N° 111, février 2015

Frank Gehry
L’exposition au Centre Pompidou : 8 octobre 2014 - 26 janvier 2015
&
à la fondation Louis Vuitton
Paris


Jean-Pierre Brigaudiot


Ici, deux lieux parisiens se font écho : d’une part le Centre Pompidou retrace le parcours de l’architecte Frank Gehry et, d’autre part, la fondation Louis Vuitton est l’une de ses dernières réalisations. L’un explique, expose, commente une démarche longue de plusieurs décennies et l’autre permet d’expérimenter et pratiquer cette architecture singulière.

Dans le numéro 47 de La Revue de Téhéran, en octobre 2009, j’avais consacré un article au Musée Guggenheim de Bilbao, réalisé par ce même architecte, Frank Gehry. J’avais apprécié la capacité de ce bâtiment dénué d’orthogonalité et de régularité géométrique à accueillir tant des œuvres classiques, c’est-à-dire, par exemple, des tableaux du début du vingtième siècle, que des installations ou des vidéos, capacité finalement assez peu répandue avec les musées contemporains, lesquels se présentent trop souvent comme des œuvres en elles-mêmes et pour elles-mêmes, au détriment des œuvres exposées. A Bilbao, Gehry a réussi à concilier les caractéristiques du bâtiment, une folie, et les besoins des œuvres en termes d’exposition, ceci au prix d’un certain nombre de concessions à ce qu’est cette architecture, du moins à l’intérieur du bâtiment.

Maquette de la fondation Louis Vuitton exposée au sein de cette même fondation. Photo : J.-P. Brigaudiot

L’exposition Frank Gehry au Centre Pompidou

Il s’agit d’une exposition à la muséographie très classique, fondée sur un banal parcours chronologique, celui de Frank Gehry, exposition de l’œuvre d’un architecte, exposition didactique à souhait et bien conçue, prenant appui sur les études architecturales, les simples dessins, les maquettes, la photo et la vidéo. Ainsi peut-on suivre et comprendre l’évolution de cet architecte et ce qui caractérise sa démarche.

Frank Gehry, né en 1929 à Toronto, étudie l’architecture à Los Angeles puis l’urbanisme à Harvard, commence à travailler en agence dès 1957 et ouvre sa propre agence en 1962, en Californie. Peu à peu il va développer et affirmer certaines caractéristiques propres à ce qu’est son travail d’architecte.

Au fil de son histoire et des civilisations, l’architecture, du moins l’architecture des pouvoirs financiers, religieux et politiques affirme volontiers les principes d’ostentation, de symétrie et de stabilité. Lorsqu’il s’agit du travail de Frank Gehry, il n’est pas directement question de ces pouvoirs, même si ce travail n’a pas du tout pour destinataires les classes modestes de nos sociétés, même si la fondation Vuitton, comme le musée Guggenheim de Bilbao ou celui, en cours de construction, d’Abu Dhabi, symbolisent le pouvoir d’argent de mécénats d’Etat ou privés. Bref, Gehry, ce n’est pas Le Corbusier, ce n’est pas la Cité Radieuse, ce ne sont pas les logements sociaux ! Les œuvres évoquées dans le parcours de l’exposition apparaissent comme des folies, tant elles semblent défier toute fonctionnalité pour mettre en évidence une inventivité débridée. Et cette inventivité constamment renouvelée est au cœur de la création de Frank Gehry, même si l’exposition du Centre Pompidou laisse clairement entendre que l’œuvre est arrivée à son terme ; non point que Gehry ne puisse encore créer des œuvres remarquables, mais comme il en va de l’œuvre des artistes les plus notoires, Picasso, Rembrandt, Bill Viola ou d’autres encore, il arrive un temps où l’essentiel a été dit et où l’œuvre encore à venir ne fera guère que décliner le même, ou presque. Ainsi le système formel et conceptuel mis en place par un artiste peut toujours fonctionner et donner lieu à de grandes œuvres, mais il demande tant et tant d’énergie, monopolise tant et tant de systèmes technologiques - dans le cas de Gehry - que le créateur s’enferme ou est enfermé par le poids de la mise en œuvre des projets et finit par tourner en rond. Et puis le temps passe et d’autres œuvres, d’autres artistes, d’autres mouvances émergent et s’imposent.

