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La dynastie Afshâride est une dynastie fondée par Nâder Shâh Afshâr en 1736, à la suite de l’abolition de la dynastie safavide. Son règne dura pratiquement jusqu’en 1749. Originairement, les Afshârs étaient une tribu du Turkestân qui s’était déplacée vers la province de l’Azerbaïdjan après la conquête mongole. Sous les Safavides, ils furent déplacés vers le Khorâssân pour contrer les Ouzbeks et s’y installèrent définitivement. D’une manière générale, le XVIIIe siècle est marqué par des troubles et des conflits sans fin entre les Afghans, le pouvoir central et les rébellions locales. C’est donc avec l’arrivée au pouvoir de Nâder Shâh que le pays se libéra finalement de la domination afghane et atteignit une certaine stabilité, bien qu’elle ne fût qu’éphémère. Nous nous proposons ici de donner un aperçu chronologique de cette époque historique depuis la naissance de cette dynastie jusqu’à sa chute, lorsqu’elle fut destituée et annexée, par la suite, par la dynastie qâdjâre.
Avec l’ascension et l’arrivée au pouvoir de Nâder Shâh Afshâr (1736-1747), les territoires occidentaux de l’Iran, dont la province du Khorâssân, et des pays comme l’Afghanistan, l’Inde et l’Asie centrale gagnèrent une importance stratégique pour la gestion politique du pays. Comme Tamerlan, Nâder Shâh était un conquérant insatiable pour qui l’établissement de fondations administratives fermes soutenant ses ambitions ne comptait pas. Cependant, il déploya de grands efforts pour mettre en valeur le prestige et ranimer les ressources humaines et naturelles de Mashhad et de ses dépendances, ce qui s’avéra décisif et joua un rôle d’importance au moment de la désintégration de son empire.
Nâder naquit en 1688 dans une famille appartenant à la branche Qirqlou des Afshârs dans la région de Darreh-gaz, près de Mashhad. Il obtint ses premiers succès militaires dans la même région en devenant le chef d’une bande locale de sa tribu. Ce fut en 1723 que Malek Mahmoud Sistâni prit Mashhad et se retrouva face à la bande de Nâder. Entretemps, les Safavides, qui réclamaient le pouvoir du roi Tahmâsb safavide, se virent incapables d’évincer les usurpateurs afghans d’Ispahan. Ce fut la raison pour laquelle ils se tournèrent vers le Khorâssân et, ayant eu vent des prouesses de Nâder, le recrutèrent pour servir leur cause. Unis, ils parvinrent à s’emparer de Mashhad en 1726. Nâder se chargea de soumettre avec une poigne de fer les rébellions locales et les Kurdes qui en étaient à l’origine. Juste avant son couronnement dans la plaine de Moghân, Nâder désigna son fils aîné Rezâgholi Mirzâ et le nomma gouverneur du Khorâssân. Celui-ci remplit également le rôle de vice-roi au cours de la campagne de son père en Inde et siégea, entre temps, au centre du gouvernement de l’Iran à Mashhad. [1]
Au cours de sa première conquête de Mashhad, Nâder Shâh ordonna l’entière réfection du mausolée du huitième Imâm, Ali al-Rezâ, et y fit ériger un deuxième minaret. Malgré ses prises de position religieuses ambivalentes, il tenait énormément à ce que le mausolée fut embelli avec soin et minutie. Il fit également construire un deuxième tombeau pour sa propre personne, son premier tombeau étant situé dans sa forteresse à Kalât, où il avait initialement décidé d’enterrer la dépouille de Tamerlan qu’il avait fait venir de Samarkand. Il marquait ainsi sa dévotion vis-à-vis de Tamerlan à la manière de qui il avait conçu et appliqué l’ensemble de ses stratégies de conquêtes. Mashhad était originairement destinée à être la capitale de l’empire