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L’enluminure est l’art de décorer et d’illustrer un manuscrit. La signification de l’enluminure n’est pas unique et connait certains changements et évolutions de sens selon les dictionnaires de chaque époque. Le mot persan et arabe désignant l’enluminure est tazhib qui vient du mot arabe zahab signifiant "or". Tazhib signifie donc littéralement "rendre doré".
Cet art était employé dans les textes de grands classiques littéraires ou dans les textes sacrés dont le Coran constitue l’exemple le plus éminent. S’il est pratiqué depuis de nombreux siècles, ce n’est qu’au XIXe siècle que le terme "enluminure " est utilisé pour désigner l’art de l’ornement et de la décoration avec des feuillets d’or. Cet art s’est développé durant les premiers temps de l’ère islamique, lorsque, accompagnant un désir de diffuser largement des exemplaires du Coran, les artistes et calligraphes se sont employés à décorer ses pages calligraphiées de miniatures ou d’ornements à la fois colorés et dorés. Aujourd’hui, l’enluminure est considérée comme un art iranien, étant donné que les artistes persans ont joué un rôle considérable dans le développement de cet art. Les périodes timouride (XIVe siècle) et safavide (XVIIe siècle) sont considérées comme les plus fastes concernant le développement du tazhib. La période safavide a été plus précisément considérée comme étant l’âge d’or de la culture et de l’art persans. Parallèlement au développement des styles calligraphiques, l’enluminure se répandit à Bagdad et dans les autres centres culturels de l’époque. Comme nous l’avons évoqué, cet art a le plus souvent été utilisé pour l’ornementation du Coran, particulièrement pour séparer les différents versets et chapitres. L’enluminure influencée par les arts byzantin et chinois s’est développée à Shirâz et à Ispahan. Elle a été peu à peu utilisée pour orner les œuvres à caractère profane comme les contes et les recueils de poèmes. On la voit aussi dans les poèmes de grands poètes comme Hâfez, Ferdowsi, Nezâmi et autres poètes iraniens.
Les copies les plus anciennes du Coran ont le plus souvent été dispersées après avoir été vendues feuillet après feuillet aux amateurs de parchemins calligraphiés en style coufique. Il n’est ainsi pas facile de connaître avec certitude leur origine géographique. Certains de ces Corans constituent néanmoins des documents précieux pour l’histoire du livre orné en Perse. Parmi eux, nous pouvons évoquer cette copie sur papier d’un Coran dont une partie se trouve à Istanbul, au musée des Arts turcs et islamiques. On en trouve aussi un feuillet à Londres dans la collection Khalili. Le colophon de cette copie enluminée indique qu’elle a été réalisée à Ispahan en 993, à l’époque des Abbassides et alors que le gouverneur d’Ispahan était l’émir Fakhr-o-Dowleh. Ce Coran possède la première signature avérée d’un ’’doreur’’ (mozahheb) ou enlumineur persan. Le nom du calligraphe et celui de l’enlumineur se trouvent à la fois dans les Corans réalisés dans le monde iranien, comme pour un Coran à Dublin copié par Mohammad ibn Ahmad al-Djabali et enluminé par Abd al-Rahmân ibn Mohammad al-Soufi. Parallèlement au règne du sultan Alp Arsalan, un autre Coran richement enluminé est celui de Osman Verraque qui est l’un des plus beaux témoignages de l’art de cette époque. Ce Coran est divisé en trente volumes, dont la plupart se trouvent à Mashhad. La forme la plus simple de décor enluminé est celle du frontispice rectangulaire qui porte un titre ou une invocation respectueuse sous une forme ornementale. Des rectangles enluminés indiquent le commencement des sourates coraniques ou des sections du Livre saint. Des filets rouges, bleus ou dorés sont également utilisés dans l’enluminure du Coran. La calligraphie et le décor se complètent dans les compositions en imitant les décors monumentaux. L’enlumineur reproduit parfois exactement les décors gravés dans le stuc, le bois ou la pierre des monuments de son temps.
Les couleurs de l’enluminure sont obtenues à partir de produits végétaux, animaux et minéraux. Dans la composition d’un livre et de l’enluminure de chacune de ses pages, rien n’est laissé au hasard et tout doit contribuer à son esthétique finale. Par conséquent, l’emploi des couleurs y est très important et permet également de distinguer les écoles les unes des autres. Aujourd’hui, des couleurs artificielles sont également employées. Néanmoins, autrefois, on utilisait des couleurs naturelles comme le noir de vigne, le charbon de bois et le noir issu de noyaux pour la couleur noire ; la céruse, le blanc de coquille d’œuf, la craie ou la pastel pour le blanc ; le vert d’iris, le vert de cuivre et la malachite pour le vert ; le carmin, le minium, et la garance pour le rouge ; et enfin le safran ou le piment pour le jaune.