Frederick R. Weisman Art & Teaching Museum de Minneapolis

Des solutions alternatives

Il est certain que Gehry est un plasticien doué d’un regard attentif aux choses du monde, les choses ordinaires et celles plus sophistiquées que produisent les industries. C’est en voyant les maquettes et les dessins de cette exposition que l’on découvre la nature de ce regard toujours à l’affut de la qualité intrinsèque d’un simple carton ondulé destiné à l’emballage, d’un grillage à poules, d’une tôle perforée, d’une bâche grossièrement tissée ou d’un filet d’acier tressé qui, en changeant d’échelle, vont acquérir une indéniable et soudaine beauté et surprendre. Gehry, dès les années 60, tourne le dos à l’architecture de la reconstruction, celle de l’après Seconde Guerre mondiale et de l’explosion démographique, cette architecture internationale des cités dortoirs, des logements sociaux, des groupes scolaires, des universités, des hôpitaux : architecture où triomphe le béton, l’orthogonalité, l’identique et l’absence de qualité comme d’identité. Ce choix de Gehry le conduit à plutôt réaliser des bâtiments aux dimensions modestes, des maisons individuelles ou des petits/moyens immeubles aux fonctions diverses. Ces dimensions permettent et facilitent la mise en évidence de ces textures, dont Gehry est si friand, et l’expérimentation de formes souvent organiques, issues du monde végétal ou animal. Ainsi la maquette de la Maison Gehry de Santa Monica évoque peut-être davantage l’architecture des bidonvilles ou des favelas qu’une villa californienne : elle apparait comme une sorte de bric à brac où tous les plans sont de guingois et où s’accumulent des matériaux qui ressemblent singulièrement à des matériaux de récupération dont on fait les cabanes de jardin. On peut considérer cette maison comme représentative des postures de Gehry en matière d’architecture, postures de renoncement à la structure orthogonale, au béton triste, aux symétries et à la centralisation du bâtiment. Ceci au profit d’une architecture vernaculaire, celle que ses habitants modifient au gré de leurs besoins, où différents matériaux alternatifs/détournés cohabitent en un apport texturel et de contraste, sinon d’hétérogénéité, sans cesse réinventé. On pourrait faire un inventaire à la Prévert de ces matériaux employés par Gehry au cours de sa carrière, organiques ou issus de l’industrie. Cette variété des matériaux et des textures choisies par l’architecte engendre une esthétique alternative à l’esthétique dominante en matière d’architecture contemporaine, toujours tributaire de l’esprit néo plasticien du Bauhaus, toujours dépouillée.

Dessin de Franck Gehry

Le terme qui désigne cette architecture de Gehry est celui d’architecture déconstructionniste ; déconstruction d’une certaine logique organisationnelle du bâti au profit d’un parti pris de prolifération non point anarchique des volumes, mais portée par exemple par un mouvement ondulatoire ou de vrille, quelquefois partiellement hélicoïdal : ainsi beaucoup de constructions des plus récentes évoquent les voiles des navires d’antan, gonflées et poussées par le vent, ou bien rappellent les structures en nid d’abeille, celles des filets des pêcheurs, le réseau des toiles des araignées, le corps de poissons avec leurs écailles tuilées, les vagues déchainées... Parmi les formes mises en œuvre, certaines semblent directement issues des productions de l’industrie, comme des ailettes de réacteurs, des tubes coniques, des hélices. Quelquefois les constructions se donnent comme symphoniques, musicales, car leur appréhension évoque le temps musical dans sa mobilité ; tel est le cas par exemple avec le Frederick R. Weisman Art & Teaching Museum de Minneapolis. Ainsi Frank Gehry, avec ce regard attentif aux matériaux de la nature végétale et animale ou à ceux de l’industrie, a peu à peu réinventé le vocabulaire plastique de l’architecture tout en la concevant comme fondée sur une prolifération cellulaire. Dans un même temps il associe l’opaque et le transparent, l’ouvert et le fermé, fait apparaître ou réapparaître le bois, les tissages et les tressages - quelquefois faits de câbles métalliques. Son œuvre saisie dans sa globalité grâce à cette exposition montre ce délaissement progressif de ce qui relève de la géométrie comme c’est encore le cas avec par exemple le Ray & Maria Center, institut de technologie du Massachussetts (2004), au profit de formes beaucoup plus organiques. Pour simplifier, voire caricaturer, on peut dire que Gehry commence par une déconstruction qui évoque peu ou prou l’esthétique du cubisme analytique (qui a déconstruit les choses représentées), avec par exemple le bâtiment de l’American Center for Arts de Paris (1993) - qui est devenu la Cinémathèque Française -, ou davantage encore avec les bureaux de la Nationale Nederlanden Bank, à Prague (1996). Puis Gehry s’oriente vers la distorsion et le vrillage des formes, avec par exemple la Beekman Tower de New-York (2011), pour enfin arriver à ces nefs ondulantes et comme mouvantes dont fait partie la Fondation Louis Vuitton inaugurée il y a quelques mois.

