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L’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) plus connu sous le nom de Langues’O, est le lointain héritier de l’Ecole des Jeunes de Langues, imaginée au XVIIe siècle par Colbert, premier ministre du roi Louis XIV, dans le but de former de jeunes Français au métier de drogman (de l’arabe turjuman) ou truchement, comme on les désignait à l’époque, c’est-à-dire traducteurs ou interprètes. Complétant ce premier établissement, l’Ecole spéciale des Langues orientales fut créée en 1795, dans l’enceinte de la Bibliothèque nationale, dans le but de former des interprètes en langues orientales, indispensables à la politique et au commerce. Le persan fait partie, avec l’arabe, le turc, le tatar de Crimée et le malais, des premières langues enseignées dans cette école. Louis-Mathieu Langlès, lui-même professeur de persan, en fut le premier président. Devenu en 1971, un institut rattaché à l’Université, l’INALCO acquiert en 1985 une autonomie et devient grand établissement à caractère scientifique, culturel et professionnel sous l’égide du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Sa mission est d’assurer des formations initiales et continues portant sur l’étude des langues et des civilisations de l’Asie, de l’Afrique, de l’Europe orientale, de l’Océanie et des populations amérindiennes, ainsi que sur la géographie, l’histoire, les institutions, la vie politique, économique et sociale des pays concernés. Quatre-vingt-treize langues y sont aujourd’hui enseignées à 9000 étudiants venus du monde entier.
Madame Leili Anvar, enseignant-chercheur à Langues’O, est spécialiste de littérature classique persane. Ses thèmes de recherche portent en particulier sur la littérature mystique d’époque médiévale et la littérature contemporaine féminine d’Iran et d’Afghanistan. Parallèlement à son métier d’enseignante, elle est traductrice, notamment des auteurs mystiques Djalâl ad-Din Rumi et Farid Uddin Attâr. Elle vient dernièrement de signer une traduction en français de l’une des plus célèbres épopées soufies, Le cantique des Oiseaux de Farid Uddin Attâr, aux Editions Diane de Selliers.
Mireille Ferreira : Comment est organisé l’enseignement du persan à l’Inalco ?
Leili Anvar : Le cursus en persan débute en première année post-baccalauréat et se termine au doctorat [1]. Après la création de la licence, quand la réforme LMD [2] a été mise en place, nous avons intégré le master et l’école doctorale. Nous assurons aussi des cours en formation continue pour des salariés d’entreprises. Tous niveaux confondus, l’effectif des étudiants de ce département est d’environ une centaine. Par rapport aux autres langues, c’est un effectif moyen, les plus importants étant ceux du chinois, avec un numerus clausus, puis japonais, hébreu, arabe, russe et, depuis peu, coréen.
Tous les enseignants sur poste à l’Inalco, en tout cas dans les unités de langues qui ne sont pas des langues à gros effectif, ce qui est le cas du persan, enseignent la langue ainsi que leur spécialité. Ainsi, mon collègue [3] est spécialisé dans la littérature persane moderne, il enseigne, en particulier, la genèse du roman contemporain. Je suis moi-même spécialisée dans la littérature persane classique, avec l’étude de textes classiques en troisième année et la méthodologie de la recherche en littérature pour le master. Sur 192 heures annuelles d’enseignement, plus de la moitié est consacrée à l’enseignement de la langue sous diverses formes. Etant moi-même traductrice, j’enseigne dès la première année, outre l’apprentissage du persan de base et de la grammaire, la langue à travers la lecture de textes en persan et leur traduction en français. Sur le plan pédagogique, la pratique des techniques de traduction me semble d’un grand intérêt.
L’enseignement du persan dans son ensemble est assuré par trois enseignants permanents titulaires, à savoir deux maîtres de conférences et un professeur, et par un grand nombre de vacataires qui couvrent l’enseignement de l’histoire, de la géographie, des religions et de la littérature de l’Iran. Dans l’ULC (Unité de Langue et de civilisation) des langues iraniennes, nous enseignons aussi des langues comme le kurde - sorani et kurmandji -, le pashto et le persan d’Afghanistan. Certains enseignements, qui occupent un nombre d’heures limité, sont assurés par des titulaires d’autres départements. C’est le cas pour l’histoire de l’Asie centrale ou de l’Afghanistan, par exemple. Quelques matières, comme l’histoire, sont partagées entre plusieurs enseignants spécialisés de notre département (antiquité, Iran médiéval, Iran du XXe siècle, islam iranien). Un seul enseignant se charge de la géographie de l’Iran, traitée sur un seul semestre.
Toutes les matières en rapport avec le monde iranien peuvent faire l’objet d’une thèse, à condition qu’il y ait un professeur spécialisé dans la matière. Par exemple, comme nous n’avons pas de professeur d’histoire de l’Iran, tout étudiant intéressé a la possibilité de s’adresser à un directeur de recherche spécialisé en histoire de l’Iran dans une université, et suivre à l’Inalco, en parallèle, les cours de compétence avancée en langue.
MF : Quelles sont les méthodes pédagogiques pratiquées pour la langue persane ?
