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Exposition
Le Maroc contemporain
Institut du Monde Arabe,
Paris, 15 octobre 2014-25 janvier 2015.
L’Institut du Monde Arabe, à Paris, témoigne d’activités intenses et multiples qui drainent un public particulièrement attentif et motivé. L’offre culturelle de l’IMA permet à de nombreux Français aux racines arabes de retrouver et mieux comprendre celles-ci, au-delà des liens qu’ils peuvent avoir avec leur pays et leurs familles d’origine. Le Maroc, pays qui pratique, entre autres langues, l’arabe et le français, entretient des liens particulièrement forts avec la France, liens historiques qui depuis plusieurs siècles, ont connu la colonisation, l’indépendance, le tourisme, les échanges culturels, industriels et commerciaux, liens qui passent également par la migration de nombreux Marocains vers la France et par un régime politique marocain stable.
L’exposition qui a pour but de montrer un certain nombre d’aspects de l’art contemporain marocain n’est en fait qu’une partie d’un événement culturel très riche et complexe, ainsi que sait en faire l’IMA. En outre, simultanément, une autre exposition, au Louvre, est consacrée à une période historique du Maroc, du onzième au quinzième siècle : Le Maroc Médiéval, un empire, de l’Afrique à l’Espagne. Il s’agit là de redécouvrir la période des apogées de la civilisation et de l’art islamiques à l’extrême ouest de l’Europe, à travers un grand nombre de chefs-d’œuvre. Conjugaison d’événements culturels remarquables, de plus, le Maroc vient d’inaugurer à Rabat, début octobre, le Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain, premier musée d’une telle envergure au Maroc, destiné à promouvoir l’art et la culture vivants du pays. A l’IMA, l’exposition Le Maroc Contemporain est l’épicentre d’un ensemble de manifestations, quelquefois hors les murs, où l’on trouve les écrivains marocains, éventuellement associés aux artistes plasticiens, des cycles consacrés aux musiques, chants et danses du Maroc, au passé et au présent. Le cinéma marocain est également représenté, c’est un cinéma qui est en plein développement et participe désormais aux grandes manifestations internationales. Ces cycles ont pour but de rendre compte de la grande diversité de ces domaines : ainsi, par exemple, la musique du Maroc est bien davantage que seulement marocaine, elle reflète des cultures, des époques, des religions, les musiques berbères, andalouses, la poésie chantée, les rythmes des nomades, jusqu’aux musiques synthétisant la tradition et des influences venues d’ailleurs, comme le rock, le rap et le jazz. Enfin, mais il y en d’autres encore, on évoquera les nombreux cycles de conférences, rencontres et débats autour du Maroc, passé et actuel, et pour citer quelques-uns de ceux-ci, seront par exemple abordés des thèmes comme la création artistique au féminin, les droits de l’homme, la galaxie des frères musulmans, les migrations berbères, le judaïsme marocain, etc.
Parcourir cette exposition, c’est plus que dans toute autre, côtoyer un public marocain ou d’origine marocaine, venu en famille, ou constitué de groupes, notamment d’adolescents, public extrêmement captivé par ce qui est là, c’est-à-dire des œuvres d’art ou d’artisanat d’art, mais aussi par tout ce qui se déroule sur les écrans des vidéos, celles-ci étant à la fois des œuvres et des documents, fictions ou pas, le plus souvent filmées dans le contexte marocain. Ce contexte, le plus ordinaire et banal soit-il, permet au public marocain cette projection vers l’origine, vers ce qui est resté de soi, là-bas. Ordinairement, dans les expositions artistiques, le visiteur ne s’attache guère aux vidéos, or ici le public et notamment le jeune public s’installe, s’assied sur les coussins et regarde avec la plus grande attention. D’autre part, il y a cette visite attentive et informée d’un autre public, celui des Français liés peu ou prou au Maroc, et ils sont nombreux à réellement aimer ce pays, à en avoir une vraie connaissance, acquise au-delà de courts séjours touristiques. Ainsi, une telle exposition va bien plus loin qu’elle-même pour devenir un moment d’échanges et de connaissance de l’autre, celui qui séduit par son étrangeté - pour le public français -, ou celui qui attire par son identité - pour le public marocain.
