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Les ouvrages faits de fils de métal, appelés malileh-kâri (filigrane) figurent parmi les produits artisanaux les plus appréciés de la province de Zanjân. Il s’agit d’ouvrages très finement façonnés par des fils ou des rubans d’argent, pour créer des motifs dits eslimi ou d’autres motifs géométriques. Ces ouvrages sont utilisés pour orner des tasses ou des récipients de luxe, des chandeliers, des encadrements de peinture ou de photographie, des bijoux…
Les ouvrages filigranés les plus anciens de l’Iran datent de l’époque de la dynastie des Sassanides. Les artisans qui façonnaient les métaux, surtout les argenteurs, fabriquaient des ustensiles de luxe pour la cour ou les familles de la classe aisée. Pour orner ces récipients, ils utilisaient des ouvrages filigranés et parfois des pierres précieuses.
Malheureusement, une grande quantité d’ouvrages décoratifs de l’époque sassanide fut détruite ou pillée pendant l’invasion des Arabes, d’autant plus que ces objets en argent étaient souvent petits et légers, faciles à emporter par les pilleurs. Pourtant, des objets filigranés découverts au cours des fouilles archéologiques dans des sites anciens comme Suse, Hamedân et la Transoxiane, montrent que même avant notre ère, les argenteurs iraniens maniaient avec beaucoup de dextérité les métaux. L’archéologue américain et historien de l’art perse, Arthur Upham Pope, a évoqué dans son livre1 des ouvrages filigranés de la période islamique, surtout des objets datant du XIIe siècle. Il a souligné pourtant que très peu d’objets filigranés avaient été conservés jusqu’à nos jours, car on les fondait souvent pour en réutiliser l’or ou l’argent. Cela explique, selon l’auteur, la rareté des objets filigranés anciens.
Sous le règne de la dynastie turque des Seldjoukides, les meilleurs argenteurs d’Iran vivaient dans le Khorâssân (nord-est). Certains d’entre eux émigrèrent plus tard vers le centre et l’ouest pour s’installer à Zanjân, Boroujerd, Hamadân, Tabriz, et surtout Mossoul (au nord de l’Irak).
Il paraît que ces artisans venus du Khorâssân furent les premiers à diffuser les techniques de fabrication d’ouvrages en filigrane à Zanjân dès le Ve siècle de l’hégire (XIe siècle de l’ère chrétienne).
Divers objets filigranés (ornements de narguilé ou de tasses, plateaux et ustensiles, boucles d’oreilles, colliers…) datant du règne de la dynastie des Qâdjârs sont conservés aujourd’hui dans des musées iraniens ou étrangers, mais aussi dans les collections privées ou dans des familles.
Aujourd’hui, les artisans de Téhéran se sont spécialisés dans la fabrication des filigranes pour l’orfèvrerie et la bijouterie. Des ouvrages filigranés sont fabriqués aussi à Tabriz et Ispahan. Mais Zanjân reste la capitale du filigrane en Iran. Les motifs originaux, la finesse des techniques et la haute qualité des ouvrages font des artisans de Zanjân les maîtres incontestables du filigrane.
Nous ne disposons pas aujourd’hui de documents complets sur l’histoire de la fabrication d’ouvrages filigranés à Zanjân. Il n’existe, en fait, que deux sources pour étudier l’ancienneté de cet art à Zanjân : 1) les récits de voyages d’auteurs européens, 2) de rares ouvrages filigranés qui ne datent souvent que des deux derniers siècles.
Quant aux ouvrages historiques, s’ils ne citent pas explicitement le filigrane, ils présentent pourtant Zanjân comme un centre de fabrication d’objets métalliques, et cela depuis l’Antiquité. En effet, ce métier fut répandu dans cette partie de l’ouest iranien sous les trois grandes dynasties préislamiques des Achéménides, des Arsacides et des Sassanides.
