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La Maison Européenne de la Photographie s’est ouverte il y a un peu plus de quinze ans dans un vaste immeuble historique, ce qu’on appelle un hôtel particulier, situé dans le Marais, vieux quartier de Paris, devenu ou redevenu fort bourgeois et cossu. L’accès se fait par une cour et un chemin qui malheureusement tendent à priver le visiteur du plaisir de contempler une belle et haute façade. A l’intérieur les aménagements sont récents, élégants et suffisamment discrets pour faciliter la perception des œuvres exposées. Comme la plupart des musées de la fin du vingtième siècle, celui-ci comporte, outre les espaces d’exposition, une cafétéria sise dans une jolie cave voûtée qui donne sur une petite salle d’exposition. Ailleurs et selon les étages (outre la cave, trois sont accessibles aux visiteurs) il y a une vidéothèque, une bibliothèque riche de plus de vingt mille ouvrages sur la photographie et une toute petite librairie. Des ateliers de restauration se consacrent au corpus des fonds photographiques de la ville de Paris, de ses bibliothèques et de ses musées. La collection de la Maison Européenne de la photographie est riche de plus de 20 000 œuvres créées depuis les années cinquante ; autant dire qu’ici on montre de la photographie contemporaine, même si un certain nombre de photographes dont il est question ont quitté ce monde depuis quelques décennies. La collection comporte évidemment des photos argentiques et numériques mais également des livres d’artistes, souvent rares, des ouvrages sur la photo, ouvrages de compilation ou théoriques, et des œuvres en vidéo, collection, on le voit, qui se place où elle peut : tantôt dans les départements consacrés aux œuvres « nouveaux médias » comme au Centre Georges Pompidou, tantôt dans les collections des FRAC, ou ici aux côtés de la photo… question de définitions un peu mouvantes ou pas tout à fait établies dans les institutions muséales ; cependant, il faut bien en convenir, les catégories en matière de création artistique sont floues et ici, à la Maison Européenne de la Photographie, lors de ma récente visite, je n’ai rien eu à objecter quant à la présence de la vidéo dans le contexte des expositions présentées.
La programmation des expositions va bon train, au rythme moyen de trois ou quatre cycles par an, accueillies dans des espaces de tailles variables, expositions thématiques ou par exemple consacrées à certaines tendances de la photo ou bien encore monographiques : les photographes et les artistes qui ont pratiqué la photo dans leur parcours ne manquent pas, et ils ont fait des œuvres de grande qualité quand bien même ils ne se considèrent pas ou ne sont pas nécessairement reconnus comme photographes. Ainsi, on le verra plus bas, Favier ou Levêque ne sont pas des photographes et ne le revendiquent pas. Il faut cependant se souvenir que la photo, apparue au milieu du dix-neuvième siècle, tardera longuement à advenir en tant qu’art, ceci du fait de la représentation de l’art véhiculée par la société qui lui est contemporaine ; la photo fut ainsi longtemps considérée comme un art mécanique du fait de l’absence de faire manuel supplanté par la mise en œuvre à caractère technique de la suite d’opérations conduisant à la photo développée. Et ce n’est que durant la seconde moitié du vingtième siècle, plus précisément dans les années quatre-vingt, que la photo investit réellement les galeries d’art et les musées avant de connaître un essor assez fulgurant. Pour autant et comme toujours, il y a des exceptions et l’histoire de la photo d’art commence beaucoup plus tôt avec des artistes aussi connus et aussi inventifs que Man Ray par exemple. Je peux supposer que Paris disposant de deux lieux muséaux remarquables consacrés avant tout à la photo, comme la Maison Européenne de la Photographie et le Musée du Jeu de Paume (ce qui n’empêche une forte présence de la photo au Centre Pompidou ou au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris), répond au fait que la France est depuis des décennies l’une des capitales mondiales de la photo où l’on peut voir les œuvres des plus célèbres artistes ayant utilisé ce médium, à titre exclusif ou parmi d’autres.
Dans la programmation passée de la Maison Européenne de la Photographie, on trouve ainsi, parmi bien d’autres, les noms d’Andy Warhol, Shirin Neshat, David Hockney, Alain Fleischer, William Klein, Raymond Depardon, Larry Clark et notamment une exposition que j’aurais aimé avoir l’opportunité de visiter : Polaroïd 50, art et technologie, en 1998.
