|
La visite régulière de sanctuaires religieux où sont enterrés des Imâmzâdehs constitue un élément important de la pratique religieuse dans le chiisme. Essaimés sur l’ensemble du territoire de l’Iran, au milieu de villes, au fond d’une ruelle d’un petit village, au milieu du désert ou en haut d’une montagne, ces sanctuaires connaissent une affluence particulière lors des fêtes et deuils du calendrier musulman chiite, mais rares sont ceux qui ne sont pas fréquentés quotidiennement par les gens qui habitent à leur proximité ou, pour les plus connus, par des pèlerins ayant parfois parcouru de longues distances pour y accéder.
Que signifient, et que représentent les visites pieuses à ces sanctuaires pour un chiite ? Le comprendre implique de saisir le sens du terme « Imâmzâdeh », les personnes qu’il inclut et leur importance en les situant dans leur rapport avec les Douze Imâms, à l’Imâm ’Ali, cousin et gendre du Prophète, à l’Imâm Mahdi, figures centrales et cœur de la spiritualité chiite.
Le terme d’Imâmzâdeh est composé du terme arabe imâm signifiant guide, "celui qui se tient devant", et zâdeh, participe passé du verbe zâidan et signifiant "né de", "issu de". L’Imâmzâdeh est donc la personne - homme ou femme - qui descend directement de l’un des Imâms et dont la généalogie précise est attestée. Par extension, outre la personne, le terme en est venu à désigner l’ensemble du mausolée édifié à l’endroit où est enterré le descendant d’Imâm. Si être descendant d’Imâm est une condition sine qua non pour être qualifié d’Imâmzâdeh et être le sujet de pèlerinages, elle n’est cependant pas suffisante : il faut que la personne en question ait été reconnue à son époque comme dotée d’une haute vertu, d’une piété exemplaire, et de qualités spirituelles reconnues.
Si certains mausolées ont été édifiés sur une tombe, dès le départ, connue des personnes habitant à proximité et s’étant transmis de génération en génération les récits de la vie de cet Imâmzâdeh, d’autres ont été "découverts", dans le sens où leur lieu de sépulture a été retrouvé par hasard lors de travaux, révélant des corps inhumés depuis plusieurs siècles et pourtant parfaitement conservés comme s’ils avaient quitté ce monde la veille, et ce dans des conditions géologiques rendant toute explication naturelle impossible. Ces miracles ont ensuite souvent mené à des recherches permettant de confirmer l’identité et la sainteté de ces personnes. Ainsi, les écritures figurant sur la pierre tombale, lorsqu’elles sont encore lisibles, ou des documents manuscrits concordants viennent parfois aider à confirmer le haut statut de ces personnes.
La signification que revêt la visite pieuse à un Imâmzâdeh pour un chiite ne diffère pas dans son essence de celle impliquée par tout pèlerinage au sanctuaire d’un Imâm comme celui de l’Imâm Hossein à Karbalâ ou de l’Imâm Rezâ à Mashhad, seul le rang spirituel de ces derniers étant considéré comme plus éminent. Commençons par étudier le terme par lequel cet acte de visitation est désigné en persan, la langue étant souvent révélatrice de connotations parfois effacées par des traductions imprécises. Le fait de se rendre à un sanctuaire d’Imâm (ou d’Imâmzâdeh) est désigné par le terme arabe ziyârat, souvent traduit par "pèlerinage" mais qui signifie littéralement "visite". Il est intéressant de souligner que ce terme est également utilisé pour désigner la visite à une personne vivante, et sous-entend que, selon les croyances chiites, le pèlerinage n’est pas un simple hommage rendu à une personne morte et enterrée, mais bien à une âme qui reste vivante et à qui le croyant peut s’adresser directement. Premier point essentiel donc, la ziyârat aux Imâmzâdehs est la visite à une personne bien vivante, et non un simple acte de souvenir et de commémoration de ses vertus.
