N° 110, janvier 2015

Survol des catégories de la fiction de guerre en Iran de 1980 à 2005


Mehdi Saïdi
Traduit et adapté par

Arefeh Hedjazi


Les changements sociaux génèrent entre autres une évolution des modes de vie, de la culture et même de la langue, évolutions que la littérature reflète. La guerre en tant qu’événement déterminant dans la dynamique sociale et culturelle d’une nation est ainsi à l’origine d’une production littéraire spécifique, qui possède ses codes propres.

Avec le commencement de la Guerre imposée en 1980, la question de la guerre se pose à la littérature contemporaine iranienne, et écrire la guerre et ses conséquences sociales, humaines, politiques ou économiques implique les écrivains, poussés par l’ampleur de la tâche, à s’engager dans de nouvelles voies d’écriture. Une centaine de romans notables et plus de deux mille nouvelles forment la fiction de guerre iranienne contemporaine de 1980 à 2005.

Ecrire le « pourquoi la guerre ? » fit poser la question du « comment la dire ? », question à l’origine d’une vie littéraire intense et de l’apparition de différents courants littéraires et de types dans la fiction de guerre iranienne. Certains auteurs ont écrit pour glorifier les vertus de la guerre, de la résistance et de l’héroïsme, d’autres se sont fait les porte-paroles des réfugiés, des victimes et des civils touchés de plein fouet par le conflit, se focalisant sur les souffrances, les pertes et les destructions qui ont causé la guerre, ainsi que son influence sociale sur la vie des individus. D’autres ont réfuté la guerre, vue comme absurde et assassine. D’autres enfin ont essayé de parler de « l’individu », l’individu dans la guerre et l’individu né de la guerre.

La fiction de guerre patriotique et idéologique

Après le commencement de la guerre, des œuvres exaltant la résistance, l’héroïsme et le patriotisme islamique sont apparues. L’objectif premier de cette fiction était alors d’encourager les volontaires et les combattants et d’étayer le discours patriotique et religieux de la résistance face à l’agresseur. Les auteurs de ce type littéraire, très engagés idéologiquement, soutenaient et développaient le discours révolutionnaire islamique au travers d’une fiction fortement stéréotypée. Dans la majorité de ces œuvres, la résistance est sacralisée et les auteurs en décrivent longuement les manifestations, s’attardant bien moins à analyser les raisons, les conséquences ou les circonstances de la guerre. Dans les œuvres d’après-guerre de ce type de littérature, nous pouvons constater l’expression d’une sacralité de la résistance et de recherche des vertus certaines du combat désormais fini. Dans la première décennie suivant la guerre, on est également témoin du motif de la nostalgie et du désir de retour à une contrée bien-aimée (le front) pour le combattant qui a survécu à la guerre et à ses camarades, qui fait l’élégie des valeurs oubliées.

Le doute et le questionnement sont rares dans cette littérature. Aux questions inévitables sont données des réponses définitives, marquées par les convictions. Les personnages sont également unidimensionnels, suivant une évolution inaltérable au fil du récit. Ceux qui doutent et qui hésitent finissent par atteindre la certitude. Dans certaines de ces œuvres, les personnages ne dépassent guère le « type », axé sur les images du religieux. Parmi les types omniprésents dans ces récits, citons le combattant ou le bassidji passionné, le vieillard dévoué, la mère patiente du martyr, l’épouse altruiste du martyr, le religieux clerc qui guide les combattants et montre la voie, le commandant compétent qui se sacrifie (généralement nommé Haji ou Seyyed), l’adolescent prêt au sacrifice, l’intellectuel inhibé, le traître aveuglé par sa propre traîtrise, le tortionnaire irakien, etc.