Beekman Tower, New York

Le dessin comme liberté de penser (l’architecture)

Chez Frank Gehry, le dessin est au cœur de l’œuvre, il est le moyen de penser celle-ci comme un organisme vivant et évolutif, il est une pensée à part entière au-delà ou en deçà des mots, car langage lui-même, langage prospectif, il annonce de possibles percées dans l’inouï, lequel permet de subvertir les contraintes de la matérialité, celle qui tant pèse en architecture, lorsqu’elle n’est pas assez créative. Ecriture d’une langue qui appartient au seul Franck Gehry, le dessin est rapide, le trait est affirmé et le plus souvent de qualité égale, il formule l’hypothèse, ce qui est à venir, une pensée délestée du poids du réel, celui qu’il va falloir mettre en œuvre lors de la construction, la nature pesante, la solidité ou la fragilité des matériaux. Et ici la mise en œuvre est très complexe avec cette rencontre, lutte et harmonie entre matériaux déjà-là, disponibles dans l’industrie et les formes, dimensions et contraintes imaginées par l’architecte.

La maquette

L’exposition du Centre Pompidou présente de nombreuses maquettes qui, comme toutes les maquettes, sont les promesses d’un advenir, une vision globale et icarienne que jamais le visiteur du bâtiment terminé ne pourra plus connaître, lorsqu’il sera retombé, en tant que visiteur, à sa propre échelle réelle, lilliputienne et naturelle. Ici, les maquettes se présentent comme des œuvres, et ne serait-ce leur fonctionnalité, c’est-à-dire l’annonce d’un au-delà, ce sont de véritables sculptures, pièces uniques que l’on peut d’ailleurs aisément percevoir comme telles - et tel est le cas lorsque le bâtiment qu’elles figurent et préfigurent n’a pas été réalisé. Cela évoque peu ou prou une certaine sculpture, telle qu’elle s’est pratiquée à partir du constructivisme, notamment russe, au début du vingtième siècle, lorsque des artistes comme Nicolas Pevsner voulaient faire table rase du passé, ou bien encore la sculpture née dans la pensée et la mouvance du Bauhaus, lorsque des artistes mettaient en œuvre des matériaux nouveaux et alternatifs à ceux de la sculpture classique.

Nationale Nederlanden Bank, Prague

Au-delà du dessin et de la maquette, le bâtir

Ecrire-dessiner-penser l’architecture en toute liberté, créer des maquettes qui sont des sculptures, c’est-à-dire des objets d’art uniques, permet à Frank Gehry de renouveler l’architecture. Ce renouvellement, cette dimension inventive passent, on le comprend bien, par une prospection très indifférente aux contraintes à venir lors de la construction des bâtiments. Par exemple, les ondulations et enchevêtrements propres au Frederik R. Weisman, Art & Teaching Museum de Minneapolis sont pensés-conçus sur la base de matériaux employés par Frank Gehry pour les maquettes : simple papier froissé, carton, ou tôle d’aluminium légère ; matériaux malléables à petite échelle qu’il va néanmoins falloir transposer, interpréter en matériaux « réels » lors de la construction. Ainsi, l’exposition le montre fort bien, la complexité structurelle, formelle et l’emploi de matériaux détournés de leur fonction initiale crée une situation fort complexe à gérer lorsqu’il s’agit de passer du projet à la construction. Car il ne s’agit pas, en ce cas, de monter le bâti comme il se fait d’une « simple » construction orthogonale, mais de faire advenir en l’espace tridimensionnel des formes irréductibles à quelques schémas simples et répétitifs, ici il s’agit de formes dissymétriques où l’emboitement des éléments de la construction doit être préalablement et parfaitement programmé afin que les maîtres d’œuvre des chantiers puissent conduire à terme ce dernier, en prenant en considération le poids, les formes singulières et les caractéristiques des matériaux, là où il y a, dans la maquette, négation même de la pesanteur. Pour ce faire, Gehry va devoir faire appel aux technologies numériques les plus performantes en matière de trois dimensions, il va devoir créer un bureau d’études numériques avancées avec des logiciels spécifiques, un peu comme cela est nécessaire en aéronautique. Autrement dit, avec Frank Gehry, il ne s’agit nullement de rationaliser une production architecturale en série mais de créer la faisabilité de chaque bâtiment, lui-même unique, comme l’est un tableau, comme l’est une sculpture. Dès lors, l’œuvre de Géhry est-elle à contrecourant d’une architecture industrialisée correspondant peu ou prou aux besoins d’une humanité croissant indéfiniment et soudainement en nombre ? D’une certaine manière oui, elle est à contrecourant, par l’unicité et le coût exorbitant de constructions qui, en tant que folies, sont uniques et donc inaccessibles au commun.

