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Nezâmi Ganjavi et
les Sept Pavillons (Haft Peykar)
Sous le regard du peintre Zende
Le monde coloré des Sept pavillons du poète persan Nezâmi Ganjavi n’a pas cessé d’inspirer, au cours des siècles, les artistes-peintres des contrées sous influence de la Perse, comme par exemple l’Afghanistan, l’Inde et le Caucase.
Cependant, Zende - dont nous avions publié le portrait, dans le n° 62 de La Revue de Téhéran en janvier 2011, sous le titre « Zende, trait d’union entre tradition persane et art contemporain » - est le premier artiste contemporain à entrer dans le monde imaginaire de Nezâmi avec, de plus, une technique non traditionnelle, réussissant à marier le style « Saqqâ Khâneh » (à l’origine des courants artistiques actuels en Iran) avec le « Pop Art ». Nous reproduisons ci-dessous la présentation par Francine, épouse de Zende, de l’œuvre de Nezâmi Ganjavi et de l’illustration en sept tableaux de ces « Haft Peykar », réalisée par Zende. Ces tableaux, offerts par l’artiste au Musée d’Art Contemporain de Téhéran, seront exposés dans les salles de ce musée dès cet été.
Né en 1141 à Ganjeh, en Iran, Nezâmi Ganjavi est l’un des plus grands poètes du roman épique de la littérature persane. Son style et son érudition dans ce domaine restent, pour beaucoup de poètes, une source d’inspiration.
Son héritage le plus important est Khamseh (Quintet), un ensemble de cinq livres de poèmes épiques majestueux et fascinants, constitué de 30 000 distiques, dont les « Sept pavillons d’amour ».
L’histoire des sept princesses est l’un de ses plus célèbres poèmes. Contrairement à l’histoire de « Khosrow et Shirine », il ne s’agit pas d’une tragédie mais de l’exploration des plaisirs de l’amour, hypnotisant, enchanteur et captivant. Très moral, il est aussi l’un des poèmes les plus intensément sensuels et en même temps mystiques de la littérature persane. Nezâmi, poète énigmatique, ne trace pas une ligne nette entre le sensualisme et le mysticisme, mais utilise très souvent l’un pour illustrer l’autre.
Dans son roman épique Les sept Pavillons (Haft Paykar), les sept récits des sept princesses peuvent être interprétés comme les sept stations de la vie, ou les sept aspects du destin, ou encore les sept étapes de la voie mystique.
Influencé par le Shâhnâmeh de Ferdowsi, qu’il admirait avec ferveur, Nezâmi a choisi pour héros une figure historique, le roi Sassanide Varahran, plus connu sous son nom légendaire de « Bahrâm Gur » (qui signifie zèbre ou chasseur de zèbre).
Fils du roi de Perse Yazdgerd, Bahrâm a passé son enfance et son adolescence à la cour du Yémen dans un palais spécialement construit pour lui. Il y apprit les mathématiques et l’astronomie, l’équitation et le polo, et l’art de la guerre ; il excellait dans tout ce qu’il faisait, mais sa préférence allait à la chasse.
Un jour, en chassant, il vit un lion attaquer un zèbre. Le jeune prince tendit son arc et, d’un tir précis, lança une flèche. La flèche traversa le lion et transperça le zèbre, clouant les deux animaux au sol. Quand ses compagnons virent ce qu’il avait fait, ils le nommèrent avec admiration Bahrâm Gur, c’est-à-dire zèbre.
Le palais de Bahrâm était étrange car il avait été construit par un magicien. Ainsi, il y avait une porte qui était toujours fermée. Un jour, par hasard, le prince découvrit cette porte et demanda à son chambellan de l’ouvrir. Le serviteur ouvrit la porte et conduisit le prince vers le seuil. La pièce renfermait un trésor d’un éclat magnifique. Sur les murs, sept portraits de sept princesses venant de sept contrées du monde étaient accrochés. Sombre ou belle, mince ou pleine, sobre ou souriante, leur beauté était si parfaite que le cœur du prince se trouva épris de chacune d’elles. Puis, il eut la surprise de trouver son propre portrait sous lequel une inscription prédisait qu’il se marierait avec les sept princesses lorsqu’il accéderait au trône. Il fut rempli de joie et, par la suite, vint très souvent se recueillir devant les portraits.