iranien et indien de l’Asie centrale. C’est la raison pour laquelle Nâder peupla la métropole en réunissant dans la province de Khorâssân des centaines de milliers de prisonniers et d’exilés qu’il avait ramenés à la suite de ses campagnes, notamment celle de l’Iran occidental. [2] Il ne faut pourtant pas oublier qu’étant donné que ces derniers avaient majoritairement adhéré à ses forces armées, leur présence devint rapidement une charge, compte tenu de la pénurie de ressources naturelles et de nourriture qui sévissait à l’époque. [3] Durant la dernière année de son règne, au moment où Nâder faisait le tour de l’Iran en châtiant sans pitié les révoltés de tous bords, au moins une centaine de ses officiers et de ses notables furent exécutés. Sur son chemin vers les terres kurdes de Kabusân, il fut finalement assassiné par ses officiers le 20 juin 1747. Les meurtriers voulaient probablement éviter de cette manière le massacre des rebelles de Kabusân, ou bien souhaitaient ainsi préserver leur vie face au risque d’assassinat qui menaçait toute l’équipe qui accompagnait le Shâh. [4]
Les assassins de Nâder Shâh firent serment d’allégeance au neveu de ce dernier, Aligholi Khân. Celui-ci était à la tête d’une armée, sur le chemin du retour en provenance du Sistân où il avait été envoyé pour mater des bandes de rebelles. A Mashhad, le gouverneur civil et le superintendant du mausolée, Mir Seyyed Mohammad, sécurisèrent la capitale pour une meilleure protection d’Aligholi Khân. Ce dernier s’arrêta à Kalât et massacra tous les descendants de Nâder à l’exception de son petit-fils de quatorze ans, Shâhrokh, fils de la fille du dernier monarque safavide. Puis il se tourna vers la capitale et accéda au trône le 6 juillet 1747 sous le nom d’Adel Shâh ("le roi juste"). [5]
Bien qu’il fût obligé de se rendre immédiatement à Ispahan, le monarque préféra se reposer à Mashhad et désigna son frère cadet Ebrâhim pour gouverner Ispahan, l’ancienne capitale safavide. Malgré sa générosité et sa popularité, le règne d’Adel Shâh ne tarda pas à se trouver fragilisé. Une présumée conspiration entraîna la désintégration de l’armée du roi iranien. Ebrâhim, son frère cadet, qui était en train de consolider sa prise sur l’Iran occidental, Adel Shâh fut finalement persuadé de devoir le contrer. Les deux armées se rencontrèrent entre Soltânieh et Zandjân en juin 1748. En pleine bataille, un grand nombre d’officiers du roi changèrent de camp au premier assaut, si bien qu’Ebrâhim remporta une victoire complète. Après sa défaite, le roi destitué fut présenté à son frère, devenu le nouveau roi, qui n’hésita pas à ordonner qu’on lui crève les yeux. Après avoir occupé Tabriz, Ebrâhim se proclama officiellement roi le 8 décembre de la même année. Cependant, neuf semaines plus tôt, le premier octobre, Shâhrokh était couronné roi par les chefs des tribus kurdes et bayât. Au printemps qui suivit, celui-ci rassembla une troupe afin de contrer le nouveau roi. Après avoir pris connaissance de l’avancement de la campagne de l’armée du nouveau rival, l’armée hétéroclite d’Ebrâhim se désintégra avant même que les deux troupes ne se retrouvent face-à-face sur le champ de bataille. Le roi déchu fut capturé et aveuglé comme sa propre victime, l’ancien roi Adel Shâh, avant d’être exécuté à Mashhad. [6]
