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Mounes al-Ahrâr (Compagnon des hommes libres) est un recueil poétique composé en 1341 par Mohammad ibn Badreddin Jâjarmi, alias Badr Jâjarmi. Dans ses poèmes, l’auteur donne à ses lecteurs des conseils pratiques, répond à des questions posées et offre aussi des informations astronomiques. Un manuscrit de ce recueil fut illustré peu de temps après sa composition par des miniaturistes de l’Ecole de Shirâz. Pourtant, nous pouvons aussi trouver dans ces illustrations l’influence des débuts de l’Ecole de Tabriz. Il est donc possible que les peintres de l’Ecole de Tabriz ou leurs disciples aient illustré ce manuscrit après la chute de la dynastie ilkhanide. Sur l’ensemble des trente chapitres du recueil, seul le 29e chapitre est illustré. Il s’agit de treize miniatures : dix miniatures furent réalisées au recto et au verso de cinq feuilles, plus trois autres miniatures dont deux représentent les scènes inaugurales du recueil. Ces feuilles sont conservées dans des musées et des collections aux Etats-Unis et au Koweït.
Le manuscrit illustré de Mounes al-Ahrâr fut redécouvert en 1912 lors d’une exposition consacrée à l’art islamique au Musée des arts décoratifs de Paris, et attira l’attention des experts et des collectionneurs. Le recueil a été composé par Mohammad Badreddin Jâjarmi durant le mois de Ramadan 741 de l’Hégire (mars 1341). Au début du livre, l’auteur indique dans un quatrain la date de la fin de la composition de son recueil :
« En ramadan de l’an sept cent quarante et un,
Quand le Soleil traversait les Poissons et la Lune le Scorpion,
Le poète Mohammad ibn Badr
A terminé ce recueil grâce au secours divin. »
Jâjarmi est originaire de Jâjarm, mais il grandit à Ispahan. Il avait de vastes connaissances littéraires et maniait habilement les techniques poétiques. Les historiens semblent s’attacher chacun à un aspect du livre pour présenter Mounes al-Ahrâr de différentes manières : pour Ackerman [1], c’est une encyclopédie astronomique. Ettinghausen [2] y voit un dictionnaire illustré. Pour Diamand [3], il s’agit d’un recueil poétique. Gray [4] le considère comme une encyclopédie comparable à celle du Larousse, tandis que Grube [5] le décrit comme une encyclopédie de la poésie.
Sans nous attarder sur le contenu de Mounes al-Ahrâr, nous allons ici nous concentrer sur quelques miniatures de son manuscrit illustré. Certains spécialistes estiment que ces illustrations appartiendraient aux débuts de l’Ecole de Shirâz. Selon Basil Gray, de nombreux artistes des débuts de l’Ecole de Tabriz ont été actifs dans d’autres villes, notamment à Shirâz, avant de se réunir à Tabriz. Pourtant, il n’exclut pas l’existence de certains liens entre ces miniatures et le travail des artistes d’Ispahan. Ernst Grube, qui étudia ces illustrations en 1962, affirme que ces miniatures ont été probablement réalisées à la même époque qu’un manuscrit illustré du Shâhnâmeh (Livre des rois) à Tabriz en 741. Pourtant, étant donné la ressemblance entre les deux scènes inaugurales de Mounes al-Ahrâr – l’une festive et l’autre de chasse –, avec les scènes similaires qui illustrent Jâme’ al-Tawârikh (1135), il est fort possible que les miniatures de Mounes al-Ahrâr aient été réalisées par les artistes de l’Ecole de Tabriz ou leurs disciples.
Le recueil connut malheureusement le même sort que de très nombreux manuscrits illustrés iraniens : il fut fragmenté ; chaque partie se trouvant dans un musée ou collection privée de pays étrangers :
- 2 miniatures dans la Collection d’Arthur Seckler à Cambridge (Massachusetts) ;
- 2 miniatures au Musée de l’art de Cleveland (Ohio) ;
- 2 miniatures dans la Collection de la Bibliothèque de l’Université de Princeton (New Jersey) ;
- 4 miniatures au Musée Metropolitan (New York) ;
- 1 miniature dans la Collection de Freer (Washington) ;
- 2 miniatures au Centre des œuvres islamiques (Koweït).
L’une des deux miniatures conservée au Centre koweïtien des œuvres islamiques est celle qui représente la scène festive du début du livre. Cette miniature montre une fête à la cour en présence des princesses et de leurs domestiques. Les visages sont de type mongol, et les habits et les motifs évoquent les miniatures de l’époque de la dynastie des Ilkhanides. Les couleurs sont sensiblement plus variées que celles des miniatures des débuts de l’Ecole de Tabriz : orange, bleu, ocre, vert olive, bleu azur et beige. La miniature est enluminée, mais il n’y a aucun écrit qui puisse permettre d’identifier les personnages ou la nature de la fête.
La deuxième miniature de la collection koweïtienne est un tableau de chasse dont la partie supérieure a malheureusement été abîmée. Les hommes de la cour sont ici à l’extérieur et chassent des lions et des lièvres. Les couleurs sont aussi variées que dans le tableau festif. Mais contrairement à la scène festive à la cour qui a un air majestueux et noble, ce tableau de chasse est plutôt caractérisé par la mobilité et le dynamisme. Ces deux miniatures montrent en quelque sorte la différence entre un espace féminin calme et protecteur d’une part, et de l’autre un espace masculin, viril et agressif.
Malgré la fragmentation du livre, l’ensemble des 257 pages ont heureusement été conservées. Le livre compte trente chapitres dont le 29e est, comme nous l’avons dit, le seul qui porte des illustrations. Les pages mesurent 169×225 mm, et les miniatures 125×189 mm. Le corps du texte fut écrit à l’encre noire, tandis que les titres ont des couleurs variées : vert olive, pourpre, bleu-gris.
Quelques détails sur le manuscrit illustré de Mounes al-Ahrâr :
- La taille et le nombre des illustrations de Mounes al-Ahrâr sont différents de celles d’autres manuscrits de l’époque de la dynastie des Ilkhanides.
- Les experts estiment qu’il est fort probable que ce manuscrit ait été illustré après le règne de l’émir Abou Saïd.
- Il s’agit du seul manuscrit conservé de l’époque ilkhanide qui ait été probablement réalisé à Shirâz (ou peut-être à Ispahan où vivait l’auteur lui-même).
- Il est possible que le texte ait été copié à Ispahan et que les illustrations y aient été rajoutées tardivement à Shirâz.
[1] Phyllis Ackerman, Guide to the Exhibition of Persian Art, New York, 1940, p. 194
[2] Richard Ettinghausen, "Review of Moghadam and Armajani", Arts Islamica, 1940, p. 121.
[3] Maurice Diamand, A Handbook of Mohammedan Decorative Arts, New York, 1930, p. 26.
[4] Basil Gray, Persian Painting, Geneva, 1961, p. 62.
[5] Ernst J. Grube, Muslim Miniature Painting from XIIIe to the XIXe Century, Venice and New York, 1962, p. 39.