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Ali Akbar Dehkhodâ (1879-1956), également connu sous le nom de ’Allâmeh Dehkhodâ ("grand érudit Dehkhodâ") est l’une des figures remarquables de la culture, de la littérature ainsi que de la science iraniennes au XXe siècle. Il est l’auteur du célèbre dictionnaire persan qui porte son nom (farhang-e Dehkhodâ) et fait partie des œuvres culturelles importantes réalisées en langue persane. Poète et linguiste renommé, il s’impliqua également dans des activités politiques dès le commencement de la Révolution constitutionnelle. Il écrivit notamment des articles qu’il signait "Dakhou" (دخو), ou même de son propre nom. En se rangeant du côté des constitutionnalistes, il s’opposa au monarque de son époque, Mohammad Ali Shâh, et faillit être exécuté comme son collègue Mirzâ Jahângir Khan Soure Esrâfil.
Il naquit en 1879 à Téhéran dans une famille féodale de Qazvin, ville que son père avait quittée pour s’installer à Téhéran bien avant sa naissance. Il avait seulement dix ans lorsque son père mourut. Gholâm-Hossein Boroudjerdi, un ami de la famille, prit en charge son éducation, qu’il conduisit en lui apprenant les sciences traditionnelles. Jeune adulte, il participa avec succès au concours d’entrée de l’école des sciences politiques du Ministère des Affaires étrangères, et acheva ses études après quatre ans en devenant l’un des premiers diplômés de cette école. Durant cette période, il apprit les principes de la science moderne ainsi que la langue française. Il excellait également en littérature persane et en langue arabe, si bien que son professeur de lettres, Mohammad-Hossein Foroughi, lui confiait parfois la charge d’enseigner la littérature à sa place.
Après la fin de sa formation, Dehkhodâ entra au Ministère des Affaires étrangères et en 1903, il entreprit son premier voyage en Europe en tant que secrétaire d’un ambassadeur iranien. Son séjour en Europe, à Vienne plus précisément, dura plus de deux ans, période durant laquelle il perfectionna sa connaissance des sciences modernes et de la langue française.
Son retour en Iran en 1905 coïncida avec les débuts de la Révolution constitutionnelle. Il s’associa à la publication du journal Sour-e Esrâfil avec Mirzâ Jahângir Khân-e Shirâzi et Qâssem Khân-e Tabrizi, ses fondateurs. Dehkhodâ était au début le principal rédacteur du journal. Le premier numéro parut en huit pages le 30 mai 1907. Durant ses quatorze semaines d’existence, il connut plusieurs fermetures et arrestations de ses membres, et seuls trente-deux numéros furent publiés. Dehkhodâ écrivait un éditorial au début de chaque numéro et un autre à la fin, signé de son pseudonyme Dakho et qu’il nommait « Charabia » (Tcharand o parand). Le style de ces articles, sans précédent dans la littérature persane, contribua à créer une nouvelle école de journalisme et de prose persane contemporaine en Iran. Ces articles créaient généralement des réactions et des protestations fortes de la part des traditionalistes et des autorités, qui allèrent même jusqu’à l’accuser de blasphème.
Peu après le coup d’Etat du monarque Mohammad Ali Shâh contre la Révolution constitutionnelle et la constitution iranienne en 1908, Dehkhodâ suivi de quelques partisans se réunit en signe de protestation devant l’ambassade britannique de Téhéran. Le monarque, furieux, décida de le contraindre à l’exil.
Après un long voyage qui le fit notamment passer par Tbilissi en Géorgie, Dehkhodâ arriva à Paris, puis on lui proposa de s’installer à Londres sous prétexte qu’en Angleterre, il aurait plus de moyens d’édition à sa disposition et que de nombreux journaux écrivaient en faveur de la révolution constitutionnelle. Il décida néanmoins de ne pas s’y rendre.