Loin d’être une simple invention issue de la piété populaire chiite, la visite aux tombes d’Imâms et de leurs descendants a été recommandée par les Imâms eux-mêmes de leur vivant. L’Imâm Rezâ et l’Imâm Javâd ont ainsi recommandé aux croyants de visiter leurs tombes en insistant qu’un tel acte équivalait à leur rendre visite comme s’ils étaient encore vivants, tandis qu’après avoir prédit le décès de la fille de son fils l’Imâm Moussâ Kâzem - son excellence Ma’soumeh, enterrée à Qom -, l’Imâm Sâdeq a affirmé que le paradis reviendrait à toute personne ayant visité sa tombe. Cet exemple nous donne l’occasion de souligner encore une fois que la notion d’Imâmzâdeh désigne à la fois les hommes et les femmes, et que le fait que le sanctuaire de Qom soit devenu l’un des lieux de pèlerinage le plus important d’Iran et un centre de sciences et de savoir au cours de l’histoire laisse entendre que les femmes Imâmzâdehs n’ont pas moins d’importance que les hommes, et font l’objet d’un respect et d’une vénération identiques. Néanmoins, c’est une parole de l’Imâm ’Ali al-Naqi, dixième Imâm des chiites [1], qui est considérée comme véritablement fondatrice de la tradition et de l’extension de la notion de ziyârat aux Imâmzâdehs. Ce dernier a, en effet, selon la tradition chiite, déclaré à un habitant de la ville de Rey revenant à l’époque d’Iraq où il avait visité la tombe de l’Imâm Hossein, qu’il aurait été possible, si le fait d’entreprendre un tel voyage entraînait pour lui de grandes difficultés, de faire à la place un pèlerinage au sanctuaire de Hazrat Abdol-’Azim, descendant de l’Imâm Hassan enterré dans la ville de Rey, et qui demeure jusqu’à aujourd’hui un importance lieu de pèlerinage. Les conséquences sont fondamentales, car il est désormais clairement exposé que toute personne n’ayant pas les moyens matériels ou physiques de se rendre à un sanctuaire d’Imâm peut à la place effectuer une ziyârat à un Imâmzâdeh, dont les sanctuaires parsèment l’ensemble du territoire iranien – peu de villages ne pouvant encore aujourd’hui s’enorgueillir d’abriter au moins l’un de ces sanctuaires. Cette démarche a, par la suite, été validée et reconnue par d’éminentes figures religieuses chiites, qui ont contribué à encourager de telles pratiques. Au XIe siècle, Sheykh Mofid, un éminent théologien chiite, composa ainsi une prière de visitation destinée à être récitée lors de visites aux sanctuaires des descendants d’Imâms. La ziyârat devint partie intégrante de la pratique religieuse chiite dès le XIIe siècle, et connut une nouvelle expansion sous les Safavides, dynastie ayant fait du chiisme une religion d’Etat. Son développement s’est accompagné de l’édification de divers types de sanctuaires, de pratiques votives et de l’apparition de toute une littérature composée d’invocations et de textes pieux récités durant les pèlerinages. L’incitation à visiter les tombes des Imâmzâdehs se retrouve également dans un grand classique de la littérature chiite et son plus important recueil de prières intitulé Mafâtih al-Jinân (Les clés du Paradis). Son compilateur, Sheikh ’Abbâs Ghomi, figure théologique renommée du XIXe siècle, insiste sur l’importance de visiter régulièrement ces sanctuaires qui sont qualifiés de lieux où descendent la bénédiction, la miséricorde et la grâce, et où tout cœur affligé trouvera une consolation.