Un reporter-photographe
En ce printemps 2013, la programmation comportait plusieurs expositions dont une exposition d’œuvres d’André Morain réalisées entre 1961 et 2012. Travail de petits formats en noir et blanc, chronique de la vie artistique parisienne avec des artistes (Calder, Dali, Tinguely, Villéglé…), galeristes (Yvon Lambert, Mathias Fels…), conservateurs de musées, mais aussi acteurs ou rockers, tous notoires ou l’ayant été. André Morain est un photographe autodidacte, ce qui va de soi puisque né en 1938. La photo n’était alors pas encore enseignée dans les écoles d’art ou les universités. Il commence sa carrière comme reporter, avec évidemment des photos en noir et blanc. J’ai perçu l’exposition comme un peu pesante à tant et tant énumérer les personnalités saisies par l’objectif de Morain, elle devient vite lassante et sans doute encore davantage pour ceux des visiteurs qui n’ont guère connu les célébrités photographiées. Il y a là un vague arrière-goût de photo people. Peut-être est-ce aussi que chaque photo, au-delà de l’anecdote revient un peu au même : même (ou presque) format, même contraste entre le noir et le blanc, plutôt dur, même superficialité propre au monde de l’art toujours peu ou prou en représentation, bref une succession de niveaux égaux, trop égaux entre formes et contenus. Et la comparaison avec Doisneau évoquée dans le texte de présentation ne se justifie pas vraiment, ici il n’y a guère de poésie, on reste trop au niveau témoignage. Indéniablement on est au cœur d’une pratique purement photographique mais dont la dimension artistique semble empruntée au sujet davantage que de provenir d’une création ; le travail du photographe est indéniablement bien fait mais manque d’âme ; lors de ma visite, je pensais avec une certaine nostalgie à Brassaï, portraitiste de Picasso et à sa capacité à dévoiler tellement plus que les apparences ! Et aussi à la profondeur du fameux portrait de Giacometti réalisé par Franz Hubmann vers 1951.
Japonisme ?
Une autre exposition était consacrée à quelques aspects de l’œuvre de Stéphane Hette, intitulée Art of Butterfly. Tout autre chose donc que pour l’exposition précédemment citée : des tirages sur un très beau papier - l’exposition est sponsorisée par Canson, le fabricant de papier pour l’art -, une légèreté des images et de l’esprit qui s’en dégage : gros plans sur des détails de végétaux agrémentés de papillons, un enchantement poétique d’esprit très et même peut-être un peu trop japonisant. Le propos de Stéphane Hette, bien qu’écologiste, ne l’est point exagérément et échappe à l’inventaire taxinomique comme par exemple celui de Paul Armand Gette ; il croise certes l’esprit de la peinture florale japonaise mais envoie également dans la direction des merveilleuses planches de botanique que recèle le Muséum d’Histoire Naturelle ou aux extraordinaires photos de végétaux de Karl Blossfeldt. Ici, l’artiste se place sur une certaine marge de la photo et cela est peut-être son apport : une rafraîchissante ouverture du champ de celle-ci.
Un miniaturiste dans la pénombre
Ailleurs, une exposition intitulée Noir… de l’artiste Philippe Favier, qui s’est fait connaître dans les années quatre-vingt pour des saynètes de personnages miniatures présentées à même le mur, du genre décalcomanies, présente un travail de collage et photomontage exposé dans la pénombre, le titre de l’exposition l’induit. L’esprit de ce travail vogue entre notamment celui de John Heartfield et celui de Boltanski (en plus anodin), ceux-ci faisant évidemment beaucoup d’ombre à Favier. Il s’agit donc de montages et collages photo avec annotations et rehauts. On y voit des familles de gens ordinaires, réelles ou imaginaires, photos trouvées ou pas. Il y a également des mini livres, par exemple avec pour titre Le Bourget 67, 2012. Ici, ce sont des aéronefs bricolés, hélicoptères ou avions d’antan - on pense à Panaramenko - et fixés par une pléthore de mini punaises dorées qui deviennent simplement décoratives, un tic. Avec ce travail de Favier, il s’agit encore d’un aspect marginal de la photo, mise à l’œuvre par un peintre ou reconnu comme tel. Mais cela reste trop anecdotique et d’une trop relative capacité de conviction pour susciter un quelconque enthousiasme.
Concordance des arts
Une exposition liée aux éditions Actes Sud sur le thème photo et musique montre ou tente de montrer quelques exemples de la relation entretenue par ces deux arts ; par exemple entre Schoenberg, le musicien et Michael Ackerman, un photographe, ou d’autre part Michel Dusapin, musicien et le même Michel Dusapin en tant que photographe. Le propos n’est pas nouveau sur cette question de la correspondance et de la complémentarité des arts ; vieux débat soulevé il y a bien longtemps, vieux rêve également cher au romantisme et à Wagner avec le principe du Gesamtkunswerk, avec aussi, plus tard l’idéalisme du Bahaus. Et cette exposition sans doute trop courte laisse le visiteur sur sa faim, d’autant plus que les casques permettant l’écoute des musiques ayant inspiré les photographes ne sont pas si aisément disponibles. Je suis persuadé que le travail des éditions Actes Sud mérite mieux que cette exposition, cela même si la relation entre les arts visuels et la musique me laisse toujours dans l’expectative, sauf peut-être lorsqu’il s’agit de spectacles tels l’opéra ou de spectacles où intervient l’image numérique. Jean-Michel Jarre par exemple, quoique je n’apprécie pas la grandiloquence un peu pompeuse de ses œuvres, me semble plus convaincant quant à faire vivre de pair le visuel et le sonore, mais en ce dernier cas, les nouvelles technologies mises à contribution l’induisent naturellement.