La rédaction du journal Souresrâfil s’installa plus tard en Suisse dans la ville d’Yverdon, mais le lieu d’édition officielle du journal resta toujours à Paris. La deuxième période d’existence de ce journal débuta donc en hiver 1908, et seuls trois numéros furent publiés. Cette fois, les articles étaient beaucoup plus sévères et directs que les précédents. Dans le dernier numéro du journal publié lors de son exil, Dehkhodâ publia son célèbre poème à la mémoire de Mirzâ Jahângir Khân-e Shirâzi devenu célèbre sous le nom de Mirzâ Jahângir Khân Sour-e Esrâfil, qui fut fusillé sur l’ordre de Mohammad Ali Shâh.
Dehkhodâ vivait en exil dans une situation financière très difficile. La période de son exil en Europe fut globalement pour lui source d’angoisse et de dépression, et ce jusqu’à ce qu’en mars 1909, date à laquelle, avec ses compagnons d’exil, il quitta Yverdon pour s’installer à Istanbul.
L’activité politique la plus importante de Dehkhodâ à Istanbul fut la publication, de juin à novembre 1909, d’une quinzaine de numéros d’un journal appelé Soroush dont il était l’éditeur.
Son exil touchait peu à peu à sa fin. Après la destitution du monarque qâdjâr Mohammad Ali Shâh, alors qu’il était toujours à Istanbul, Dehkhodâ fut élu en tant que député représentant la province de Kermân, durant la seconde élection de l’Assemblée nationale. Cette élection était un signe de reconnaissance des habitants de Kermân pour son engagement politique et les articles qu’il avait publiés dans le journal Sour-e Esrâfil. Lors de son retour en Iran, il choisit de rejoindre le parti des modérés (hezb-e e’tedâliyoun), ce qui était contraire aux attentes de ses anciens camarades.
Dehkhodâ s’écarta de la vie politique après la Première Guerre mondiale, et s’investit dans les domaines culturel, scientifique et littéraire, même s’il conserva certains postes politiques notamment en assurant pendant un certain temps la responsabilité de la présidence du bureau du Ministère de la Culture puis celle du Ministère de la Justice. En 1927, il devint président de l’Ecole des Sciences politiques devenue Haute école de Droit et des Sciences politiques, là où il avait jadis fait ses études, puis devint membre de l’Académie iranienne en 1935. Après la fondation de l’université de Téhéran en 1934, il devint le doyen de la faculté du droit et des sciences politiques jusqu’en 1941, l’année de sa retraite. Il se consacra ensuite pleinement à la réalisation et l’achèvement de son dictionnaire.
La raison de sa décision de s’écarter de la vie politique est à retrouver dans les évènements qui ont suivi la fin de la dynastie des Qâdjârs et la décision de remplacer celle-ci par une république. Dehkhodâ avait été présenté comme le premier candidat à la présidence, mais lorsque la dynastie des Pahlavis fut définitivement installée, la crainte vis-à-vis de ce candidat à la présidence de l’Iran augmenta. On ne pouvait exécuter un savant pour avoir été choisi comme candidat, mais on pouvait l’isoler de la vie politique, et c’est ce qui fut fait. C’est durant cette période d’isolement qu’il commença à se consacrer à son dictionnaire, que certains comparent, de par son envergure, au Shâhnâmeh de Ferdowsi.
Cet ouvrage est le fruit de 45 ans d’efforts continus de la part de Dehkhodâ, parfois aidé par des amis, et a été publié en 16 volumes. Il comprend la grande majorité du vocabulaire classique persan, illustré par des poèmes et des informations lexicales et littéraires. Toutefois, aucune partie n’est consacrée aux lexiques persans scientifiques et technologiques, dont la plupart ont intégré la langue persane après la publication de ce dictionnaire.
Environ la moitié du livre est composée du sens des mots accompagné d’exemples et de citations, et l’autre est composée de notifications historiques et géographiques. Ce dictionnaire présente également tous les manuscrits et les dictionnaires publiés en persan, ainsi que la correction de nombreuses erreurs de lecture et fautes d’orthographe des Anciens. Les mots sont transcrits avec des voyelles, chose peu courante en persan. Un nombre important de mots turcs, mongols, hindis, arabes, français, allemands, russes et autres, intégrés au vocabulaire persan sont également cités dans ce dictionnaire. En outre, une partie est consacrée à la grammaire persane.