L’enluminure est bien différente des autres arts comme la peinture et la calligraphie en ce que dans ces arts, il est possible d’utiliser n’importe quelle couleur, alors que dans l’enluminure, leur harmonie est une condition centrale. En général, deux couleurs, l’or et le bleu, sont utilisées lors de la première étape. En orient, l’or est le symbole de la lumière, du savoir et de la spiritualité. La couleur or est la plus utilisée dans l’enluminure, notamment pour écrire le nom de Dieu et les noms saints. L’or représente la lumière solaire en tant que symbole de la Lumière manifestée, signe de l’éveil et de la perfection absolue. Dans l’alchimie, le plomb est transmuté en or, ce qui symbolise la transformation divine de l’homme par la connaissance de Dieu. On peut dire que l’or est le centre de la chaleur, de l’amour, du don ; le foyer de la lumière et de la connaissance. D’autre par, le bleu est le symbole du ciel et de Dieu. Ces deux couleurs l’une à côté de l’autre symbolisent une grâce divine qui a le désir de se manifester et ont donc une valeur ésotérique ; autre caractéristique qui fait de l’enluminure un art digne d’orner le Coran.
Les Seldjoukides
Il est difficilement possible de dater l’origine et la source d’apparition précise de l’enluminure. Néanmoins, il semble que cet art soit apparu durant l’époque des Sassanides, et on peut en retrouver des traces dans l’architecture et les poteries de l’époque. Avec l’avènement de l’islam puis sous les Seldjoukides, l’enluminure connaît un renouveau et un enrichissement en étant utilisée pour orner le Coran mais aussi les récipients, les armes et les monuments de l’architecture seldjoukide. Grâce à l’islam, de nombreux centres d’enseignement de cet art sont mis en place. Malgré l’opposition de certains théologiens, orner le texte sacré devient très vite une pratique courante.
Les Timourides
L’ère des Timourides constitue l’apogée de cet art. Au début des VIIe et VIIIe siècles, Tabriz, ville située au nord-ouest de l’Iran, est le foyer principal de l’épanouissement de cet art qui atteint son niveau de perfection au sein de l’école du même nom. On voit alors des dessins de forme octogonale, des étoiles à douze branches (séparées ou enchevêtrées), des petites fleurs enchevêtrées, ainsi qu’une palette de couleurs principalement composée d’or, de bleu, de rouge, de vert et d’orange. Auparavant, les formes étaient plus simples et géométriques, mais à partir de cette époque, elles deviennent de plus en plus composées comme les shâkh-o barg (branche et feuille) que l’on voit déjà sur l’architecture des mosquées seldjoukides d’Ispahan, de Qazvin et d’Ardestân. Le style timouride se complexifie encore davantage. La culture et l’art du livre persan et timouride a exercé une influence jusqu’au sein de l’Empire ottoman, se renforçant pendant le règne des Safavides. Les sultans ottomans, et surtout Beyazit II, possédaient de très riches bibliothèques contenant de précieux manuscrits persans. Des Iraniens y étaient souvent employés ; ainsi, à titre d’exemple, le relieur Ghiyâs al-Din Esfahâni, disciple des maîtres timourides et turkmènes, travaillait dans la bibliothèque de Mehmet II.
Dès 1474 (IXe siècle de l’Hégire), l’ornement par de l’or liquide des reliures estampillées à Istanbul fut introduit de la Perse par des personnes comme Na’im al-Din, calligraphe de Shirâz qui copia le roman Mehr va Moshtari pour la bibliothèque de Beyazit II.
Mais la disparition des Timourides avec l’arrivée au pouvoir des Safavides chiites duodécimains entraîna la fuite de nombreux Persans sunnites ou liés aux anciennes dynasties vers l’empire ottoman. La bataille de Tchaldoran à l’issue de laquelle Selim Ie réussit à prendre Tabriz fut également la cause du départ de plusieurs artistes iraniens vers Istanbul, enrichissant la bibliothèque royale ottomane avec leurs manuscrits et leur art précieux.