LA : L’Inalco est un institut de langues vivantes aussi, dès la première année, langue écrite et langue orale sont étudiées simultanément, sachant qu’en persan l’écart entre l’écrit et l’oral est très grand. Notre manuel Le persan au quotidien [4] est basé sur l’oral. Les formes complètes de la grammaire et l’écriture sont évidemment enseignées mais notre souci est que nos étudiants soient rapidement capables de s’exprimer en persan et de comprendre la langue parlée en Iran. Dès la deuxième année, nous les initions à la littérature.
MF : Combien assurez-vous d’heures de langue pour chaque niveau d’études ?
LA : En début de première année, nous assurons 6 heures hebdomadaires d’apprentissage de la langue proprement dite, décomposées comme suit : 1h30 de grammaire, 1h30 d’oral, 2 heures de lecture et de traduction, 1 heure d’écriture, complétées par 4 heures d’étude de la civilisation. Ensuite, la proportion entre étude de la langue et étude de la civilisation s’inverse. En dernière année, nous n’assurons plus que 5 heures de langue mais davantage de civilisation.
MF : Quel est le profil des étudiants de l’Inalco en langue persane ?
LA : En première année, les étudiants sont, pour la plupart, débutants mais leurs profils sont très variés. Un contingent non négligeable est constitué d’étudiants d’origine iranienne ou afghane. Il peut s’agir d’Iraniens à part entière mais nés hors d’Iran et ne connaissant pas le persan, ou issus d’un parent ou de grands-parents iraniens, intéressés par la connaissance de leurs origines, ou dont le conjoint est iranien ou afghan. Les étudiants étrangers viennent de partout, italiens, norvégiens, américains, par exemple. En raison de l’exigence des techniques de traduction, les Iraniens venus d’Iran ne sont acceptés que si leur niveau de français est excellent. Un contingent plus restreint, le plus intéressant sans doute, est constitué de ceux suivant un double cursus, étudiant langues et civilisations iraniennes et en parallèle, la philosophie, la sociologie, l’histoire ou la littérature, par exemple. Il s’agit de jeunes étudiants dynamiques, mus par un vrai projet. Nous avons aussi très souvent des militaires de carrière qui préparent un concours les autorisant à venir étudier jusqu’à deux langues aux Langues’O pour se spécialiser ensuite sur certains domaines d’intervention. La plupart, spécialisés sur le Moyen-Orient, suivent un double cursus arabe-persan. Beaucoup de nos anciens étudiants sont partis en Afghanistan après leurs études. Notre enseignement est également ouvert aux étudiants Erasmus (programme d’échanges universitaires au niveau européen) qui viennent passer une année universitaire en France.
MF : Quels sont les débouchés professionnels après des études de persan ?
LA : Nous formons de nombreux diplomates. Le persan est une des langues éligibles au concours Cadres d’Orient des conseillers des Affaires Etrangères pour la section Asie centrale. Mais l’étude de la langue persane stricto sensu offre peu de débouchés professionnels. Le nombre de postes de traducteurs et d’enseignants est très limité. Nous recommandons à nos étudiants de compléter leur formation en langue par un autre cursus. Leur thèse ne doit pas les confiner dans la section des langues rares, ils doivent pouvoir enseigner l’histoire ou la littérature, par exemple. Beaucoup se destinent aux relations internationales pour intégrer des organisations non gouvernementales (ONG), des institutions internationales ou des compagnies d’exploitation des hydrocarbures.
MF : En dehors de l’Inalco, où peut-on étudier le persan en France ?
LA : Au niveau universitaire, la faculté de Strasbourg assure un cursus complet, de la licence au doctorat, à travers son Département d’études persanes. Le Département d’études moyen-orientales de la faculté d’Aix-Marseille enseigne le persan sur trois ans en Licence de langues, littératures et civilisations étrangères. A Paris, l’Université Paris III (Sorbonne Nouvelle) prépare au master et au doctorat.
Pour ma part, j’assure aussi un cours d’initiation au persan à l’Ecole Normale Supérieure, destiné aux Normaliens désirant étudier une langue supplémentaire, qu’ils font valider pour leur diplôme.
Les ministères, comme celui des Affaires Etrangères ou de la Défense, assurent leur propre enseignement. Le Centre culturel iranien de Paris dispense aussi des cours de persan.
MF : Je vous remercie d’avoir bien voulu m’accorder cet entretien pour les lecteurs de La Revue de Téhéran.
[1] Dans le système universitaire, l’architecture des études est fondée sur les trois grades :
Licence : bac + 3 - Master : bac + 5 - Doctorat : bac + 8
[2] Le système LMD (Licence Master Doctorat) permet, par la mise en place de références et d’outils communs, une harmonisation de l’espace européen de l‘Enseignement Supérieur afin d’améliorer la transparence entre les différents systèmes nationaux et leurs établissements.
Cette harmonisation permet :
- les comparaisons et les équivalences européennes
- la mobilité nationale et internationale des étudiants
- une meilleure lisibilité pour l’employeur et une meilleure insertion professionnelle des étudiants.
[3] Christophe Balaے, auteur de l’article « Le roman persan de 1910 à 1930 – Roman historique et roman social » publié dans La Revue de Téhéran (n° 83 octobre 2012).
[4] Manuel de Persan Volume 1 Le persan au quotidien – Collection Langues Mondes - par Christophe Balaے et Hossein Esmaïli, Edition : L’Asiathèque.