Une photo qui s’engage
Une exposition du travail d’un artiste brésilien, Gustavo Speridiao, montre certains aspects de son travail tant en photo qu’en vidéo. On est dans le territoire d’une expression artistique très contemporaine : images du monde tel qu’il est, hypermoderne et construit sur un ensemble de contradictions. Images brutes, à peine déterminées par l’opération de cadrage, par le regard donc les choix de l’artiste qui choisit ou est choisi, appareillé. Images dures de cette réalité du quotidien : la pauvreté, le délabrement, le non-sens ou l’absence d’espoir. Le genre pratiqué par Speridiao est en fait très fréquenté mais il est néanmoins poignant car ainsi est notre monde, terriblement différent de ce que reflètent la plupart des médias. Les vidéos sont en cohérence avec la photo, sans sophistication, entre témoignage et poésie du peu, du presque rien, de la misère mais sans misérabilisme. Sans doute est-ce ici la meilleure ou en tout cas la plus forte des expositions que j’ai pu voir à la Maison Européenne de la Photographie en ce mois de mai.
La photo comme carnet de notes des choses du monde
Enfin, j’ai pu visiter l’exposition consacrée à Claude Levêque, Un instant de rêve. Ici encore, il ne s’agit pas à proprement parler d’un photographe mais d’un artiste qui photographie beaucoup, sans cesse, comme le font une infinité d’artistes à des usages différents, attribuant souvent à la photo un rôle de notation, comme le carnet de croquis d’antan. On peut évidemment penser à Richter et à cette infinité de photos qui ont accompagné ou précédé son œuvre picturale. Claude Levêque est sans nul doute un des bons artistes opérant depuis quelques décennies en France, et évidemment pas seulement dans le champ de la photo. Mais ici, la Maison Européenne de la Photographie présente un travail photo et vidéo dont le titre, Un instant de rêve, explique tant bien que mal le parti pris de ce que montre l’exposition, c’est-à-dire celui de prises de vue faites au jour le jour et au gré de ce qui a la capacité de retenir l’attention de l’artiste : un camion à l’abandon, c’est-à-dire une épave, un coin de banlieue n’importe où, des graffitis, bref presque rien ou si peu, ce qui constitue le monde où nous vivons et qui nous constitue en dehors des points de vue officiels et médiatiques. Un regard plus nonchalant que celui de Gustavo Speridiao, ce dernier étant sans nul doute plus radicalement engagé socialement avec un regard plus perçant sur la réalité contemporaine.
Cette énumération des expositions de ce printemps à la Maison Européenne de la Photographie permet sans doute d’esquisser une politique muséale, ceci en complément de la liste des grandes expositions dont j’ai cité quelques-unes. Aujourd’hui, lors de ma visite, il apparaît que ce qui est privilégié c’est la marginalité, le travail d’artistes qui, sauf Morain, ne sont pas connus en tant que vraiment photographes. Quel que soit l’intérêt que j’ai pu ressentir pour ces expositions, je pense qu’il est intéressant pour un musée dit de la photographie d’ouvrir autant que faire se peut la définition de celle-ci, faute de quoi la place serait faite à un académisme enfermant la photo dans un carcan qui la rendrait rapidement stérile sinon autiste. La photo est l’un des arts parmi les plus vivants et notamment en France et à Paris où de multiples manifestations lui sont consacrées et où de très nombreuses galeries lui sont dévolues, sans préjudice des multiples galeries qui exposent également la photo parmi d’autres médiums. Je crois aussi que le travail de cette maison et musée doit être salué car la pléthore de photographes et de photos présents sur la scène française et internationale rend la tâche bien ardue en matière de discernement entre ce qui mérite l’attention et ce qui n’est pas encore susceptible de la retenir. Ainsi, cette Maison Européenne de la Photographie collectionne, expose, restaure, médiatise et diffuse la photo contemporaine ; son site est superbe, et la tâche est immense. Restent des questions sur la coexistence, la collaboration ou non avec les institutions muséales plus puissantes que sont par exemple le Centre Pompidou ou le Musée du Jeu de Paume, qui, lui, relève du ministère de la culture, donc de financements d’Etat. Mais essayant d’en savoir un peu plus sur la place que revendique cette Maison Européenne de la Photographie à Paris puisque je me suis heurté à un mur de silence !