Les Safavides à l’époque contemporaine
Sous le règne des Safavides, la peinture, la miniature, l’enluminure et la calligraphie furent mises au service de l’ornement des livres, dont plusieurs se trouvent dans les musées du monde entier. A titre d’exemple, le Khamseh de Nezâmi réalisé entre 1539 et 1543 pour le Safavide Shâh Tahmasb est conservé à la British Library. A la fin du IXe siècle de l’Hégire et à la suite de la prise de Herat par le roi Esmâ’il Safavide, les artistes de l’école de Herat tels que Behzâd furent emmenés à Tabriz où l’on pratiquait avant tout l’enluminure pour orner le Coran. Quelques autres artistes ayant immigré à Boukhara continuèrent par la suite à utiliser le style timouride de Behzâd. Mais à l’école de Tabriz, c’est sur la base de commandes royales que les enlumineurs créaient leurs œuvres. Par ailleurs, un nouveau matériau arrivé de l’Inde par l’intermédiaire de Mir Mohammad Tâher à l’époque de Shâh Tahmâsb, commence à se répandre : le papier marbré, dont le nom persan vient de abr qui signifie "nuage". Cette nouvelle technique utilisée en Inde et en Perse gagne rapidement l’Empire ottoman et puis l’Europe. Elle consiste à employer des papiers plus pâles pour la calligraphie, et plus colorés pour les marges enluminées. A la suite de plusieurs guerres ottomanes contre l’Iran d’alors en vue de prendre la capitale (Tabriz), Shâh Abbâs décide de transférer sa capitale à Ispahan, lieu de naissance de l’école d’enluminure du même nom. A l’inverse du style excessif de Tabriz avec ses couleurs vives, le style safavide pratiqué à Ispahan est plus plat et lisse. La séparation des clairs-obscurs dans les figures constitue sa caractéristique principale, la distinguant des autres écoles.
Plus tard, l’enluminure qâdjâre introduit peu de nouveautés et continue à utiliser les règles précédentes. Malgré cela, le nombre des enlumineurs augmente, et certaines innovations peuvent être remarquées, comme une prédominance plus forte de l’or vis-à-vis des autres couleurs dans l’enluminure des pages du Coran.
A l’époque contemporaine, l’enluminure n’a pas connu de transformations notables. Selon un maître contemporain de cet art, Saïd Zand Abâdi, il existe actuellement deux sortes d’enluminures : la première est fidèle à la tradition, mais les motifs, éléments et dessins (oiseaux, fleurs, plantes) ainsi que les couleurs utilisées dans son travail sont peu variées ; la seconde est quant à elle animée par un nouveau regard. Selon lui, il faut probablement rechercher la cause d’une certaine négligence de cet art dans les prix élevés et les difficultés à se procurer les matériaux nécessaires. Quoi qu’il en soit, il ne reste actuellement que peu d’enlumineurs professionnels et créatifs.
Cette école se caractérise par l’emploi de couleurs pâles et plates. Réalisée sur des papiers marbrés, on en trouve des exemples au début de calligraphies et de manuscrits, et en général dans un nombre limité de pages au début et à la fin des ouvrages. A cette époque, on pratique l’enluminure des titres des sourates du Coran avec de l’or ou du sefidâb, de couleur banche. Les marges de ces Corans sont ornées par des motifs appelés gol o botteh (fleurs et buissons stylisés).
L’azur est la couleur la plus employée soit dans le texte ou en tant que fond. Les motifs sont en général colorés d’or, de vert, de bleu, de vermillon ou de blanc. Vers la fin de l’époque safavide, l’art de l’ornement du livre, et plus particulièrement l’enluminure, tend à se banaliser et à stagner. Car la peinture européenne et les styles européens en général commencent à influencer la miniature iranienne et les arts qui lui sont liés.
La reliure est l’art de relier un livre, qui comprend également sa couverture. Les couvertures des livres sont ornées de décors variés ; on y voit parfois un médaillon central circulaire et une bordure estampée. Le médaillon central est tantôt en amande ou en étoile, et tantôt l’ensemble de la couverture est orné d’un décor géométrique. Le but de ces ornements rejoint ceux de l’enluminure. A la Bibliothèque Nationale de France, la plus ancienne reliure persane est celle d’un Coran. Elle a l’avantage d’avoir conservé ses deux plats estampés d’un double encadrement et d’un motif circulaire central. Sa couverture est également richement ornée. Le copiste Osman Mohammad a achevé à Bost (Afghanistan) en 1112 la copie de ce Coran. Les marges comportent de nombreux décors enluminés à motifs géométriques ou à dessins floraux stylisés et sont entièrement couvertes d’un décor enluminé. L’enluminure d’un autre Coran datant de l’époque seldjoukide contient, dans un rectangle et sur fond de volutes végétales, trois cercles dont le champ est alternativement vert et rouge. A l’intérieur, l’inscription Lillah"(pour Dieu) est répétée. A droite du rectangle figure un médaillon orné d’arabesques. Dans les marges figurent, en plusieurs endroits, des rosettes noires ou rouges à bordure dorée qui, selon la coutume, séparent les différents groupes des versets.
Enfin, il faut noter que du fait de sa symétrie incomparable, cet art convient plus particulièrement à l’ornementation du Coran. En outre, cet art ne représente pas de figures humaines ni de détails banals de la vie quotidienne. L’enluminure est finalement un art étroitement associé au Coran depuis le début de son existence.