Il est possible de réaliser ces visites à tout moment de l’année, cependant, certaines dates du calendrier chiite constituent des temps forts de la vie spirituelle où la ziyârat est plus particulièrement recommandée. Parmi ces dates, nous pouvons notamment citer le premier jour du mois de Rajab, le quinzième jour du mois de Sha’bân, qui marque la commémoration de la naissance du Douzième Imâm al-Mahdi, la veille de l’Aïd al-Fetr qui vient sceller la fin du mois du Ramadan, le jour de ’Arafa…
Il est difficile d’enfermer dans une catégorie hermétique et d’assigner des contours très définis à la façon dont une ziyârat se déroule, mais nous pouvons néanmoins en relever certains aspects saillants au travers d’un exemple type. Avant d’entrer dans le sanctuaire, il importe d’avoir fait ses ablutions – chez soi ou dans les wozoukhâneh, salle d’ablutions se trouvant en général à proximité de l’Imâmzâdeh. Il importe également d’avoir des vêtements propres, la pureté extérieure participant à la pureté intérieure. L’intention (niyyat) présidant à la visite est également centrale : la ziyârat doit être motivée avant tout par une volonté de se rapprocher de Dieu en manifestant une marque d’amour et de respect vis-à-vis d’une personne qui L’aimait et dont Il était proche. Elle doit également se réaliser "en connaissance de cause", c’est-à-dire en ayant conscience du statut de l’Imâmzâdeh et de la signification profonde du pèlerinage : avant toute prière et demande de vœu, l’approfondissement de sa foi doit rester le but premier.
Certains sanctuaires comportent une invocation contenant une demande d’autorisation d’entrer (izn-e dokhoul). Après l’avoir lue, et s’il ressent foi et humilité dans son cœur, le pèlerin peut commencer sa visite pieuse. Après s’être préparé intérieurement et purifié extérieurement, le pèlerin entre donc par la porte qui lui est réservée, selon qu’il soit homme ou femme. Pour les femmes ne le portant pas habituellement, des tchâdor sont à disposition pour qu’elles s’en recouvrent le corps en entrant dans le sanctuaire. Comme dans tout lieu religieux en islam, il convient également de retirer ses chaussures avant d’entrer, acte marquant l’entrée dans un espace sacré. Il convient ensuite de s’approcher du zarih [2] et donc du tombeau, et d’adresser des salutations de paix à l’Imâmzâdeh. Ces salutations peuvent prendre la forme d’un simple salâm, s’accompagner d’une inclination respectueuse ou de la lecture de la ziyârat (prière de visitation) propre à cette personne. Cette prière est souvent écrite au-dessus du zarih, et retrace la généalogie ainsi que les vertus propres à l’Imâmzâdeh – le fait d’être d’abord et avant tout un serviteur (’abd) de Dieu, Son ami (vali), d’avoir suivi l’ensemble des prescriptions religieuses, d’avoir lutté contre son égo dans Sa voie, d’avoir cherché à se rapprocher de Dieu par chaque parole et acte… Elles contiennent aussi parfois des invocations que le croyant adresse à Dieu et des remerciements pour perpétuer Sa guidance au travers de la présence de Ses amis (awliyâ’) dont font partie les Imâmzâdehs. On se rend ensuite à proximité du zarih et on formule sa demande avec ses propres mots, ou l’on confie ses prières à l’Imâmzâdeh et à Dieu. Il est aussi recommandé de s’incliner ou, si on le souhaite, d’embrasser le zarih. Cette pratique n’est néanmoins qu’une marque de respect et d’amour et non un acte d’adoration, qui est uniquement réservé à Dieu. Il est ensuite de coutume d’aller s’asseoir sur les tapis disposés dans le sanctuaire, et de faire des prières surérogatoires, de lire le Coran ou des invocations particulières… Certaines personnes ayant fait un vœu (nazr) distribuent des friandises dans l’espoir qu’il se réalise ou pour remercier Dieu de l’avoir exaucé. Il est recommandé de rester dans un état d’humilité et de recueillement tout au long de la visite, état qui se manifeste dans la façon de marcher, de parler, notamment en évitant toute parole futile… et ce aussi afin de respecter la sacralité du lieu et l’éminence de son hôte. La ziyârat s’achève par un retour auprès du zarih où on adresse ses adieux à l’Imâmzâdeh, on reformule ses souhaits, et on remercie Dieu d’avoir permis la réalisation de cette visite, en souhaitant pouvoir de nouveau y retourner bientôt… Il est aussi de coutume que l’on adresse une ultime marque de respect en s’inclinant vers le zarih de l’entrée de l’Imâmzâdeh, avant d’en sortir. Ainsi s’achève la ziyârat, qui peut prendre une tournure spécifique selon chaque pèlerin. Sa fréquence est également très variable : pour certaines personnes habitant à proximité d’un sanctuaire, elle peut prendre la forme d’une visite quotidienne. Pour d’autres, la ziyârat n’est qu’épisodique et ne se réalise que quelques fois par an.