Entre-temps, le récit de ses prouesses avait atteint la cour de Perse. Le roi Yazdgerd, à présent faible et âgé, craignait que si Bahrâm devenait roi, il ne favorise les Arabes plutôt que les Perses, c’est pourquoi il ne le choisit pas pour être son héritier. Bahrâm n’était pas le seul prétendant au trône, son frère était son rival.
A la mort du roi Yazdgerd, Bahrâm rentra en Iran. Une épreuve fut organisée pour déterminer lequel des deux frères serait le roi. La couronne de Perse fut placée entre deux lions, celui des deux frères capable d’arracher la couronne de leurs griffes deviendrait le roi. Bahrâm s’avança bravement entre les deux lions et, à mains nues, les tua, se saisit de la couronne et la plaça sur sa tête. Ainsi commença le règne de Bahrâm Gur.
La joie éclata dans toute la Perse et Bahrâm promit justice et équité. Ainsi, le royaume continua de prospérer comme sous le règne de Yazdgerd. Pourtant, le roi pensait souvent à sa jeunesse, à la porte fermée et à la magnifique pièce cachée derrière elle. Il se souvenait des sept portraits. Alors il envoya des messagers dans chacune des sept contrées du monde et, soit par la persuasion, soit par la menace ou la guerre, il gagna la main des sept princesses.
En attendant leur arrivée, il commanda à son maître artisan, Shideh, de bâtir un palais digne de chacune des princesses. Shideh construisit de façon magistrale un palais d’une magnificence inégalée, comprenant sept dômes et sept pavillons d’une grande opulence, chacun reflétant le climat de la contrée d’origine de chaque princesse, la planète qui régissait leur destin et le jour de la semaine où elles recevraient la visite du roi. Peu après, les sept princesses arrivèrent en Perse.
Samedi, jour de Saturne, sous la coupole noire, la princesse de l’Inde du 1er climat, conte à Bahrâm l’histoire d’un roi qui découvre une mystérieuse ville dont tous les habitants sont vêtus de noir.
Curieux de connaître leur secret, il est emprisonné au sommet d’une tour. Sauvé par Garuda (oiseau-dieu), le roi devient l’hôte d’une princesse sublime entourée de femmes se toilettant l’une l’autre. Elle l’admet à ses côtés, mais refuse de se donner à lui, lui offrant une de ses suivantes chaque soir.
La trentième nuit, incapable de se contenir, le voyageur devient plus pressant. Elle lui demande d’attendre une nuit de plus. Mais il refuse. Elle lui fait fermer les yeux alors qu’elle se déshabille, mais quand il les rouvre, il est à nouveau dans la mystérieuse ville, lui aussi vêtu de noir.
Dimanche, jour du Soleil, sous la coupole dorée, la princesse byzantine du 2ème climat, conte à Bahrâm l’histoire d’un roi dont les concubines sont ensorcelées par une vieille femme bossue vivant dans le palais.
Sans ressentir le moindre sentiment d’amour pour ce roi, toutes aspirent cependant à devenir son épouse officielle. Découragé, le roi rencontre enfin une jeune femme d’une beauté parfaite, modeste et obéissante ; mais, pour une raison mystérieuse, elle refuse de partager son lit. La vertu de la jeune femme reste intacte, sous les maléfices de la vieille, qui sera finalement chassée du sérail.
Le roi est sous le charme, son amour pour la jeune femme se renforce de jour en jour, faisant de lui l’esclave de sa propre esclave.
Lundi, jour de la Lune, sous la coupole verte, la princesse du Caucase du 3ème climat conte à Bahrâm l’histoire de Bashr, un jeune noble qui, au détour d’une rue, tombe amoureux dès le premier regard d’une femme mariée. Parti à sa recherche, il voyage en compagnie d’un philosophe rationaliste.