Ces types de personnages sont autant marqués par le patriotisme que par un très fort sentiment religieux, c’est pourquoi cette littérature puise aussi sa thématique et une partie de son vocabulaire dans les événements des premiers temps de l’islam, ou ceux de l’Ashourâ chiite de l’Imâm Hossein. La Guerre imposée est vue comme une entreprise téléologique de lutte entre le Bien et le Mal. La révolte de l’Imâm Hossein contre le prétendu calife pour la défense des valeurs de l’islam, son statut de défenseur des opprimés et de dénonciateur des injustices sont relus par cette fiction, dans laquelle la guerre Iran-Irak devient le champ du combat atemporel et éternel entre le Bien (l’Imâm Hossein – les combattants iraniens) et le Mal (le calife Yazid – les combattants irakiens).

Couverture du recueil Delâviz tar az sabz (Plus enivrant que le vert)

Dans la nouvelle « Haftâd-o sevvomin » (Le 73e) du recueil Delâviz tar az sabz (Plus enivrant que le vert), le récit de la soif d’un combattant blessé est mis en parallèle avec la soif des combattants de l’Imâm Hossein durant les événements d’Ashourâ. Le titre du recueil est également évocateur, le combattant blessé est le 73e de ces combattants. [1] Mohammad Teyyeb, également, dans la nouvelle « L’histoire de Joseph » allie la version coranique de l’histoire de Joseph et l’histoire d’un combattant du même nom. Parmi d’autres œuvres où l’on voit établie une relation intertextuelle entre les événements de l’histoire religieuse et la guerre Iran-Irak, on peut citer les recueils de nouvelles Hezâr Aftâb (Mille soleils) d’Ebrâhim Hassanbeygi et al., Zir-e shamshir-e ghamash (Sous la lame de son chagrin) de Dâvoud Ghafourzâdegân, Az diâr-e Habib (Du pays de l’Aimé) et Pedar, Eshgh, Pesar (Père, Amour, Fils) de Seyyed Mahdi Shojâei, Niloufar-hâye Mordâb (Les nénuphars de l’étang) d’Ahmad Golzâri et al., Rendân-e teshneh lab (Les hommes libres assoiffés) et Mighât-e Eshgh (L’heure de l’amour) de Hamid Gerogân.

Dans une majorité des œuvres de ce type de fiction, la mort (le martyre) n’a pas de dimension tragique. Elle est plutôt l’accomplissement de la volonté de l’individu conscient, responsable et vertueux qui, faisant don de soi, accepte toute catastrophe avec courage et abnégation. Pour cet individu, le corps à sacrifier n’a plus autant de valeur. Car survivre à tout prix est représenté comme une tentation indigne de l’éminence humaine. Ainsi parfois, celui qui survit se morigène et s’estime inférieur aux morts, car n’ayant pas eu l’honneur d’atteindre le martyre. Ce sont principalement les motifs religieux (en particulier chiites) et l’imitation de la voie de l’Imâm Hossein qui encadrent cette conception de la mort.

Cette fiction de guerre à thèse s’inscrit aussi dans la continuation d’une conception de l’engagement littéraire qui a pris racine dans la littérature contemporaine iranienne à partir des années 60. Avec cette différence que les littératures engagées ou à thèse de la période prérévolutionnaire abordaient la question sociale et politique dans le cadre d’un certain humanisme occidental, nommément le réalisme socialiste. Après la Révolution, les valeurs islamiques s’imposent aux côtés de ce réalisme, et la vision critique révolutionnaire pousse une partie des acteurs littéraires à sortir du discours gauchiste et de l’engagement qu’il définissait pour conceptualiser une nouvelle vision du monde. Cette vision originale s’axe autour des idéaux ésotériques de la foi, qu’elle révise dans une optique moderne et humaine. Parmi les concepts-clés de cette vision du monde, citons « l’Homme parfait », qui a une place centrale dans la fiction idéologique de guerre. La fiction idéologique de guerre, dont la production commence très vite après le commencement des hostilités, est également la continuité de la littérature révolutionnaire, dont elle prend à charge les motifs et les ambitions.