La plupart des sanctuaires sont ornés d’une coupole sous laquelle se trouve à l’intérieur le zarih situé lui-même au dessus du tombeau et à la hauteur des pèlerins, ressemblant à une grande grille en or, en argent, en acier ou encore en bois. Si le sanctuaire est assez grand, une entrée est réservée aux hommes et une autre aux femmes et le sanctuaire est divisé en deux parties égales au centre desquelles se trouve le zarih. Cependant, dans les sanctuaires plus petits, il arrive que cette division disparaisse faute de place.
Il faut enfin préciser que pour les personnes ne pouvant physiquement se rendre à un sanctuaire, il est aussi possible d’effectuer une ziyârat "de loin" (az ba’id) en récitant chez soi, avec la présence de cœur nécessaire, la prière adressée à l’Imâmzâdeh ou à l’Imâm que l’on récite habituellement dans son sanctuaire.
La visite pieuse aux sanctuaires des Imâms et Imâmzâdehs rythme la vie religieuse de tout chiite. Son caractère central se fonde sur une conception de l’homme, du type de lien qu’il est susceptible d’établir avec Dieu, et enfin sur une philosophie de la médiation et de la présence incarnée par l’Imâm dans le chiisme. Comme nous l’avons évoqué et tel que le sous-entend le terme de ziyârat, se rendre à un Imâmzâdeh signifie effectuer une visite à une personne bien vivante. La visite des tombes des prophètes et personnalités spirituelles est une pratique elle-même recommandée et reconnue par les Imâms et le Prophète lui-même qui, de son vivant, a affirmé que "me rendre visite à ma tombe après ma mort est comme me rendre visite durant ma vie." [3]
L’importance des ziyârat aux Imâmzâdehs et, par extension, à toute personne aux mérites spirituels reconnus, réside dans l’importance de la présence de modèles dans le cheminement spirituel de l’homme, modèles qui non seulement l’inspirent et le poussent à modeler sa conduite sur leurs actes, mais aussi, concrètement et si un lien spirituel s’établit entre eux, accompagnent le croyant et le guident dans son cheminement vers son Créateur. Cette philosophie de la ziyârat implique donc de reconnaître l’importance d’une guidance existentielle (hedâyat-e vojoudi) réalisée au travers des âmes d’hommes saints. Cet aspect est une caractéristique majeure de la pensée chiite, selon laquelle la foi du croyant ne peut être seulement nourrie par les écritures ni par le respect des principes de la Loi, mais doit aussi pouvoir s’abreuver à une source vivante, une présence, une personne concrète ayant elle-même suivi cette voie. Les deux aspects entretiennent ainsi une relation étroite, la guidance existentielle permettant à son tour d’approfondir la guidance spéculative et de mieux saisir le sens de certains concepts religieux du Livre. La guidance existentielle fait également intervenir la notion centrale d’amour, qui permet aux enseignements religieux de prendre tout leur sens et à la foi d’être vécue dans toute sa plénitude. La visite pieuse permet également de manifester concrètement son amour au Créateur de par le témoignage de fidélité et d’affection à des personnes proches de Lui qu’elle implique. L’amour permet aussi de renforcer l’effacement de l’égo face à l’Être aimé. La ziyârat ne doit donc pas être perçue comme l’établissement d’une simple relation hiérarchique faite de demandes d’intercession et d’invocation, mais avant tout comme un appel adressé à chacun à s’élever au rang de ces personnalités religieuses et à devenir comme elles. Elle constitue un rappel de la perfection que tout croyant est appelé à atteindre, et de son futur retour vers Dieu. Comme nous l’avons évoqué, l’acceptation et l’utilité spirituelle de cette ziyârat sont conditionnées au fait qu’elle soit réalisée avec humilité et présence de cœur.
