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La littérature de guerre en Iran possède plusieurs appellations telles que la littérature de la résistance, la littérature de la défense sacrée ou la littérature de la fermeté. Chacune de ces appellations peut être liée à la source de l’inspiration que la guerre engendre. Chaque catégorie possède ses propres critères et particularités selon son appellation. Mais laquelle de ces catégories peut regrouper l’ensemble de la littérature de guerre ? Le titre que nous donnons à cette littérature pourrait-il convenir aux œuvres produites à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran ? Nous allons tenter de répondre à ces questions.
Pour mieux réfléchir au concept de la littérature de guerre, il est tout d’abord essentiel de définir le terme lui-même. Car, en effet, le mot ’’guerre’’ peut avoir plusieurs sens selon l’époque, le contexte ou le lieu. Mais, en général, lorsque nous parlons de guerre, l’existence d’un ennemi devient indispensable. Il est alors évident que dans une guerre, il y a un ennemi qui organise un combat contre l’autre partie impliquée dans la guerre en question. Ensuite, la guerre revêt une dimension collective. La guerre est une sorte de violence au service d’un groupe politique ou d’un pays.
Il y a également l’aspect juridique de la guerre qui nous semble s’apparenter parfois à une convention. Gaston Bouthoul, sociologue français spécialiste du phénomène de la guerre, propose la définition suivante : « La guerre est la lutte armée et sanglante entre groupements organisés ». Cette lutte, pour présenter un caractère guerrier, doit obligatoirement être armée et sanglante. Ce dernier trait permet, selon l’auteur, de distinguer la guerre des autres formes d’oppositions ou de compétitions, comme la concurrence économique, les luttes sportives, la propagande politique ou religieuse et les discussions de toute sorte. Aussi, la lutte armée, pour mériter le nom de guerre, doit présenter des combats et des victimes.
En un mot, Gaston Bouthoul définit la guerre comme étant une forme de violence qui a pour caractéristique essentielle d’être méthodique et organisée quant aux groupes qui la font et aux manières dont ils la mènent. En outre, elle est limitée dans le temps et dans l’espace, et elle est soumise à des règles juridiques particulières extrêmement variables suivant les lieux et les époques. Tous ces traits découlent du caractère organisé des conflits guerriers.
Suivant une telle définition, on peut dire que la littérature de guerre comprend toutes les œuvres qui sont produites autour du sujet de la guerre. Par conséquent, toutes les œuvres abordant d’autres thèmes comme un combat tribal, des évènements de nature terroriste, des mouvements de séparatisme ou des luttes contre la tyrannie sont exclues de la littérature de guerre.
En général, la guerre se produit entre un ’’envahisseur’’ et un ’’défenseur’’. Autrement dit, chaque partie impliquée dans la guerre justifie ce phénomène de son point de vue. Ainsi, le défenseur a sans doute le droit de parler de cette guerre comme une résistance ou une endurance en considérant que cette guerre lui a été imposée car, de toute manière, le défenseur a subi une forte agression.
Selon toutes les versions historiques évoquant la guerre Iran-Irak, durant les huit ans de guerre, les Iraniens ont été en position de défense. C’est pourquoi la majorité des œuvres qui sont produites autour de cette thématique évoque les questions de la résistance et de la défense. Toutes ces productions quelles qu’elles soient, admiratrices ou critiques de la guerre, font partie de ce genre de littérature.
- En ce qui concerne la littérature de guerre en Iran, les appellations « littérature de la résistance » ou « littérature de la fermeté » font que ce genre pose surtout son regard sur les aspects de la résistance et sur son caractère sacré (défense sacrée), mais aussi sur la fermeté pendant la guerre. Mais si on se contente de la résistance et de la réaction à la guerre, que deviennent les autres œuvres qui révèlent d’autres aspects de la guerre ? <
p>Pour répondre à cette question, dans son article intitulé « L’introduction à la sociologie de la littérature de guerre », Massoud Kowsari mentionne deux facteurs essentiels dans l’apparition des titres tels que « littérature de la défense sacrée » et « littérature de la résistance » :
1. Les interprétations de la guerre en vigueur dans la société : Cette guerre de huit ans a été imposée à la nation iranienne. Selon l’histoire, on constate que durant cette guerre, les Iraniens défendent leur patrie face à un ennemi envahisseur. Ainsi, la défense a pris un caractère sacré et indispensable qui, de ce fait, la valorise au regard de la société. D’une part, conformément aux valeurs chiites, la guerre et la tuerie sont fortement déconseillées, d’autre part, après la Révolution islamique à la suite de laquelle l’Iran a été reconnu comme un pays révolté et menaçant, la nécessité de réprouver la guerre s’est fait davantage ressentir.