Ce type de littérature est la branche « historique » de la fiction mainstream de guerre en Iran. Son développement a été favorisé pendant et après la guerre par des organismes artistiques et littéraires officiels ou non. Parmi les importants centres de développement de cette littérature qui, d’une certaine façon, ont permis de l’institutionnaliser, on peut citer l’association de la Mosquée Javâd-ol-Aemmeh et le Howzeh-ye Honari. Beaucoup d’auteurs de cette mouvance littéraire ont commencé à écrire pendant ou après la guerre et ont majoritairement une expérience d’anciens combattants.

Couverture de Zir-e shamshir-e ghamash
(Sous la lame de son chagrin) de Dâvoud Ghafourzâdegân

Cette mouvance littéraire a été fragilisée pour de nombreuses raisons. Notamment, pendant les années du conflit, la sensibilité du sujet qui imposait des limites à l’expression des écrivains. Ainsi, la vague de commande de cette littérature durant ces mêmes années mena à une production littéraire quantitativement remarquable, mais au détriment de la qualité des textes.

Précisons que cette branche de la fiction de guerre iranienne comprend deux sous-catégories thématiques : la première est la fiction à thèse pure et simple qui a été décrite plus haut. La seconde s’axe plus sur le social et adopte une approche relativement critique, en tentant de dépasser le mécanisme déterministe idéologique simple et en élaborant une vision politique et historique plus large, ainsi qu’en intégrant une certaine interrogation esthétique. Les œuvres à signaler de cette seconde catégorie de la fiction idéologique datent d’après-guerre ou de la seconde moitié du conflit.

Parmi les œuvres de la fiction idéologique de la première catégorie, citons : Ghâssemali Farâsat : Nakhl hây-e bisar (Les dattiers décapités), Golâb khânoum (Madame Golâb), Ziyârat (Pèlerinage) ; Razieh Tojjâr : Koutcheh-ye aghâghiâ (La rue de l’acacia), Safar be rishehâ (Voyage aux racines), Narges-hâ va dâstân-hâye digar (Les narcisses et autres récits) ; Mohammad Rezâ Sarshâr : Mohâdjer-e koutchak (Le petit immigré), Posht-e divâr-e shab (Derrière le mur de la nuit), Mândâb (Eau stagnante) ; Nâsser Irâni : Orouj (Elévation), Raz-e Jangal-e Sabz (Le secret de la forêt verte), Rah-e bi kenâreh (La route sans rivage) ; Mohammad Rezâ Bâyrâmi : Oghâb-hâye tappeh-ye shast (Les aigles de la colline soixante) ; Mahmoud Golâb-Darrei : Esmâïl Esmâïl, Parastou (Hirondelle) ; Misagh Amirfajr : Darreh-ye jozâmiân (La vallée des lépreux) ; Manijeh Armin : Soroud-e Arvand Roud (Le chant du fleuve Arvand) ; Ebrâhim Hassanbeygi : Shateh-hâ va shokoufeh-hâ (Les pucerons et les bourgeons), Ghandil-hâye nourâni (Les stalactites lumineux) ; Hossein Fattâhi : Atash dar kharman (Feu dans la moisson) ; Ali Moazzeni : Ghâssedak (Akène) ; Ja’far Modares Sâdeghi : Safar-e Kasrâ (Le voyage de Kasrâ) ; Majid Gheysari : Ta’m-e bârout (Le goût de la poudre) ; Firouz Zonouzi Jalâli : Rouzi keh khorshid soukht (Le jour où le soleil brûla), Sâl-hây-e sard-e khâk-o khâkestar (Les années froides de terre et de cendre) ; Kâveh Bahman : Jangi ke boud (Il y avait une guerre) ; Jamshid Khâniân : Koudaki-hâye zamin (Les enfances de la terre).

