au chapitre intitulé "Mehr" publié dans le numéro 84 de La Revue de Téhéran et issu de l’ouvrage Le miroir du monde publié aux éditions Les 3 Orangers, 13 avenue de Saint-Mandé. 75012 Paris - Mail : les3orangers@noos.fr Prix de l’ouvrage : 19,00 euros. Frais de port offerts.
[1] Ou peut-être Divan darreh, la Vallée des Dieux (quoique la ville se situe dans une plaine d’altitude sans rivière).
[2] Sri Aurobindo, Le secret du Véda, Editions Sri Aurobindo Ashram, Pondichéry, Inde.
[3] Il est intéressant de constater la ressemblance de l’indien gô avec l’anglais cow et du persan gav avec vache. En outre, il est possible que gô se soit donné au Kurdistan : les épées courtes ornées d’une tête de vache portaient le nom de gôrz.
[4] Le cheval, ashv (asp en vieux-perse) désignant l’énergie, la force, de polarité masculine.
[5] A l’origine "d’igné", de la nature du feu.
[6] Notons à ce propos que la Lumière divine, la Xvarenah, était symbolisée par un bélier.