La culture marocaine est extrêmement riche et diversifiée et l’art dont il est question, qui s’expose ici, est un art particulièrement vivant qui a les caractéristiques d’un art en train d’arriver à un statut tel qu’il se définit dans le monde de l’art international, c’est-à-dire un art à l’écoute en temps réel du monde d’aujourd’hui, un art qui surfe sur la toile et se pense en termes de mondialisation. Ceci se joue au détriment, sans nul doute, d’un ancrage dans les racines du pays dont il émerge. Il y a peu de temps, quelques décennies tout au plus, le Maroc ne connaissait guère l’art que comme un moyen de perpétuer les métiers artisanaux traditionnels, celui qui d’une manière ou d’une autre et quelles que soient ses qualités propres, regardait davantage vers le passé que vers l’avenir. Avec le développement des galeries d’art, les abstractions ont ensuite dominé la scène artistique marocaine, moyen, sans doute, de contourner des interdits instaurés par le pouvoir, avant que la génération des artistes à l’œuvre aujourd’hui ne prenne le relai, forte de nouvelles conceptions de l’art. Ces derniers artistes sont à la fois issus de formations acquises hors Maroc, et de l’importante réforme des écoles d’art. L’exposition témoigne donc d’un moment, d’un passage de l’art marocain, d’un statut à l’autre, d’un concept à l’autre. L’art contemporain, à l’écoute du monde et de tout ce qui change en ce monde, tend à oublier la tradition locale au profit d’un présent délocalisé. Ou qui n’est plus seulement local.
L’exposition est profuse et mêle des œuvres aux références clairement et délibérément ancrées dans les traditions formelles marocaines et des œuvres à l’écoute du monde tel qu’il est désormais, en devenir, là-bas au loin et ici, au coin de la rue, entre les immeubles de la cité tentaculaire où opère l’artiste, une cité finalement presque comme les autres, celles des pays voisins ou lointains. Telle vidéo se déroule dans la banlieue de Rabat ou de Casablanca, mais le cadre ressemble terriblement à celui d’une banlieue parisienne, madrilène ou de Santiago du Chili et les personnages semblent écouter les mêmes CD et connaître les mêmes modes de vie.
Le problème du parcours proposé avec cette exposition est celui d’un manque de lisibilité, d’une absence de classement des œuvres et de catégories instaurées selon certains choix du commissaire. Si le principal acteur de l’exposition, Jean-Hubert Martin, avait réussi à organiser de manière remarquable l’exposition Magiciens de la Terre en 1989, une exposition qui ouvrait le monde de l’art « occidental » à un possible dialogue avec l’autre, avec les formes d’art ignorant encore la mondialisation, ici le propos reste flou ; il ne suffit pas en effet d’accumuler des œuvres, nécessairement choisies parmi d’autres, pour que l’exposition, en tant que média, devienne elle-même une œuvre convaincante, innovante. Eclectisme, diversité des pratiques et donc des formes navigant entre dessins, assemblages, peintures, photos, vidéos et sur les limites de l’artisanat ne suffisent pas : tout monde de l’art, que ce soit celui de Paris ou celui de Rabat, grouille de créations très diverses, encore appartient-il au commissaire de tracer des parcours pour aider le visiteur à discerner entre les œuvres, ce qu’elles impliquent comme postures, comme replis ou avancées, comme dépendances ou innovations. Le catalogue, en une littéralité et en une énumération un peu ânonnante des œuvres, ne clarifie pas les choses.
