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Institution typiquement iranienne, les zourkhâneh ou " maisons de force ", sont un lieu où se perpétue l’une des traditions sportives et culturelles les plus particulières de la Perse. Construits principalement dans les quartiers populaires, les zourkhâneh accueillent des spectacles d’athlètes très codifiés et réservés aux hommes, et où se mêlent influences préislamiques et chiites. A l’époque des Achéménides, sous le règne de Darius, on encourageait les jeunes à pratiquer les arts de la guerre, coutume qui s’est peu à peu pérennisée et institutionnalisé au travers de ces maisons de force. Elles ne doivent cependant être considérées ni comme étant des arènes ou des lieux de combat, mais avant tout des espaces d’expression physique et culturelle.
Des hommes torse nu, drapés à mi-cuisse, portant des culottes faites le plus souvent de cuir, tenant entre les mains massues et autres arcs de fer, demandent tout d’abord protection au prophète Mahomet et aux Imams, tandis que leur "morshed" (guide), assis à une place surélevée face à l’audience, fait tourner les athlètes ou "pahlavân" au rythme d’un tambour, entrecoupé par la déclamation de vers du Shâhnâmeh (le livre des Rois) de Ferdowsi ; l’ensemble sous une lumière aveuglante, et dans une salle aux murs tapissés de vieilles photos d’anciens athlètes, jaunies par le temps et la sueur, ainsi que de portraits d’Imams et de grands poètes Persans.
Si maintenant ces zourkhâneh et les cérémonies qui s’y déroulaient se sont faites plus rares, elles étaient, à un moment donné de l’histoire de la Perse, des lieux sacrés et confidentiels, et le symbole de la résistance nationale à la suite de la conquête arabe. Avec l’islamisation de la population, cette résistance changea progressivement d’orientation, évoluant davantage vers un soutien des valeurs chiites face au sunnisme. Certaines qualités morales telle que le courage, l’abnégation et la vertu étaient requises des pahlavân, ainsi que fidélité absolue au Prophète et aux Imams. Si le zourkhâneh est aujourd’hui redevenu populaire, il n’a pas toujours été apprécié par les régimes en place. L’apogée de cette institution fut atteint sous la dynastie safavide lorsque le chiisme devint religion d’Etat. A cette époque, presque tous les villages possédaient alors leurs propres zourkhâneh. De façon plus générale, les Safavides furent à l’origine d’une grande renaissante artistique en Iran, en donnant un nouveau souffle à l’industrie artisanale et en encourageant les manifestations culturelles. Par la suite, cette institution connût un déclin progressif, mais fut ranimée au début du XXe siècle par la dynastie Pahlavi, attirée non par ses aspects religieux, mais par ses profondes origines iraniennes et le nationalisme qui s’y rapporte.
A la différence de la gymnastique, les exercices pratiqués au sein des maisons de force constituent un sport collectif impliquant des rituels spécifiques, des épreuves et le respect de certaines règles morales et éthiques. Chaque exercice est composé de gestes précis devant être exécutés par tous dans le même ordre et au même rythme. Les instruments utilisés sont simples et basés sur des modèles d’armes anciennes adaptés à l’espace restreint du zourkhâneh : des petites planchettes et de lourdes massues en bois d’orme que l’on déplace au-dessus des épaules, pesant entre 4 et 40 kilos, sont notamment utilisées pour les exercices d’assouplissement. En outre, les athlètes les mieux entraînés s’exercent au maniement de deux énormes boucliers en bois pesant 60 kilos chacun. Des arcs de fer, autour desquels sont attachés des disques métalliques, ainsi que d’autres instruments archaïques permettent également de mesurer la force mais aussi l’endurance des athlètes à la souffrance. Un autre exercice, en fin de séance, consiste à tourner sur soi-même, les bras tendus, un peu à la manière des derviches tourneurs. Lors de son exécution, les hommes demandent la permission de s’installer au centre de la fosse octogonale pour tourner sur eux-mêmes en suivant le rythme du morshed.
Aujourd’hui, l’oubli progressif de ces traditions millénaires entraîne une décroissance constante du nombre d’adeptes ; et un certain nombre d’Iraniens des classes aisées ignorent jusqu’à l’existence même des zourkhâneh, présents depuis des siècles dans les quartiers les plus populaires du pays.