|
Située à l’ouest de la province du Khorâssân, à environ 250 km de Mashhad, la ville de Sabzevâr est un carrefour où se croisent plusieurs routes nationales dont l’autoroute de Téhéran-Mashhad et celle du Nord-Sud. Cette ville était autrefois une étape de la Route de la Soie et sa région comptait parmi l’un des douze districts de Beyhagh. [1] De ce fait, l’histoire de Sabzevâr est attachée à celle de Beyhagh. Dotée comme tous les recoins de l’Iran d’une histoire plurimillénaire et tourmentée, Sabzevâr a souvent été le berceau de grandes figures scientifiques et culturelles du pays. De 1337 à 1386, Sabzevâr fut la capitale de la dynastie locale des Sarbedâr [2] dont, en 1332, le peuple se souleva sur leur ordre contre les Mongols. Ils fondèrent en 1337 leur Etat avec cette ville pour capitale.
Sabzevâr, région aride, possède un climat désertique tout en abritant pourtant de nombreux villages vivant de l’agriculture.
La fondation de la ville de Sabzevâr remonte au 4e millénaire avant J.-C. Elle était alors connue sous le nom de Beyhagh. On dit que c’est dans cette région que se déroula le combat mythique de deux des héros mythologiques de l’Iran : Rostam et Sohrâb, et la place centrale de la ville témoigne de cette croyance.
Durant la dernière décennie, les archéologues ont découvert un casque et une armure très anciens dans le centre-ville, près de la place de la mairie (anciennement nommée place de Div-e Sepid [3]), découverte qui a fortifié l’opinion selon laquelle Sabzevâr aurait été le champ de ce combat mythique entre père et fils. Il y a actuellement plus d’une cinquantaine de documents historiques attestant de ce fait et que cette place aurait été le lieu où fut tué le jeune Sohrâb. Quant à la place de la mairie, anciennement place du Div-e Sepid, elle est citée par plus d’un ancien historien, notamment par Abolhassan Beyhaghi [4] qui, en 1149, écrit : « …en hiver, on recouvre la Place d’une matière blanche pour la protéger contre la pluie et la neige. »
James Down, orientaliste anglais du XVIIe siècle, rapporte ainsi l’histoire du voyage de Shâh Esmaël le Safavide [5] à Sabzevâr : « Lors de la fête organisée à l’occasion de l’arrivée du Roi à Sabzevâr, les habitants recréèrent le spectacle du combat mythique entre Rostam et Sohrâb, qui fut aimablement accueilli et admiré par le roi épris lui-même du Shâhnâmeh [6] ; en fait, ce spectacle est régulièrement organisé à Sabzevâr et attire, à chaque fois, des foules immenses … »
Selon les ouvrages littéraires ou historiques, les mythes iraniens étaient bien connus des habitants de cette région bien avant la rédaction du Shâhnâmeh par Ferdowsi. Parmi ces ouvrages, on peut notamment citer le Farhang-e Djahângiri, Borhân-e Ghâte’, Al-Mondjad et le Loghatnâmeh de Dehkhodâ. [7]
Durant les premiers siècles de l’ère islamique, Beyhagh comprenait deux districts : Sabzevâr et Khosrowgerd. Sabzevâr fut complètement rasée lors de l’invasion mongole au XIIe siècle. En 1332 et après 120 ans de domination mongole, un mouvement de révolte paysan contre les Moghols s’amorça. Cette révolte fut bientôt guidée par un preux seigneur, Soltân Massoud, et six de ses compagnons, qui formaient ensemble la bande des Sarbedâr. Très vite, la révolte paysanne se joignit à eux et la bande des Sarbedâr, désormais armée, libéra la ville de Sabzevâr, puis s’empara également de régions plus au nord, dans le Gorgân et le Mâzandarân. A la suite de quoi, les Sarbedâr se proclamèrent dynastie royale, adoptant Sabzevâr comme capitale et le chiisme comme religion officielle. En 1386, Tamerlan [8] assiégea Ali-Beg (le dernier roi Sarbedâr) à la forteresse de Kalât (dans le Khorâssân) et mit fin à la suprématie des Sarbedâr, émirs dont le nom symbolise en Iran la vaillance du combat pour l’indépendance et la liberté.
Durant l’ère safavide (1501-1736) et lors de l’attaque des Ouzbeks [9], Sabzevâr subit de lourds dégâts mais rapidement reconstruite, elle redevint un phare culturel et économique dans la région.
Sabzevâr, longtemps centre scientifique de l’est du pays, fut le lieu d’échanges de nombreux scientifiques iraniens et étrangers et le berceau de grandes figures culturelles et intellectuelles iraniennes telles que Mollâ Hâdi Sabzevâri [10], Abolhassan Beyhaghi, Abolfazl Beyhaghi [11], Mahmoud Dowlatâbâdi [12] , Ghâssem Ghani [13] et Ali Shariati [14].
La ville de Sabzevâr abrite plus de mille monuments historiques datant de diverses époques et enregistrés au Patrimoine national. La Grande Mosquée de Khosrowshir, le caravansérail de Farâmarzkhân, le temple du feu d’آzarbarzin Mehr (localement connu sous le nom de khâneh-ye div qui signifie « la maison du démon ») et le fameux minaret de Khosrowgerd en sont de bons exemples.
