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L’arrivée de la technique photographique en Iran remonte à 1843, date où fut prise la première photographie par un diplomate russe. Ce fut en fait Nicolas Pavlov qui importa des appareils photographiques en Iran et se chargea lui-même d’enseigner la photographie à certaines personnes liées à la cour de Mohammad Shâh Qâdjâr. [1] Parmi d’autres pionniers européens de la photographie en Iran, on peut citer le nom de Jules Richard (1816-1891) qui a laissé de nombreuses photos de l’ensemble des parties de la cour royale depuis les dernières années du gouvernement de Mohammad Shâh jusqu’à l’apogée de la royauté de Nâssereddin Shâh. [2] Membre du corps enseignant de Dâr-ol-Fonoun [3], J. Richard y enseignait la langue française. Durant sa résidence en Iran, il se convertit à l’islam et choisit le nom de « Mirzâ Rezâ Khân ».
Aux débuts de l’introduction de la photographie en Iran, on obtenait des images au travers de procédés daguerréotypés [4] ; la technique photographique moderne fut en premier lieu utilisée par Malek Ghâssem Mirzâ, le fils de Fath Ali Shâh Qâdjâr [5].
Né en 1808 à Tabriz, Malek Ghâssem fut dans sa jeunesse gouverneur d’Orumieh au nord-ouest de l’Iran et avait en même temps pris quelques responsabilités à Téhéran. Après la mort de Mohammad Shâh et le couronnement de Nâssereddin Shâh en 1849, il fut de nouveau désigné pour gouverner cette région. Aimant l’art, Malek Ghâssem était très habile à la peinture ; il compte parmi l’un des intellectuels les plus influents de l’époque qâdjâre. Au cours de son voyage officiel en Iran en 1840, Eugène Flandin [6] rencontra Malek Ghâssem à Tabriz et l’a ainsi décrit dans son Voyage en Perse (1851) : « Il est un prince sage et clairvoyant qui compte parmi les grandes figures de l’Orient ; il a dessiné de nombreux tableaux qui sont tous gardés soigneusement chez lui ; il sait plusieurs langues… »
Dans sa jeunesse, il se rendit en France pour continuer ses études. A l’époque, on venait d’inventer la technique photographique en France, et il se familiarisa donc avec la photographie. En 1849, de retour d’Europe, il rapporta un appareil photo en Iran. Ayant des relations très amicales avec des missions religieuses installées à Tabriz, il compléta ses connaissances dans le domaine de la photographie auprès de prêtres protestants. La même année, Malek Ghâssem accompagna Nâssereddin Shâh à son campement situé à Djâdjroud, au nord du pays. Il prit de très nombreuses photos de ce voyage qui sont actuellement conservées dans les archives du Palais du Golestân (kâkh-e Golestân). La signature du roi est apposée sur toutes les photos. Dès lors, Malek Ghâssem, en tant que photographe officiel de la cour, accompagnait le roi dans ses voyages intérieurs et à l’étranger et prenait des photos. La plupart de ces photos, conservées pendant des années dans son logement familial à Tabriz, disparurent en 1979 suite à un incendie.
D’autre part, Malek Ghâssem est également considéré comme étant l’auteur du premier traité dans le domaine de la photographie : son Ketâb-e Fotogerâfi (Livre de la photographie), qui comporte 14 pages, fut tout d’abord introduit dans le catalogue de la Bibliothèque d’E’tezâd-ol- Saltaneh pour être ensuite offert à la Bibliothèque de l’école Nâsseri (Sepahsâlar). Malek Ghâssem Mirzâ décéda en 1861 à l’âge de 53 ans.
L’histoire atteste qu’à l’aube de son introduction en Iran, la photographie était exclusivement en usage parmi les gens de la cour royale. Ce qui attire néanmoins l’attention est que les femmes réservèrent un accueil enthousiaste à cette innovation occidentale. ‘Ezzat Malek Khânoum, surnommée Ashraf-ol-Saltaneh, est connue comme étant la première femme photographe de l’Iran.