Parmi les œuvres de la fiction idéologique de la seconde catégorie, citons : Molâghât dar shab-e âftâbi (Rencontre dans la nuit ensoleillée) d’Ali Moazzeni, Doshanbe-hâye âbi-e mâh (Les lundis bleus de la lune) de Mohammad Rezâ Kâteb, Risheh dar a’mâgh (Racines en profondeur) d’Ebrâhim Hassanbeygi, Safar be gerâ-ye 270 darajeh (Voyage au 270e parallèle) d’Ahmad Dehghân, Eshgh-e sâl-hâye jang (L’amour des années de guerre) de Hossein Fattâhi, Man-e ou (Je de Lui), Ermiâ et Nâsser Armani (Nâsser l’Arménien) de Rezâ Amirkhâni.

La fiction sociale de la guerre

La fiction de guerre iranienne à dimension sociale comprend des œuvres qui se focalisent sur l’impact de la guerre dans la société et dans la vie privée des individus, notamment dans les régions directement touchées par le conflit. Elle met en scène les destructions, les pertes, les souffrances et l’aliénation des gens ordinaires lors du conflit. Cette littérature sociale a pour vocation de dénoncer. Elle ne s’intéresse donc pas aux éventuels acquis de la guerre et en souligne la dimension négative au travers de l’expression de son impact catastrophique sur la vie des gens. Les auteurs de cette seconde branche ne veulent pas justifier la guerre, mais en acceptent la nécessité et en donnent une image réaliste. Précisons que cette littérature de guerre sociale s’inscrit dans la continuité du réalisme et du naturalisme social iraniens, et a pour ambition de mettre à jour, au-delà d’une simple description, la dynamique sociale que la guerre amorce. Elle souhaite ainsi montrer les changements générés par le conflit dans les tissus familial, social, urbain et rural. Nombre des premières œuvres de cette sous-branche de la littérature de guerre reviennent sur l’exode provoqué par l’attaque irakienne, la vie des réfugiés et les conséquences sociales, culturelles et ethniques générées par leur présence ailleurs dans le pays, questions qui sont entre autres au premier plan dans cette fiction. Précisons finalement que la fiction sociale de guerre peut également être considérée comme une littérature anti-guerre ou pacifiste, du fait de son insistance à montrer la face noire de la guerre.

Couverture de Az diâr-e Habib (Du pays de l’Aimé) et Pedar, Eshgh, Pesar (Père, Amour, Fils) de Seyyed Mahdi Shojâei

Ghazi Rabihâvi est un des écrivains de cette mouvance. La vie des réfugiés est un thème omniprésent de son œuvre avant son émigration à Londres. Durant la guerre, Rabihâvi est un écrivain social très engagé, qui montre un autre visage de la guerre, au-delà du discours héroïque, celui de l’exode et des réfugiés. Dans ses œuvres, le lecteur rencontre une population dépossédée par la guerre de ses lieux, de son quotidien et de ses possessions, confrontée à des problèmes propres au réfugié, tel que la chosification, la solitude, les changements forcés des habitudes, etc. Dans l’autre sens, Rabihâvi revient également sur les problèmes sociaux et culturels que la présence des réfugiés dans les grandes villes iraniennes génère. Le roman Bâgh-e Bolour (Le Jardin de cristal) de Mohsen Makhmalbâf s’illustre également dans la fiction sociale de la guerre, bien que cette œuvre soit également marquée par l’ambition d’être un roman à thèse. Autrement dit, ce roman s’inscrit également dans le cadre de la fiction idéologique, mais la dominance des thèmes sociaux, avec la question féminine au premier plan, en fait bien plus une œuvre sociale. Le roman est narré sur deux plans : les récits homodiégétiques des personnages et celui du narrateur extradiégétique, qui tente de justifier la vision critique des personnages selon sa propre perspective idéologique.

