N° 106, septembre 2014

Remarques à propos des dialectes, langues
et ethnies de la province de Hormozgân


Afsaneh Pourmazaheri


La province de Hormozgân couvre une région dont la civilisation est ancienne, ce qui explique sa réputation de « berceau » des premières agglomérations iraniennes des premières civilisations de la Mésopotamie. Située à l’extrémité sud des chaines du Zagros, la province de Hormozgân est majoritairement montagneuse. Elle compte huit villes importantes à savoir Bandar Abbâs, Minâb, Jâsk, Bandar Lengeh, Bandar Charak, Bastak, Fin et Bandar Khamir, ainsi que quatorze îles dans le golfe Persique, dont Kish et Gheshm. Les habitants de Bandar Abbâs, la capitale de la province de Hormozgân, en majorité issus de mélanges ethniques, plutôt foncés de teint, sont connus sous le nom de Bandaris ou Abbâssis. Les Lâris habitent les ports, le littoral et les îles du golfe Persique, notamment dans la province de Hormozgân. Les Baloutches, appelés aussi les Baloutches par les Arabes, quant à eux, vivent au bord de la mer Makrân (plus connue sous le nom de Golfe d’Oman) mais aussi sur le littoral du golfe Persique. Les Makrânis, contrairement à ce que leur nom laisse penser, ne vivent pas sur la côte de la mer Makrân. Ils sont plutôt regroupés dans la région du golfe Persique, surtout à Jâsk. Ils se caractérisent par une diversité extrêmement riche qui comprend les ethnies indienne, assyrienne, afghane et africaine.

Le long du littoral du golfe Persique, en sus des Persans de souche, diverses ethnies vivent ensemble, en particulier des Baloutches et des Arabes, ainsi que d’autres minorités dont les mélanges ethniques ont donné naissance à de nouvelles physionomies dans les territoires méridionaux du pays. L’exemple le plus illustre de ce mariage ethnique peut s’observer dans la province de Minâb, peuplée de presque six millions d’habitants. Constituée d’une population iranienne, très riche et très puissante, d’une population africaine, nommée Zangbâri, autrefois emmenée de Zanzibar par les Arabes de la région, d’une population baloutche venue du Baloutchistan, voisins orientaux des Zangbâris, sans oublier les Bâchkerdis et les Manoudjatis, immigrés des régions septentrionales, cette province est un véritable melting-pot racial. La ville de Minâb n’est pas très loin du port de Bandar Abbâs. Cette ville est connue pour ses crevettes et son agriculture, spécialement pour ses dattes et ses mangues. La majeure partie de la population de cette ville est chiite, mais on compte également une minorité sunnite dont le parler courant est le minâbi, ou bien le minow (selon leur propre prononciation), qui est un dialecte à mi-chemin du bandari, du baloutchi et du persan.

Les habitants de la province de Hormozgân parlent majoritairement l’un des différents parlers du dialecte bandari. Celui-ci est originairement le persan dari, modifié au fur et à mesure en raison de sa contiguïté avec d’autres langues régionales de la zone concernée. On peut appeler "persan dari" le substrat toujours présent dans le dialecte bandari. On remarque également des liens très forts entre ce dialecte et celui des habitants de Lârestân, ville de la province de Fârs qui côtoie Hormozgân au nord et au nord-ouest. L’arabe est également très usité dans les contrées occidentales et dans les îles, ainsi qu’en bordure du golfe Persique comme dans quelques villages côtiers parmi lesquels on peut nommer les villages de Chênâs et de Moghuyeh. Malgré le développement de l’arabe et du bandari, parlés couramment presque partout à Hormozgân, dans les régions méridionales de la province et plus spécialement à Jâsk, c’est la langue baloutche qui a progressivement pris le dessus.

La langue baloutche est l’une des branches occidentales des langues persanes, en d’autres termes, indo-européennes. Elle est influencée par d’autres langues avec lesquelles elle était constamment en contact comme celles pratiquées au Pakistan, dont la plus connue est le sindhi. Elle se divise principalement en trois dialectes :

Dialecte occidental (Rakhchani) dont les sahaddi, afghan, turkmen, panjguri, kalati, kharani, sarawani.

Dialecte méridional (Makrâni) dont les coastal, laschari, kechi, karachi, sarbazi.

Dialecte oriental (Suleimani) dont les bugti, marri-rind, mazari-domki, mandwani et jatoi.

Photos : Statues de cire au musée d’anthropologie de Bandar Abbâs

Elle est pratiquée communément par les habitants baloutches dans divers pays de l’Asie dont le plus grand nombre se trouvent au Pakistan, en Afghanistan et au Turkménistan, en Iran et dans des villes majoritairement arabophones du pourtour du golfe Persique et de la mer de Makrân (ou Golfe d’Oman). Elle est également la seconde langue des Brahouis, groupe ethnique installé à Kalat, au Pakistan, en Afghanistan et en Iran, qui sont très proches des Baloutches. Cette langue trouve son origine dans les langues parlées au nord-ouest de l’Iran et se rapproche plutôt des langues talysh, kurde et des dialectes tât (ensemble de parlers iraniens du nord-ouest de l’Iran). La majorité de ceux qui pratiquent actuellement le baloutche vivent dans les régions chaudes des pays mentionnés, mais également dans certains pays d’Afrique. Leur démographie est estimée à environ une dizaine de millions d’âmes. Jusqu’au XIXe siècle, le baloutche était dépourvu de transcription écrite indépendante et on se servait de l’écriture persane pour l’écrire. Au début du siècle, les historiens et les politiciens se servaient de l’alphabet latin pour transcrire cette langue, mais après l’indépendance du Pakistan, les érudits baloutches inventèrent une graphie à base de l’écriture urdu et la développèrent au fur et à mesure.