2. L’existence du terme ’’littérature de la résistance’’ dans le monde arabe, en particulier en Palestine : La littérature de résistance (en arabe : ادب المقاومه)
comprend l’ensemble des œuvres littéraires apparues dans le monde arabe. Ces œuvres représentent la résistance des musulmans face à Israël. En Iran, cette littérature est également prise en compte dans ses aspects idéologiques par les critiques de la littérature de guerre. Nombreux sont les analystes littéraires qui emploient les termes « littérature de la résistance » ou « littérature de la fermeté » pour faire référence aux productions littéraires qui évoquent le conflit palestino-israélien. D’ailleurs, pendant les années de guerre, des slogans comparaient la guerre Iran-Irak au conflit palestino-israélien, car toutes deux étaient perçues comme des résistances face à un ennemi envahisseur tentant d’occuper le territoire du défenseur. Or, malgré l’adaptabilité de la littérature de la résistance avec certains aspects de la guerre, nous ne pouvons pas attribuer ce titre à l’ensemble des œuvres évoquant la guerre. Par exemple, il existe des œuvres qui ont été produites à l’époque du Shâh et qui peuvent être classées dans la littérature de la résistance et non pas de la guerre.
Par ailleurs, lorsque nous parlons de la littérature de guerre, nous ne nous contentons pas de traiter de la question de la résistance, car il est évident que d’autres thèmes peuvent aussi découler de celui de la guerre, apparus comme des sujets intéressants de ce genre. De plus, le terme ’’guerre’’ peut avoir une charge négative ou positive en fonction de son utilisation dans un syntagme tel que le héros de la guerre, l’homme de la guerre, cinéma de la guerre, l’art de la guerre, président de la guerre, la guerre imposée... C’est alors l’emploi de ce terme qui nous révèle l’aspect positif ou négatif de ce mot. C’est pour cette même raison que dans la culture nationale iranienne, l’usage du mot ’’guerre’’ ne met pas en cause les vertus et les valeurs révolutionnaires et islamiques.
Rezâ Amirkhâni, écrivain iranien et critique de la littérature de fiction, déclare ainsi : « On peut dire mais pourquoi la guerre ? Pourquoi pas la défense sacrée ? Ou la littérature de la résistance ou de l’endurance ? Mon regard n’est nullement étymologique. Le fait que nous employons l’expression « la défense sacrée par la guerre » ou que nous parlions de la littérature de la résistance n’amoindrit pas la valeur de cette épopée et ne rajoutera pas un évènement aux épisodes de la guerre. Le changement des désignations ne modifiera pas notre intention dans les mots. Que nous disions guerre ou défense sacrée, nous pensons à la même chose d’un point de vue du sens. Il faut cependant se souvenir que nous avons parlé de la littérature de guerre pendant les huit années du déroulement de cette guerre. La production littéraire des huit années qui ont suivi la fin de la guerre est appelée « la littérature de la défense sacrée », ensuite, on parle de la littérature de la résistance ou de la fermeté... Je le dirai simplement pour faire un rapprochement dans les esprits. On dirait que la période de gestion dans ce pays dure huit ans... » [1] Par conséquent, la création des frontières à l’aide des appellations n’aboutit qu’à la réduction du champ de recherche. Avec un tel regard, il est certain que nous posons des limites dans nos œuvres et que plusieurs aspects de la guerre échapperont à la littérature. Finalement, on peut dire qu’en désignant la littérature de guerre par le terme « littérature de la résistance », certes, nous pouvons aborder des sujets qui s’inscrivent dans ce genre de littérature, mais la critique de la guerre ou des dégâts sociaux et humains qu’elle cause devient insensée. Face à cela, la littérature de guerre comprend un champ plus vaste et général, qui couvre tous les évènements en liens directs et indirects avec la guerre.
[1] Amirkhâni, Journal Shargh, 30 décembre 2003.