Parmi les œuvres de la fiction sociale, citons : Ahmad Mahmoud : Zamin-e Soukhteh (Terre brûlée), Ghesseh-ye âshenâ (Histoire connue) ; Mohsen Makhmalbâf : Bâgh-e Bolour (Le Jardin de cristal), Do chashm-e bi sou (Deux yeux sans lueur) ; Y. Miândoâbi : Khâneh-ye sefid (La maison blanche) ; Mostafâ Zamâniniâ : Râh-e derâz-e Estânbol (Le long chemin d’Istanbul) ; Asghar Abdollâhi : Avâz-e mordegân (Le chant des morts), Aftâb dar siâhi-e jang gom shod (Le soleil se perdit dans la noirceur de la guerre) ; Ali-Asghar Shirzâdi :

Helâl-e penhân (Le croissant caché).

La fiction de guerre anti-guerre

Cette troisième catégorie de la fiction de guerre iranienne aborde la guerre dans une optique absolument critique et négative. Le regard de la mouvance anti-guerre ne laisse aucune place à l’optimisme et réfute avec conviction toutes les justifications du conflit, telles que la nécessité de la défense territoriale face à une agression militaire. Elle réfute également les éventuels apports positifs de la guerre, tels que les manifestations de solidarité nationale, d’indépendance, de volonté d’autosuffisance, de courage et d’abnégation, etc. Deux optiques dominent cette littérature. La première voit non seulement la guerre comme absurde, mais aussi les combattants comme dangereux et néfastes pour la société. Ainsi, guerre et combattants sont dépeints sous le jour le plus noir. Dans la seconde optique, les auteurs regardent la guerre et les combattants avec tout autant de pessimisme, mais aussi de la pitié pour cette génération qui se sacrifie sans comprendre l’absurdité de la situation.

La première optique est illustrée par des œuvres comme Adâb-e ziârat (Le protocole du pèlerinage) de Taghi Modarresi, Nâgahân Seylâb (Mahdi Sahâbi) ou Shab-e Malakh (La nuit de la sauterelle). Quelques romans d’Esmâïl Fassih, entre autres, tels que Nâmei be donyâ (Lettre au monde), Sorayâ dar eghmâ (Sorayâ dans le coma) et Zemestân 62 (Hiver 62) illustrent quant à eux la deuxième optique de la littérature anti-guerre.

La fiction anti-guerre iranienne ne peut pas vraiment être classée dans la catégorie de la littérature pacifiste et anti-guerre mondiale, car elle manque de fondations philosophiques et idéologiques autant que littéraires. Le traitement de la guerre, généralement marginalisé dans le récit, y est par ailleurs très faible. La majorité des œuvres de cette littérature sont le fruit d’un positionnement qui se veut intellectuel mais qui n’est que politique, et n’a pu donc dépasser le stade d’une littérature superficielle. Cette littérature n’a pas connu beaucoup de développements, d’une part en raison de ses faiblesses structurelles, et de l’autre, des limitations étatiques. Ainsi, seuls quelques rares romans et nouvelles y sont à noter. Dans ces récits, la mort dans la guerre est une mort pathétique et absurde. Elle n’est d’ailleurs généralement pas la mort du combattant, mais celle des civils qui mènent leur vie quotidienne et qui meurent dans des bombardements. Dans ces récits, même le personnage qui meurt au front n’a aucune vocation à être là où il est, aucune conviction à défendre. Il a souvent été envoyé de force ou alors sous l’impulsion de motifs personnels qui le poussent à une rupture désespérée avec sa vie précédente. Des motifs qui n’ont donc rien d’une démarche volontaire de participation, ce qui explique entre autres l’échec de cette littérature en Iran. Certaines des œuvres de cette fiction recoupent de par leur thématique la fiction sociale de la guerre.

Couverture de Doshanbe-hâye âbi-e mâh (Les lundis bleus de la lune) de Mohammad Rezâ Kâteb

La fiction « humaine » de la guerre

Le quatrième type de fiction de guerre iranienne pourrait être considéré comme une littérature axée sur l’humain ou une littérature subjective. Cette littérature s’intéresse à la guerre du point de vue de l’individu et comprend des œuvres comportant une interrogation humaine et personnelle sur le conflit, ainsi que « l’individu dans la guerre » et « l’individu né de la guerre ».