Edifié en 1112 sur ordre de Tâdjoddoleh Abolghâssem le Seldjoukide, le minaret de Khosrowgerd, merveille d’architecture, s’élève à 33 mètres et dévoile les techniques de construction propres à l’époque seldjoukide (1037-1194). Barre gigantesque au plan carré recouverte à l’extérieur de calligraphies coufiques, ce minaret dressé à 5 km de Sabzevâr guidait autrefois les voyageurs sur la Route de la Soie. Aujourd’hui, désormais monument historique, ouvrant les portes du Khorâssân, il accueille toujours aimablement les nouveaux venus. Le minaret de Khosrowgerd est en fait un symbole de la bienveillance, de l’hospitalité et de l’amitié des habitants du désert.
Située dans une région steppique et vallonnée à la fois, Sabzevâr jouit d’un climat varié et d’une biodiversité remarquable, changeante d’un village à l’autre.
Parmi les curiosités géographiques de la région, on peut évoquer l’existence du petit parc protégé de Shir Ahmad, à 5 km au sud de la ville de Sabzevâr. Couvrant une superficie de 25 000 hectares, ce site est le lieu de vie de plusieurs espèces animales et végétales. Comme toutes les régions désertiques, l’amplitude thermique y est grande. Plusieurs rivières, notamment saisonnières, ainsi que des sources fournissent l’eau de la région venant répondre à une forte demande agricole, la culture des terres étant l’occupation principale des habitants. Parmi les rivières limitrophes de Sabzevâr, on peut citer le Kâl-shour, qui longe Shir Ahmad par le nord, le Reyvand, le Tchechtmand, le Za’farâniyeh, le Soleymânieh et le Delbar.
Il reste à dire que le développement des infrastructures urbaines, l’aménagement des aires de loisirs et des sites historiques participent certes au développement du tourisme, mais ils ne suffisent pas pour faire la promotion d’une région naturellement et historiquement riche, mais peu connue.
Bibliographie :
Nobâghi, Madjid, آssâr va abniyeh-ye târihki-e Sabzevâr (Ouvrages et monuments historiques de Sabzevâr), Omid-e Mehr, Téhéran, 1391 (2012).
[1] Nom dérivé de behin signifiant « le meilleur » : du fait de la situation privilégiée de Beyhagh dans toute la région. Aujourd’hui, Beyhagh est le nom d’un village situé au sud de Sabzevâr.
[2] Mot composé de deux parties : sar qui signifie « la tête » et bedâr qui veut dire « prêt à être pendu ».
[3] Le mot signifiant « Démon blanc », en référence au plus important démon de la mythologie littéraire iranienne.
[4] Abolhassan Ali Ebn Zeyd Beyhaghi (1100-1170), surnommé Ebn-e Fandogh. Son ouvrage majeur, Târikh-e Beyhagh (Histoire de Beyhagh), lui apporta une grande renommée. Cet ouvrage est consacré à la présentation de la géographie, de l’histoire et des grandes figures de Sabzevâr depuis les débuts jusqu’au XIIe siècle. Ebn Fandogh est enterré au village de Chechtmand, près de la rivière du même nom, à 35 km au sud de Sabzevâr.
[5] Shâh Esmaël Ier (1502-1524), fondateur de la dynastie des Safavides.
[6] Epopée persane compilant une bonne partie de la mythologie iranienne, versifiée pendant 30 ans et achevée en 1009 par Abolghâssem Ferdowsi Toussi (935-1020).
[7] Au sujet des dictionnaires persans, voir notre article « Les Dictionnaires de langue persane », in La Revue de Téhéran, n° 59, octobre 2010. Consultable sur : www.teheran.ir/spip.php?article1265
[8] En persan Teymour Lang (Timour le boiteux), fondateur de la dynastie des Timourides et qui exerça son pouvoir pendant 35 ans (1369-1405).
[9] Pendant le règne de Shâh Abbâs le Grand (1587-1629).
[10] Hâdj Mollâ Hâdi Sabzevâri (1798-1875), philosophe et homme religieux surnommé Asrâr. Il est enterré dans ce qui est aujourd’hui devenu la place Kârgar à Sabzevâr.
[11] Abolfazl Mohammad Ebn Hossein Beyhaghi (995-1077), historien à la cour de Mahmoud le Ghaznavide. Son livre Târikh-e Beyhaghi (L’Histoire Beyhaghi) est un chef d’œuvre tant historique que littéraire et nous donne des informations précieuses sur la dynastie ghaznavide dans le pur style de prose khorâssani.
[12] Chercheur et romancier contemporain né en 1940 à Dowlatâbâd, village de Sabzevâr. Son œuvre la plus renommée est la fresque Keleydar, roman épique d’une douzaine de tomes publié en 1984.
[13] Médecin et auteur contemporain (1952-1998), correcteur des textes anciens y compris du Divan de Hâfez.
[14] Ali Shariati Mazinâni (1933-1977), sociologue, philosophe, militant politique et professeur à l’Université de Téhéran.