L’arabe usité dans la province de Hormozgân constitue l’un des dialectes de la langue orale de l’arabe standard. En fait, l’arabe oral se divise en deux langues : celui pratiqué au Moyen-Orient et celui qui est propre aux pays magrébins. Le premier est à son tour partagé en dialecte oriental, qui concerne des pays comme le Liban, la Palestine et la Jordanie, et dialecte (ou accent) iraquien ou khalidji qui est répandu dans des pays comme l’Iraq, le Koweït, la Syrie, dans la périphérie du golfe Persique et à l’ouest de l’Iran. Cette diversité de l’arabe oral provient du lexique, de la syntaxe et de la transcription des vocables. A la suite de cette contiguïté géographique, nombreux sont les mots en arabe entrés dans la langue persane, faute d’équivalent linguistique pour leur correspondant en persan. Après avoir subi des changements sous l’effet du système linguistique arabe, le mot s’est retrouvé en Perse, réutilisé par les habitants du sud du pays ayant un voisinage maritime avec les pays arabes, avant de se répandre partout en Iran. On peut illustrer ce dernier point en se servant de quelques échantillons banals comme fil (éléphant), ferdows (paradis), kouhestân (montagne), etc. qui viennent des mots persans pil, pardis et gahestân. Ce voisinage, outre d’autres éléments historiques et linguistiques, est l’une des raisons importantes de la présence de tant de termes arabes au sein de l’actuelle langue persane.

Le dialecte hormozgâni ou bandari est parlé par la population native de Bandar Abbâs, centre administratif de Hormozgân et ses environs. Il est l’un des rares dialectes qui ait conservé les particularités qu’il a hérité du moyen-perse ou pehlevi, langue de la littérature zoroastrienne parlée à l’époque sassanide. Pourtant, exposé aux langues des nouvelles ethnies qui entraient en Perse par voie maritime, il n’a pas été à l’abri des modifications syntaxiques et morphologiques aujourd’hui visibles. On y remarque des traits familiers des langues comme l’arabe, les langues africaines, le hollandais, l’anglais, le portugais et le lor, apparentes notamment sur le plan lexical. Le bandari appartient au groupe méridional des langues iraniennes et il est entouré par d’autres parler locaux moins connus comme ceux de Minâb, de Rubân, de Berentin et de Menujân (à l’est), celui de Lenge (au sud), celui de Hajiâbâd (au nord) et ceux des îles d’Ormouz, de Gheshm et de Kish. Les traits phonologiques et morphologiques de ce dialecte se rapprochent plutôt de ceux parlés dans les provinces de Fârs, de Lârestân, ainsi que des dialectes baskerdi et kumzari, et son système phonique se rapproche de celui du lâri. Ce dialecte, bien que répandu, n’est pas reconnu à sa juste valeur. Rares sont, par exemple, les programmes télévisés diffusés dans ce dialecte par les chaînes locales. Malgré cela, les autochtones sont très attachés et fiers de leur langue. Elle s’exprime en particulier dans les chants traditionnels et classiques de Bandar Abbâs. Ces chants "bandaris" sont remarquablement populaires non seulement à Bandar Abbâs mais partout dans cette province. L’une des raisons de ce succès est leur capacité à garder en éveil l’esprit folklorique du littoral méridional qui accompagne encore et toujours la vie quotidienne des habitants du golfe Persique.

Bibliographie :
- Afshâr-Sistâni Iradj, Shenâkht-e Ostân-e Hormozgân (Connaître la province de Hormozgân), Téhéran, 2000.
- Alavi-Moghadam Mohammad, "Vodjoud-e chand vâjeh-ye bigâneh beh zabân-e fârsi gazandi vâred nemikonad" (L’existence de quelques vocables étrangers ne nuit guère à la langue persane), Revue Hâfez, 2006, N° 33, pp. 46-49.
- Amirzâdeh Homâyoun, Hormozgân, Edâreh-ye farhang va ershâd-e Eslâmi, 2009.
- Azarnouch Azartâsh, Rahhâ-ye nofouz-e fârsi dar farhang va zabân-e tâzi (Les méthodes d’infiltration du persan dans la langue tâzi (arabe)), Université de Téhéran, Téhéran, 1975.
- Bakhtiâri Saeed, Auto Altas de l’Iran, Institut de géographie et de cartographie de l’Iran, 2005
- Hedjâzi Mahmoud, Dar âmadi târikhi-tatbighi dar partov-e farhang va zabânhâ-ye sâmi, (Introduction historico-comparative aux langues et cultures sémitiques), Téhéran, Nashr, 2000.
- Longworth Dames, A sketch of the northern Balochi language, (Esquisse de la langue baloutchi septentrionale), Asiatic Society, Calcutta, 1881.


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