La pratique de la ziyârat aux Imâmzâdehs dans le chiisme a souvent été l’objet de critiques de la part de différents courants au sein de l’islam, la plus fondamentale taxant une telle pratique d’associationniste et de contraire à l’unicité divine. Ces critiques se sont vues opposer de nombreuses réponses par diverses grandes figures religieuses chiites dont, à l’époque contemporaine, ’Allâmeh Tabâtabâ’i ou l’Ayatollah Khomeiny. Dans son Kashf al-Asrâr (Dévoilement des secrets), ce dernier insiste sur le fait que loin d’impliquer une forme d’adoration à un autre que Dieu, la visite à un Imâmzâdeh n’est en réalité que l’application d’une recommandation du Coran soulignant que "quiconque exalte les emblèmes et rites (sha’â’ir) de Dieu s’inspire en effet de la piété des cœurs" (22:32). En d’autres termes, aimer Dieu, qui constitue l’âme de la religion, implique également d’aimer et de témoigner des marques de respect à tout ce qui Le manifeste et permet de se rapprocher de Lui, car l’amour n’est-il pas de témoigner de l’affection et d’aimer tout ce qui est lié à l’Aimé ? Et qui Lui est davantage lié que Ses amis, ceux qui L’ont aimé et se sont efforcés de se rendre semblables à Lui tout au long de leur existence ? En outre, la construction de sanctuaires ne contredit pas ni l’esprit ni la lettre du Coran, où il est évoqué que Dieu permet d’élever des maisons (buyout) où Son nom est invoqué (24:36). Or, ces ziyârat constituent avant tout une occasion de prier Dieu et d’exprimer son désir de prendre modèle sur ceux qui ont pris chemin vers Lui. Enfin, il faut rappeler que ces ziyârat ne viennent en aucun cas remplacer le pèlerinage à La Mecque qui, contrairement aux premières qui sont néanmoins recommandées, a un caractère obligatoire pour tout croyant qui en a les moyens. Tout au long de l’histoire du chiisme, les savants religieux ont ainsi insisté que ces ziyârat ne pouvaient en aucun cas venir se substituer au hajj. L’importance du fait de glorifier et de sanctifier Dieu tout au long de la visite pour éviter justement tout excès et tendance éventuelle à considérer son hôte comme un être doté d’une volonté propre vient souligner que le but ultime de ces visites reste toujours Dieu, et que l’être auquel on rend visite n’est qu’une manifestation ne possédant rien en elle-même, mais ayant tout de Dieu et par Dieu. Le texte même des prières de visitation insiste sur ce statut, et présente les Imâmzâdehs non pas comme des êtres ayant la moindre indépendance vis-à-vis de leur Créateur, mais plutôt comme des moyens et des canaux de l’effusion divine (fayz) et autant de moyens d’établir un lieu avec Lui.
Ces lieux saints parsèment l’ensemble du territoire iranien, notamment du fait que de nombreux descendants d’Imâms, persécutés à leurs époques respectives par les califes principalement abbassides, fuyaient l’Iraq pour se réfugier en Iran où ils étaient souvent rattrapés par les agents du gouvernement et exécutés. Il y aurait ainsi en Iran, selon différentes estimations, de 800 à 1000 Imâmzâdehs ; l’authenticité et les origines de certains continuant à être l’objet de discussions. Ces sanctuaires se retrouvent aussi dans les pays voisins, en Iraq et en Afghanistan.
