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Exergue
« Le rossignol est venu au jardin, les corbeaux se sont enfuis ;
Allons au jardin ensemble, ô flambeau de mes yeux.
Comme le lys et la rose, épanouissons-nous dans l’extase ;
Comme l’eau qui court, courons de jardin en jardin. »
« Aux jardins il y a mille belles aux visages lunaires,
Il y a des roses, des violettes qui sentent le musc,
Et cette eau qui tombe goutte à goutte dans le ruisseau,
Tout est prétexte à méditation… il n’y a que Lui… que Lui. »
Rumi
Introduction
Sur le sable gris, Rostam,
récitateur perse,
conte l’histoire du tapis
ou l’histoire du jardin de Khesti.
L’homme évoque ici
l’élaboration de l’œuvre
de soie et de laine
destinée à un sanctuaire.
Lors de cette péripétie,
Rostam porte un Sceau-cylindre
qu’il devra remettre au Vizir.
***
II
Les marges
ou
Les bases du tapis
Tenant d’une main souple
la longe de l’onagre gris
et de l’autre, plus fermement,
le cylindre de métal étincelant,
Rostam s’oriente dans le vent.
Tout en ne quittant pas
les tours du caravansérail,
il trace le contour du tapis,
ayant en pensée la cité d’Arrata
et dans le cœur la rose d’ Ispahan.
Dans ses yeux noirs,
tournent des volutes d’or
tandis qu’il commence
la lente déambulation ;
il va dessinant les marges,
et tire un long fil violet
qu’il attache aux quatre angles,
délimitant un vaste rectangle.
Sur la vaste terre sèche,
il pose les témoins,
les pieux et les ancrages
qui se déplaceront
avec la tribu nomade.
– Là sont mes rêves, dit-il.
– Là sont mes souhaits.
– Là sont mes pensées.
– Maintenant je vais les ordonner.
C’est ainsi qu’au milieu
de l’étendue de pierraille,
Rostam choisit le lieu
et trouve la marque cachée
enviée comme un corail.
Ici, le cavalier aigreté
laisse enfin choir
les brides dorées
de l’onagre argenté.
En ces jours d’été,
le ciel est céruléen ;
un souple voilage
glisse sur l’horizon.
Aussi « Les Anges-de-la-lumière »
lancent des énergies de chaleur ;
les djinns de l’air et de la terre
agitent leurs fines ailes.
Les dives farouches
qui habitent les ombres
saluent le bienvenu
et les multiples péris
qui sont de pures beautés
viennent l’effleurer.
Le créateur fait alors grimper
les hauts et rouges pampres
sur les bordures délimitées
et pose les pierres
l’une après l’autre
pour tracer les parterres.
Rostam prend un soin farouche
à consacrer un espace
dans sa création de soie et de laine
pour les futures gazelles ;
il dédie alors trois cartouches
au nom d’Homâyoun.
Dans le vaste fleurage,
diverses calligraphies,
mandorles et rinceaux
prennent place.
Dragons et phénix joueront
en se cachant habilement
dans les motifs floraux.
De là, part un long chemin
bordé de cèdres bleus pleureurs
que Rostam compte un à un
au nombre précis de dix.
Ceux-ci s’étirent et se gonflent
pour approcher la densité du ciel.
De leur haut panache cendré,
sortent des gerbes vert-de-gris.
L’homme descend de sa monture,
tout en gardant précieusement
le cylindre dans la main.
C’est alors qu’il se présente
à l’entrée du premier carré.
Retentit soudain le son lancé
de l’intérieur sombre
de la Tour de l’horloge solaire,
annonçant sa venue.
Au sommet aveuglé,
vingt-quatre branches
dessinent à partir du pourtour
une gigantesque étoile.
Le son émis de l’intérieur
monte et se diffuse
dans un écho sourd ;
la terre gronde et se secoue.