Ils se perdent dans le désert et trouvent une grande jarre pleine d’eau pure. Ils étanchent leur soif puis le philosophe se baigne dans la jarre. Aussitôt dans l’eau, il coule dans un abîme sans fond. Bashr rassemble pieusement les effets de son compagnon afin de les restituer à sa famille.
ہ sa grande surprise, il se rend compte que la veuve est la femme dont il était tombé amoureux... La jeune femme se félicite que le destin l’ait débarrassée de son vieux mari. Ils se marient.
Mardi, jour de Mars, sous la coupole rouge, la princesse russe du 4ème climat conte à Bahrâm l’histoire de la princesse slave d’une beauté parfaite, artiste, intelligente, mais qui refuse de se marier.
Quel prétendant pourrait être digne d’elle ?
Elle peint son propre portrait sur un rouleau de soie, le suspend à la porte du roi du Kremlin, puis elle l’oblige à lui permettre de s’isoler sur les hauteurs d’un château-fort aux remparts d’acier, cachée derrière une clôture et défendue par des talismans.
La célébrité du portrait se répand dans le monde entier. Chacun des prétendants doit remplir quatre conditions : être beau et noble, se frayer un chemin pour parvenir au château, découvrir le passage secret et, enfin, répondre aux énigmes posées par la princesse, faute de quoi sa tête sera coupée. De nombreux prétendants, risquant leur vie, accourent de tous pays. Le dernier arrivé est un prince qui, grâce à son enseignement, réussira les épreuves. Elle en tombe amoureuse et lui offre deux perles de ses boucles d’oreille en gage de promesse de mariage.
Mercredi, jour de Mercure, sous le dôme turquoise, la princesse marocaine du 5ème climat conte à Bahrâm l’histoire d’un jeune et riche commerçant qui passe sa vie, avec ses amis, au seul plaisir des sens. Une nuit, au cours d’un banquet, il s’enivre de vin et, chancelant, se réfugie dans une palmeraie. Il lui semble apercevoir l’un de ses compères qui lui promet la lune. Il suit son ami qui, rapidement, accélère son pas ; ils sortent du jardin et se perdent dans le désert. Il rencontre des êtres qui le perdent encore plus profondément ; il a la vision de monstres, de démons, de chameaux-dragons et de mirages d’oasis.
Jeudi, jour de Jupiter, sous la coupole de bois de santal, la princesse de Chine du 6ème climat conte à Bahrâm l’histoire de deux compagnons en voyage dans le désert.
Kheyr (le Bon), sans penser à la durée du voyage, boit toute son eau. Sharr (le Mal), insensible aux souffrances de son compagnon, boit sans partage.
Kheyr n’ose pas le prier mais, sur le point de mourir, il implore Sharr de lui donner à boire, lui promettant deux rubis en échange de l’eau.
Sharr se dit : « Une fois en ville, il pourra m’accuser de l’avoir volé et exigera que je lui rende les pierres précieuses ». « Non, pour une gorgée d’eau tu dois me donner quelque chose de plus précieux que tu ne réclameras jamais en retour : tes propres yeux. »
A l’agonie, Kheyr accepte le marché.
Sharr prend les yeux, vole les rubis et s’enfuit sans renoncer à une goutte d’eau.
Kheyr serait mort sans l’aide d’une jeune fille d’une beauté exquise qui l’entend geindre et supplier. Une plante magique lui rend la vue : ébloui par cet ange du désert, il en tombe amoureux et l’épouse.
Vendredi, jour de Vénus, sous le dôme blanc de Vénus, la princesse persane conte à Bahrâm l’histoire, aussi grotesque qu’osée, d’un maître qui, par la fissure d’un mur, regarde des jeunes filles vierges et nues jouant autour d’un bassin de son jardin secret, toutes d’une beauté parfaite...
Celle qu’il choisira sera amenée à lui pour son plaisir. Mais, à chaque tentative, un événement inattendu empêche l’accomplissement de son désir. Le maître comprend alors et se repent : il ne pourra vivre cet amour qu’une fois marié, selon la volonté divine.