La construction de mausolées s’est faite de façon progressive et leur architecture et leurs ornementations intérieures se sont étoffées au cours des siècles. Ces lieux de pèlerinage sont désignés par plusieurs noms, chacun faisant référence à un aspect du lieu, dont marghad (littéralement "lieu de repos"), bogh’eh (sanctuaire), âstâneh (seuil), rowzeh (jardin, qui désigne la tombe comme lieu de vie au-delà de la mort), maghâm (à la fois site et statut). Ces noms sont parfois agrémentés d’adjectifs tels que mobârak (béni), moghaddas (saint), donnant lieu à des expressions telles que âstâneh mobârakeh, maghâm-e moghaddas, bogh’eh mobârakeh… désignant chacune à leur manière, d’un ton empreint de respect, la sacralité du lieu. Nous retrouvons cette diversité d’expression pour désigner les sanctuaires d’Imâms, ceux se trouvant en Iraq étant notamment désignés par l’expression de ’atabât ’aliyât, ou "seuils élevés". Outre leur statut de sanctuaire, ces lieux ont eu d’autres fonctions au cours de l’histoire, dont celle de refuge durant les périodes safavide et qâdjâre. Chaque sanctuaire compte également, selon sa taille, un ou plusieurs "serviteurs" (khâdem) en charge de l’entretien du lieu et qui peuvent apporter des informations précieuses aux visiteurs. La grande majorité d’entre eux sont bénévoles, et il faut parfois rester de longs mois sur la liste d’attente avant d’accéder à cette charge, la demande étant souvent forte.
En Iran, la grande majorité de ces sanctuaires est gérée par un même organisme, l’Organisation des Owghâf, qui dispose d’un bureau dans l’ensemble des provinces. Grâce aux dons des pèlerins et aux fonds qui leur furent alloués par l’Etat après la Révolution islamique, une grande partie de ces sanctuaires ont été rénovés ou agrandis. Certains se transformant parfois en de véritables complexes dotés de bibliothèques, de salles de cours, d’un bazar... La plupart du temps, un cimetière est également situé dans la cour ou à proximité de l’Imâmzâdeh.
Une partie non négligeable des Imâmzâdehs se trouvent à Téhéran, à Rey et dans ses alentours - soit près de 330 sanctuaires rien que pour cette province -, le plus important demeurant celui de l’Imâmzâdeh Hazrat-e ’Abdol-’Azim situé à Rey, dont le sanctuaire rassemble également les tombeaux de deux autres Imâmzâdehs, Tâher et Hamzeh. Une part importante de ces Imâmzâdehs est également des femmes, reconnaissables à leur nom incluant dokhtar ("jeune fille"), bibi ou khâtoun ("dame"). Ainsi, à Téhéran, il est possible d’aller faire une ziyârat au sanctuaire de Haft Dokhtar ("sept jeunes filles") ou encore, à Rey, à ceux de Bibi Zobeydeh et Bibi Shahrbânou.
En complément de la visite aux sanctuaires des Imâms, sanctuaires peu nombreux et parfois situés à de longues distances du lieu de vie de la majorité des Iraniens, la visite aux Imâmzâdehs, de par leur nombre et leur proximité, fait partie intégrante de la vie spirituelle iranienne. Elle participe à nourrir une spiritualité à la fois fondée sur des textes et une présence concrète manifestée par des hommes-modèles qui ont vocation à élever et guider chaque croyant. Les nombreux mausolées parsemant l’ensemble du territoire iranien dessinent donc les contours d’une géographie spirituelle constituant autant de "seuils" vers une Présence immatérielle. D’un point de vue extérieur et architectural, la diversité et la beauté des différents mausolées qui parsèment l’Iran constituent également un témoignage de la richesse culturelle et de l’amour spirituel des habitants de ce pays.
[1] Cette parole est parfois attribuée à son fils, l’Imâm Hassan al-’Askari. Cette différence ne change néanmoins rien sur l’implication de cette parole en elle-même.
[2] Le zarih est le nom donné à une sorte de grande grille de forme rectangulaire en or, en argent, en acier ou en bois situé au-dessus et tout autour du tombeau de l’Imâm ou de l’Imâmzâdeh, à la hauteur des pèlerins.
[3] Mostadrak al-Wasâ’il, vol. 10, p. 380.