Quelques repères :

La maison Gehry de Santa Monica, Californie, de 1977/1994

A Paris, le bâtiment de l’American Center for Arts, datant de 1993 (devenu la Cinémathèque Française).

A Bilbao, le musée Guggenheim, de 1997.

A Hanovre, Allemagne, la Gehry Tower, de 2001.

A Francfort, Allemagne, la DZ Bank, de 2001.

L’hôtel Marquès de Riscal, à Elciego, Espagne, de 2006.

Le musée d’art d’Abu Dabi, en cours de construction.

La fondation Louis Vuitton

La fondation Louis Vuitton, à Paris

Il s’agit d’une fondation de mécénat d’entreprise, l’entreprise étant LVMH, spécialisée dans la mode, la maroquinerie et bien d’autres produits de luxe qu’acquièrent fébrilement les classes aisées de différents et nombreux pays du monde, autant d’objets signes d’un paraître qui tend à occulter l’être.

Monumental et constitué d’espaces uniques

La découverte du bâtiment, à la limite de Paris et dans le Bois de Boulogne éclaire tout autrement l’œuvre de cet architecte que ne le fait l’exposition du Centre Pompidou. Quelles que soient la singularité et la rupture architecturales, ici évidentes, le dialogue avec le bâtiment, cette fois pratiqué par le visiteur, l’approche et le ressenti sont totalement différents de ceux que l’on a connus au cours de la visite de l’exposition du Centre Pompidou. Là-bas on avait affaire à des maquettes, à des dessins, à des projets, à des photos ou des vidéos offrant une vision englobante, une position psychologiquement rassurante car dominante. Ici, dès l’approche, le bâtiment en impose, il n’est pas l’une de ces petites folies qui autrefois siégeaient dans les parcs et jardins, mais un grand bâtiment et le rapport entre ce dernier et le visiteur est un rapport d’écrasement, ce n’est plus le visiteur qui a une vision icarienne, c’est le bâtiment qui englobe, avale le visiteur. L’échelle choisie par Gehry est monumentale, tant pour l’ensemble tel qu’il est appréhendable de l’extérieur, que pour la déambulation intérieure ou les circulations, les salles, les échappées offertes au regard sont disproportionnées par rapport à l’échelle humaine. Toujours de l’extérieur comme de l’intérieur, il y a ce phénomène d’impossibilité d’appréhension et de compréhension globale du lieu qui n’est tout simplement pas pensable ni représentable comme le sont les bâtiments auxquels l’architecture nous a habitués, car bâtiments orthogonaux et le plus souvent symétriques, pour lesquels il est relativement aisé, en activant une pensée hypothético-déductive, d’imaginer ce que sont les parties cachées au regard, intérieures comme extérieures. Plus que percevoir l’exploit technique qui désormais fait partie du paysage architectural mondial, le sentiment d’incapacité d’appréhension globale se confirme au cours de la visite qui offre de nombreuses ouvertures et échappées au regard, vers le haut comme vers le bas, à droite comme à gauche, jusqu’à ce qu’on en perde le nord ! Chaque partie du bâtiment, outre qu’elle est difficilement appréhendable, car rien n’est orthogonal, est différente de toutes les autres, et plus encore lorsqu’elle ressemble à d’autres parties ! Aussi la tentation à laquelle, certainement, beaucoup de visiteurs succombent, est de préalablement se consacrer à la visite du lieu et de ses cinq niveaux. Ainsi l’on passe d’une salle d’exposition à un escalier, puis à une terrasse qui semble circonscrire le bâtiment mais s’interrompt et offre des points de vue sur les alentours ou sur la structure même du lieu, faite de métal, de bois et de dalles blanches. Les plongées du regard, comme les contreplongées, sont vertigineuses et suivent le spiralé ou les courbes de ces structures. Séduisant bâtiment, - trop séduisant ? -, dont on saisit à la fois la singularité architecturale et cette unicité, cette i-reproductibilité choisie par Gehry. Cependant, après la visite du lieu se posent un certain nombre de questions, d’abord sur sa nature muséale, sur la place qu’il concède à l’art, puis sur ces sommes colossales investies dans sa construction. Ensuite la comparaison se fait avec d’autres lieux bâtis au cours des dernières décennies, en tant que musées ou aéroports, banques, sièges d’entreprises, gares. Le rapprochement se fait avec le MOMA de New York restructuré, avec Pompidou-Metz, avec, évidemment le Guggenheim de Bilbao. Et la question se pose de la fonctionnalité et spécificité muséale de cette Fondation Louis Vuitton, ou de ses autres usages possibles.