Pour autant la succession des œuvres, même sans parcours pédagogique, reste fort intéressante à découvrir, car ces œuvres peuvent étonner par leur force intrinsèque ou par leur relation duelle de dépendance/indépendance par rapport à un art déjà connu. Les artistes d’un pays comme le Maroc reçoivent des formations locales ou se forment ailleurs, ils subissent des influences ou en bénéficient, font des choix. Ils ont eu à lutter pour exprimer leur vision du monde, pour forcer les pouvoirs à les laisser prendre la parole. L’exposition témoigne d’une vraie dynamique dont il est possible de penser qu’elle est un moment dans l’accession de l’art marocain à une envergure internationale, c’est-à-dire, peut-être, à une perte d’identité. En effet, l’art dit international, comme il en va de l’architecture, pour être tel, oublie peu ou prou les racines.
Avec autant d’artistes qu’il y en a dans cette exposition, il est bien difficile, voire vain, de les identifier et d’en dire les qualités en l’espace de quelques lignes. Pratiquement toutes les catégories de l’art d’aujourd’hui sont représentées, la peinture, expressionniste par exemple, avec El Iman Djimi, mais pas seulement peinture expressionniste puisque l’artiste prend en charge un propos à la fois plastique et critique à l’égard du grand sud marocain et de ses peintures rupestres. Une autre forme de puissante peinture expressionniste est celle de Younes El Kharraz, d’où ressort la mémoire discrète d’artistes comme Soutine, Matisse et Picasso. L’installation est pratiquée de manière tantôt ludique, avec les pièces de Abdelkrim Ouazzani, tantôt ancrée dans la mémoire locale, avec par exemple cette installation lumino-cinétique partant d’une pyramide de pains de sucre tels qu’ils sont encore produits au Maroc. Il s’agit de l’œuvre d’un collectif d’artistes, Younès Atbane, Zouheur Atbane et Omar Sabrou. Une autre installation a la forme d’un ring, grandeur nature, mais il faut passer par là au bon moment, lorsqu’un congélateur crache le moulage d’un corps qui doit fondre peu à peu. On pourrait dire qu’une telle œuvre, d’Amine El Gotaibi, s’inscrit dans la mouvance Post Human. La photo est fort présente, selon des modalités bien différentes, comme il en est de la vidéo. Il y est question de société, de condition de la femme ou il s’agit de partis-pris esthétiques. Certaines œuvres s’éloignent de toute référence à la culture marocaine, d’autres prennent en charge certains de ses aspects, comme la calligraphie de l’écriture arabe, avec Nourredine Daifallah, ou Mohamed Zouzaf avec des signes inspirés de la tradition Amazigh.
Une ouverture modeste sur la création artisanale contemporaine semble signifier, dans l’esprit de ceux des acteurs marocains qui l’ont souhaitée, que l’art contemporain en tant que concept ne s’est pas complètement détaché de la dimension artisanale qu’il put avoir par ici, en Europe, avant la Renaissance italienne. Mais finalement pourquoi pas ? Les tapis et tentures présentés sont magnifiques, des œuvres d’arts appliqués, comme les théières de Younès Duret ou de Hicham El Madi se révèlent être de pures créations autonomes. La mode n’est pas oubliée avec une série de vêtements utopiques dont le design fait appel à des textures issues du tissage traditionnel. Enfin l’architecture est le parent pauvre de cette exposition, dommage certes, car elle méritait sans doute une place plus à la hauteur de l’intérêt qu’elle présente avec le passage d’une architecture de type vernaculaire, arabo-musulmane, à une architecture déterminée par la mondialisation, l’hyper capitalisme, l’industrialisation et l’accroissement brutal de la population.
A visiter cette exposition et y voir cohabiter tradition et modernité s’impose l’idée d’un art et d’une société pris dans une irréversible mutation, déjà advenue. Ce qu’on peut espérer de celle-ci est que l’art, les arts qui sont en cours de déploiement, sauront faire le pont entre le meilleur des traditions culturelles ayant contribué à faire le Maroc merveilleux dont nous rêvons ici, les jours gris de nos longs hivers, et cet art de la mondialisation.
Et pour terminer la visite, une immense tente de type sud-marocain, en poil de chameau, est dressée dans la cour de l’IMA pour accueillir les visiteurs, avec un café et restaurant, des groupes de musiciens marocains et des boutiques d’artisanat traditionnel.