Dans la majorité des œuvres littéraires datant de la guerre elle-même (1980-1988), la perspective d’ensemble est axée autour de valeurs ou préoccupations sociales et parfois pseudo-intellectuelles. Un élément primordial, c’est-à-dire « l’humain en guerre », est oublié. Le regard humain, qui est finalement un regard universel, est plus ou moins absent des autres types de fiction de guerre iranienne - comme dans la fiction idéologique où les hommes sont vus quasiment comme des incarnations du Bien ou du Mal.

C’est après la guerre que des œuvres qui privilégient une nouvelle perspective, plus « humaine », commencent à apparaître. Dans nombre d’œuvres récentes, et en particulier celles des auteurs de guerre anciens combattants, le sens de la guerre connaît une métamorphose importante. Dans ces récits, la guerre cesse d’être un combat entre le Bien et le Mal, l’expression d’une victoire militaire indifférente à la mort où le héros empile les corps des ennemis sur lesquels il dresse haut l’étendard de la victoire. Elle est désormais une élégie mémorielle de tout ce qui a été perdu, comme on le voit par exemple dans les nouvelles de Shâhrokh Tondro Sâleh, ou l’expression d’une destinée neutre qui a fait des victimes dans tous les camps.

Refuser d’écrire selon les modèles consacrés de quelque bord qu’ils soient et s’exprimer sur la mort et la violence sont parmi les caractéristiques de cette nouvelle fiction de guerre, qui revient également pour la première fois sur des faits ou des événements jusqu’alors tabous tels que la peur, la mort, la violence et, motif plus souligné que les autres, la solitude de l’homme face à la guerre. Cette littérature montre les combattants et les survivants dans une réalité notamment psychologique qui ne laisse pas de place à la répétition des clichés.

Cette catégorie de la littérature de guerre a aussi été nommée « littérature de protestation », car l’un de ses motifs centraux est la protestation contre la fatalité et la destinée de ceux qui ont vécu la guerre. Dans ce type de fiction, les auteurs mettent en scène les personnages aux prises avec la réalité amère de la guerre au travers d’une narration et d’une thématique subjectivisées. La profondeur et la complexité humaines sont généralement bien élaborées et l’on voit traiter les questions de la peur, la fuite devant la mort, le doute, la perte de confiance en soi, etc. jusqu’alors généralement passées sous silence dans la fiction de guerre iranienne. La nouvelle fiction de guerre est actuellement en train de briser la « sacralité de la guerre » (nommée en Iran la Défense sacrée) et de permettre l’expression plus libre et plus juste de l’humain, hors des contextes idéologiques et politiques.

Parmi les œuvres de cette catégorie, on peut notamment citer : Ahmad Dehghân : Man Ghâtel-e pesaretân hastam (Je suis l’assassin de votre fils) ; Ahmad Gholâmi : Kafsh-hâye sheytân ra napoush (Ne mets pas les chaussures du Diable), To migi man ouno koshtam (Tu dis que c’est moi qui l’a tué), Fe’lan esm nadârad (N’a pas de nom pour l’instant) ; Hassan Bani Ameri : Gonjeshk-hâ behesht râ mifahmand (Les moineaux comprennent le paradis), Nafas nakesh bekhand begou salâm (Ne respire pas, souris et dis bonjour) ; Mortezâ Mardihâ : Dar sho’leh-hâye âb (Dans les flammes de l’eau) ; Mohammad Rezâ Bâyrâmi : Pol-e moallagh (Le pont flottant) ; Shahrokh Tondro Sâleh : Bâgh-e bâroun (Le parc de la pluie) ; Hossein Mortezâiân Abkenâr : Dâstan-e Rahmân (L’histoire de Rahmân).

Notes

[1Les sources historiques chiites retiennent le nombre de 72 pour les combattants ayant accompagné et soutenu l’Imâm Hossein durant les événements de l’Ashourâ.


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