En tant qu’héritier de la dynastie safavide, Shâhrokh fut mieux perçu et accepté par le peuple qu’un simple descendant de Nâder. Etant jeune, Shâhrokh devint un roi de pacotille, une façade pour les émirs du Khorâssân qui lorgnaient sur les biens des Afshârides et ne tardèrent pas à s’approprier le butin que Nâder avait ramené d’Inde. D’ailleurs, ils songeaient à remettre sur le trône la dynastie safavide dans l’ancienne capitale de l’Iran, à Ispahan, et complotaient à l’insu du jeune roi pour atteindre leur but. [7] Ils demandèrent alors à Mir Seyyed Mohammad, qui avait survécu à la chute des deux rois Adel et Ebrâhim, de ramener les prisonniers de Qom à Mashhad. Mir Seyyed Mohammad était, comme le roi Shâhrokh, un petit-fils du roi safavide Shâh Soltân Hossein et jouait un rôle primordial dans les deux capitales, Mashhad et Ispahan. Entendant la nouvelle de sa collaboration avec les émirs, Shâhrokh ordonna deux batailles militaires contre lui qui se soldèrent par un échec, mais qui ranimèrent l’esprit de révolte parmi les émirs. Ces derniers, soutenant initialement le roi Shâhrokh, craignaient que ce genre de réactions prématurées ne viennent accélérer leur chute. C’est la raison pour laquelle ils réunirent une foule d’enthousiastes qui, protestant contre le roi Shâhrokh, accompagnèrent triomphalement Seyyed jusqu’au palais du roi. Dès qu’il prit connaissance de la nouvelle, Shâhrokh se précipita au harem et tua sans tarder tous les jeunes survivants de la descendance d’Adel et d’Ebrâhim avant d’être déposé et emprisonné. A peine deux semaines plus tard, le 13 janvier 1750, la dynastie safavide ressuscita avec le couronnement de Seyyed sous le titre de Shâh Soleymân II Safavi. [8] Bien que Shâhrokh, aveugle et déchu, ne possédât plus aucune prérogative, il fut reconduit sur le trône à Mashhad par ceux qui le soutenaient et régna sur un territoire assez limité qui était principalement confiné à la province du Khorâssân.
Les contrées de l’empire de Nâder Shâh, quelque temps après sa mort, entrèrent dans la sphère d’influence de la dynastie Zand, qui prit notamment les zones occidentales de l’Iran, et celle de la dynastie Dorrâni de la lignée des Afshârides d’Afghanistan. C’est ainsi que la transition se fit depuis la disparition du pilier de la dynastie afshâride, Nâder Shâh, jusqu’à l’accession au pouvoir d’Aghâ Mohammad Khân Qâdjâr dont le règne marqua le XIXe siècle en Iran. A la suite de sa prise du pouvoir, Mohammad Khân Qâdjâr, fondateur de la dynastie du même nom, s’empara de Mashhad et tortura Shâhrokh dans l’espoir de l’obliger à révéler l’emplacement des trésors de Nâder Shâh, tentative qui n’aboutit guère. Shâhrokh, quant à lui, gravement blessé, succomba après avoir subi les affres de la torture et avec lui la dynastie Afshâride s’éteignit à jamais. Les descendants de Shâhrokh survécurent au siècle de terreur et se multiplièrent sans pour autant réclamer de droit au trône. De nos jours, ils comptent toujours de nombreux descendants et portent majoritairement le patronyme d’Afshâr Nâderi. On les retrouve parmi les familles les plus ordinaires de l’Iran du XXIe siècle.
[1] Astarâbâdi Mahdi, Jahangoshâ -ye Nâderi (Livre des conquêtes de Nâder), éd. Al-Anvâr, Téhéran, 1962, p. 273.
[2] Lockart L., Nâder Shâh, Londres, 1938, p. 197.
[3] Perry J. R. Perry, « Forced Migration in Iran » (Immigration forcée en Iran), Iranian Studies, 8/4, 1972, pp. 202-03, 209-10, 212.
[4] Astarâbâdi Mahdi, Jahangoshâ-ye Nâderi, éd. Al-Anvâr, Téhéran, 1962, pp. 420-24.
[5] Golestân Abolhassan, Majma’ al-Tavârikh (Histoire générale), éd. Modarres Razavi, Téhéran, 1965, pp. 96-97.
[6] Golestân Abolhassan, Majma’ al-Tavârikh (Histoire générale), éd. Modarres Razavi, Téhéran, 1965, pp. 98-103.
[7] Bazin L., Les lettres du médecin de Nâder Shâh, trad. Hariri, Téhéran, 1961, p. 64.
[8] Ibid., pp. 65-66.