Maison Gehry de Santa Monica

La lutte de l’architecture et des œuvres d’art contemporain

Plus qu’au Guggenheim de Bilbao, l’architecture se suffit à elle-même en tant qu’œuvre d’art. C’est sans doute pourquoi ce lieu muséal recèle, présente, expose aussi peu d’œuvres et ne semble pas destiné à en exposer davantage. Ici, comme lorsqu’on visite une cathédrale gothique, l’œuvre est avant tout le bâtiment, et le reste, les tableaux, les chapiteaux sculptés, les figures des anges ou des saints ne sont que secondaires, accessoires et ornementaux. La visite, en termes d’art contemporain et moderne est décevante, œuvres conventionnelles et déjà vues, œuvres du catalogue internet de celles qui ont acquis un statut international et des valeurs inimaginables. Œuvres qui ne suscitent ni émotion ni intimité, choisies comme pour meubler le vide des vastes espaces intérieurs, œuvres malmenées comme cette installation lumineuse et monumentale de Olafur Eliasson dont le reflet dans les plans d’eau fait partie, comme il fait bien souvent partie de l’architecture conçue par Frank Gehry. Mais ici les bassins sont à sec, donc point de reflet, œuvre amputée. Dans l’auditorium, une série de peintures d’Ellsworth Kelly, « Color Panels », monochromes faisant suite à la série « Spectrum », démarrée en 1953, nous renvoie à la pensée plastique du Bauhaus. Travail pictural dénué de dimension émotive, …du décoratif ? Au sous-sol, un long parcours permet de cheminer à tâtons dans une installation luminocinétique de Olafur Eliasson, riche en effets d’optique qui rappellent les pratiques de l’art cinétique tout en se laissant appréhender comme un cabinet de curiosités également optiques. Ces deux œuvres de Kelly et Eliasson donnent le ton quant au parti pris de cette fondation en matière d’art. Les espaces d’exposition des étages montrent également des œuvres essentiellement monumentales, celles de Sigmar Polke, de très grandes tailles, 300x500cm, des peintures de résines sur soie. Plus loin on rencontre la figure d’un personnage géant enfoncé dans la boue, c’est « Man in Matsch » de Thomas Schütte. Au détour d’un passage entre deux espaces, sur un palier, une vidéo de Nam June Paik, de 1976/1978, filme et retransmet en direct une petite sculpture, « Le Penseur de Rodin », un exemplaire du Penseur de Rodin. Une salle est consacrée au travail pictural sur photos et à des travaux tournant autour de ce médium, de Tadica Dean. Un espace est entièrement consacré au bâtiment lui-même, avec un ensemble de maquettes, d’études et de vidéos, dimension didactique et coup d’œil sur le travail de conception de Frank Gehry. Exposition de maquettes qui confirme qu’ici, c’est l’architecture qui importe avant l’art contemporain.

Avec cette fondation Vuitton, le bilan de la rencontre avec les œuvres d’art contemporain est maigre, reste l’exploit technique et architectural, la beauté indéniable du bâtiment et cette présence ambiante du luxe, de l’argent et de la vanité… et peut-être également l’envie d’aller au Louvre voir un Vermeer de Delft dans ses modestes dimensions et son infinie sensibilité, œuvre qui se place au-delà de toute valeur marchande.

Color panels d’Ellsworth Kelly, fondation Louis Vuitton

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