L’attention minutieuse qu’il avait portée aux autres dictionnaires persans avait fait constater à Dehkhodâ que des erreurs se retrouvaient et se transmettaient d’un dictionnaire à l’autre, et que l’on pouvait y trouver des erreurs de lecture et d’orthographe. Par conséquent, il commença un minutieux travail de correction. Il entreprit tout d’abord de lire de nombreux textes persans en poésie et en prose, puis nota les mots et les combinaisons. A sa demande, ses assistants écrivaient ensuite les mots sur des petites fiches. Ces fiches rangées par ordre alphabétique s’élevèrent à plus de trois millions et constituèrent la base du dictionnaire, qui contenait à l’origine environ deux cent mille mots. Ce dictionnaire fut publié à la fin des années 1930 avec l’aide de l’Etat.
Un contrat fut signé à cette occasion entre lui et le Ministère de la Culture. De 1934 à 1935, le premier volume du dictionnaire fut préparé puis imprimé en 468 pages par l’imprimerie de la Banque Nationale d’Iran (bank-e melli) en 1939. Mais en raison du début de la Seconde Guerre mondiale qui paralysa aussi l’Iran ainsi que de l’envergure du travail que représentait la préparation d’un tel dictionnaire, sa publication fut arrêtée. En 1946, après la fin de la guerre et à la suite de la proposition de certains des députés de l’Assemblée nationale dirigée par Mohammad Mossadegh, un décret fut adopté par l’assemblée selon lequel le Ministère de la Culture était chargé de fournir le personnel et le matériel nécessaires à la reprise de la publication du dictionnaire. Une organisation fut créée à cette intention et Mohammad Moïn en fut nommé le directeur par Dehkhodâ en personne. Plus tard, dans son testament, il confia à Mohammad Moïn l’ensemble de la responsabilité des fiches et de la continuation du travail de publication du dictionnaire. Avec l’aide d’une équipe scientifique pour les prises de notes, la traduction, la révision et la rédaction, le premier volume fut republié en 5000 pages en 1946.
Dehkhodâ réapparut pour un court moment sur la scène politique de l’Iran au cours du mouvement de nationalisation du pétrole de Mossadegh. Il devint l’un de ses fervents collaborateurs et participa au consortium pétrolier. Avant le coup d’Etat du 19 août 1953 organisé par la CIA, des bruits couraient qu’en cas de victoire du mouvement et proclamation de la république, Dehkhodâ pouvait bien redevenir candidat à la présidence. En conséquence, après le coup d’Etat, des agents pénétrèrent dans sa maison et l’agressèrent physiquement.
Peu après, le lundi du 9 mars 1959, Dehkhodâ mourut dans sa maison de la rue Iranshahr à Téhéran à l’âge de 77 ans. Son corps fut inhumé dans le caveau familial au cimetière Ebn Bâbouyeh dans la ville de Rey. Après son décès, sa maison fut transformée en école portant son nom.
Bibliographie :
Moïn, Mohammad, Farhang-e fârsi-e Moïn, Téhéran, éd. Sepehr, 4ème édition, 1981
Shahidi, Seyyed Ja’far, "Loghatnâmeh Ali-Akbar Dehkhodâ" (Dictionnaire d’Ali-Akbar Dehkhodâ. Keyhân farhangi, [en ligne], no. 127, khordâd 1375 (mai 1996). http://ensani.ir/fa/content/239797/defult.aspx
Abedi, Kâmyâr, Souresrâfil va Ali-Akbar Dehkhodâ, yek baresi-e târikhi va adabi (Souresrâfil et Ali-Akbar Dehkhodâ, une étude historique et littéraire), Téhéran, 1379 (2000). Nashr-e Ketab-e Nader.
- "Tasvieh nâmeh az Dehkhodâ va vasiyat nâmeh Ali-Akbar Dehkhodâ" (Le testament d’Ali Akbar Dehkhodâ), Ayandeh. [en ligne], 6e année, No. 9-12, Azar-Esfand 1359 (1981). http://ensani.ir/fa/content/256013/defult.aspx