Elle naquit à Kermânshâh, à l’ouest du pays ; son père, ‘Emâd-ol-Doleh Dolatshâhi, était alors le gouverneur de cette région. En 1871, elle se maria avec Mohammad-Hassan Khân E’temâd-ol-Saltaneh [7] et se rendit avec lui à Téhéran. Elle n’avait pas d’enfants et consacrait donc tout son temps aux activités politiques et culturelles ; elle accompagnait son mari partout et dans toutes ses activités. En tant que ministre de la publication du pays, E’temâd-ol Saltaneh fit publier durant les 25 années de sa vie commune avec Ashraf-ol-Saltaneh, 9 périodiques. De ce fait, il est considéré comme une figure très influente de l’histoire de la presse iranienne contemporaine. Ashraf-ol-Saltaneh avait un rôle central dans l’ensemble des étapes de la production de ces périodiques. Le livre le plus important de E’temâd-ol Saltaneh intitulé Rouznâmeh-ye Khâterât (Journal des Souvenirs) comporte de nombreux détails de la cour qâdjâre pendant le règne de Nâssereddin Shâh. Certains passages étaient écrits par Ashraf-ol-Saltaneh et de ce fait, elle est considérée comme la première femme journaliste iranienne.
Elle s’intéressait également à l’histoire et à la médecine, et maîtrisait la langue française. Grâce à son mari, elle avait aussi une très bonne connaissance de la situation politique du pays et de l’étranger.
Suite aux encouragements de son mari, elle apprit la photographie auprès de son cousin, le prince Soltân Mohammad Mirzâ, et fut la première femme photographe dans l’histoire de la photographie en Iran. Elle se chargea d’enseigner la photographie aux autres femmes de la cour, et elle a laissé de nombreuses photos de l’ensemble des pièces de la cour et en particulier des harems. Néanmoins, elle n’était pas aussi habile que les photographes officiels de la cour.
En 1896 et suite à la mort de son mari, Ashraf-ol-Saltaneh se rendit à Mashhad à l’est du pays. Elle dédia la quasi-totalité des biens de son mari, dont les livres et les manuscrits, à la Bibliothèque de l’Astân-e Ghods-e Razavi liée au sanctuaire de l’Imâm Rezâ. Elle quitta ce monde dans cette ville à l’âge de 55 ans.
Bibliographie :
Ghâssemi, Seyyed Farid, Târikh-e Matbou’ât-e Irân (Histoire de la Presse en Iran), Nashr-e Sânieh, Téhéran, 1390 (2011).
Yazdânparast, Hamid, Madjmou’eh-ye maghâlât va matâleb-e irânshenâsi (Anthologie des articles et documents d’iranologie), 1388 (2009), Téhéran.
Zokâ, Yahyâ, Târikh-e ‘akkâsi va ‘akkâsân-e pishgâm-e Irân (Histoire de la photographie et les photographes pionniers de l’Iran), Enteshârât-e ‘elmi farhangi, Téhéran, 1ère édition 1376 (1997).
[1] Roi de la dynastie qâdjâre entre 1835 et 1848.
[2] Roi de la dynastie qâdjâre entre 1849 et 1898. En tant que mécène, Nâssereddin Shâh se fit lui-même photographier. Dans certains textes non-authentiques, son nom est cité en tant que premier photographe iranien. Quoi qu’il en soit, il eut un rôle primordial dans l’introduction des innovations occidentales de l’époque en Iran, dont les appareils photographiques.
[3] Inaugurée à Téhéran par le grand vizir Amir-Kabir sous le règne de Nâssereddin Shâh Qâdjâr et considérée comme étant la première université iranienne inspirée d’un modèle européen, Dâr-ol-Fonoun (l’école polytechnique) dispensait l’enseignement des sciences nouvelles.
[4] Du nom de son inventeur français, Louis Daguerre (1787-1851), le daguerréotype est un procédé photographique qui produit une image sans négatif sur une surface en argent polie comme un miroir, exposée directement à la lumière.
[5] Deuxième roi qâdjâr.
[6] Jean-Baptiste Eugène Napoléon Flandin (1809-1889), diplomate et peintre orientaliste français. Il fut envoyé en mission en Iran à l’époque de Mohammad Shâh Qâdjâr. A la suite de ce long voyage, il écrivit un récit de voyage intitulé Voyage en Perse en 6 volumes qui furent publiés en 1851 à Paris.
[7] Le chroniqueur et ministre de la publication du gouvernement de Nâssereddin Shâh Qâdjâr, Mohammad-Hassan Sani’-ol-Doleh, est plus connu sous le nom de E’temâd-ol-Saltaneh.