Les premiers ouvrages qui font directement allusion au filigrane à Zanjân remontent au XVIe siècle. Le voyageur européen Frederick Richard décrit Zanjân comme une « petite ville où sont fabriqués de somptueux objets en argent et en filigrane ». L’américain Samuel Greene Wheeler Benjamin, qui occupa un poste diplomatique en Iran pendant deux ans (1883-1884), donne plus d’informations sur le filigrane à Zanjân.
Vers la fin du règne de la dynastie des Qâdjârs, le filigrane n’était pratiqué qu’à Zanjân. Sous Rezâ Pahlavi, plusieurs artisans de Zanjân ont émigré vers d’autres villes, surtout Téhéran et Ispahan. Autrefois, ces artisans fabriquaient essentiellement des tasses ou des verres filigranés, des boîtes à bijoux ou des manches de couteaux. Mais peu à peu, les artisans de Zanjân ont diversifié leur travail pour fabriquer d’autres ouvrages filigranés. Les règnes des deux dynasties des Seldjoukides et des Safavides seraient sans doute l’âge d’or du filigrane à Zanjân.
Les anciens maîtres du filigrane qui vivent encore à Zanjân sont pour la plupart d’âge fort avancé, et ont abandonné leurs activités depuis des années. Cependant, quelque trente ateliers sont encore actifs. Les artisans qui y travaillent sont tous élèves du maître Mansour Kaâzemiân Moghaddam. Ce dernier coopère depuis 1976 avec le Centre des produits artisanaux de Zanjân notamment pour la formation des artisans. L’un de ses meilleurs élèves, le maître Abdolhamid Moharrer, a obtenu le « label d’excellence pour l’artisanat » de l’UNESCO en 2007.
L’or, l’argent et le cuivre sont les matières premières principales du filigrane. Les artisans utilisent aussi de la cire, du charbon de bois et des détergents organiques pour fabriquer des filigranes.
Pour fabriquer des rubans d’argent, il faut fondre l’argent d’une teneur de 99,9% dans un four. L’argent fondu est versé ensuite dans un moule métallique. Après le refroidissement du métal, on obtient une plaque d’argent longue de 250 à 300 mm, et d’une épaisseur de 5 mm. La plaque est martelée sur l’enclume, et est réchauffée au fer rouge avant d’être passée au laminoir pour se transformer en fin ruban d’argent. Le laminoir est muni d’un régulateur qui permet d’obtenir des rubans d’argent d’épaisseur variable. Le ruban est réchauffé de nouveau au four, avant d’être étiré en passant au travers des trous d’une filière. Le ruban se transforme ainsi en un fil très fin d’un diamètre toujours égal sur toute la longueur. Deux fils ainsi obtenus doivent être enroulés un autour de l’autre pour former une seule corde. Cette fine corde est passée ensuite au laminoir qui la transforme en un ruban d’argent d’une épaisseur de moins de 1 mm. Les rubans d’argent sont les matières premières principales de l’ouvrage filigrané.
Les ouvrages filigranés produits à Zanjân et à Ispahan sont différents du point de vue de la structure, des motifs et de la teneur de l’argent utilisé. Si les artisans d’Ispahan se servent de l’argent d’une teneur de 90% à 95%, leurs confrères à Zanjân utilisent de l’argent d’une teneur maximum (99,9%). Les ouvrages filigranés d’Ispahan ont souvent des motifs plus grands, tandis que les motifs des produits des artisans de Zanjân sont plus finement travaillés, ce qui leur donne une plus grande qualité.
Les maîtres du filigrane à Zanjân
Parmi les maîtres contemporains du filigrane à Zanjân, il faut surtout nommer Mansour Kâzemiân Moghadam, Sâdegh Shirvâni, Mohammad Rezâ Hakimiân, Mohammad Hossein Sattâri, Abdolhamid Moharrer, Mortezâ Sâdeghi, Karim Abtahi, Alirezâ Shojâee, Ali Nouri, Ali Lotfi Rezâ’i…
1. « A Survey of Persian Art from Prehistoric Times to the Present ».