|
La porte du jardin de l’est
est gardée par un monstre ;
aussi, Omid le passeur
le connaît et conseille
tout digne visiteur.
– Là se trouve le dragon
qui vole et qui rampe ;
il a l’œil aux aguets
et sa queue gigantesque
est garnie de flèches.
Des iris dentelés
l’encerclent de façon serrée,
et l’on ne peut
que distances garder.
– Tu fais bien de me préparer ;
aussi, je vais lui parler.
Rostam s’adresse doucement
à la bête qui est dressée,
lui expliquant précisément
la mission qu’il a à remplir :
celle qui est de remettre
un Sceau-cylindre au Vizir.
– Regarde, grande hydre,
le présent pour le Vizir.
Je t’implore de me laisser
entrer dans le domaine sacré.
Le dragon se dresse sur ses pattes,
sort sa langue qui sillonne le ciel,
puis se recouche par vagues
posant la tête sur le sol,
signe qu’il le laisse passer.
C’est alors que dans
le surnaturel et tournant
passage des nuages,
la lumière rose de l’aube
vient caresser le portail
du carré matérialisé.
Rostam avance lestement
jusqu’aux arcades blanches
tandis que les chardonnerets
chantent et prennent leur envol
dans l’azur du ciel éclairé.
Entre les narcisses
et le jasmin blanc
apparaît Azâdeh
qui vient déposer
son voile de mousseline
près de la source irisée
à laquelle le méditant
vient souvent, en soirée,
boire quelques gorgées.
Là, règne Azâdeh, la libre.
Elle se lave avec le suc
des fleurs de jasmin
et tresse ses cheveux
en y plaçant délicatement
des perles de musc
et des éclats de turquoise.
Elle porte des galons d’argent
à ses divers vêtements
et de lourds grelots d’étain
aux chevilles et aux mains.
D’étoiles son bonnet est semé.
D’or, ses caleçons bouffants
sont soigneusement pailletés.
Azâdeh est la messagère ;
elle prononce ou chante
des mots d’amour liés
au langage des épices
comme celui évoqué
de la cardamome fendue
ou des bâtons de cannelle
parfumés ou enlacés.
Quand elle a rangé le khôl
dans les étuis odorants,
et redessiné la ligne pure
de ses sourcils joints ;
elle ordonne par tons
les fioles colorées
et se perd en songes
dans « le pavillon aux flacons ».
Elle y dépose savamment
les tourterelles vernissées
aux teintes de cornaline,
d’ambre ou de jade,
et polit les surfaces opalines
d’autres oiseaux cristallisés.
Si Azâdeh très raffinée
fait chanter les teintes,
elle sait aussi par ailleurs
nouer les divers sorts ;
elle colore de garance
sa petite bouche,
chausse ses babouches
couleur de pleine lune,
et part à la conquête
de ses diverses amours.
Tendant distraitement l’oreille
et jouant comme une enfant
avec les clapotis des fontaines ;
elle distribue aux élus de son cœur
de multiples symboles de fleurs.
Allume-t-elle
la bûche de santal ?
ou offre-t-elle
le bâton de cannelle ?
Dépose-t-elle
une fleur d’oranger ?
ou lance-t-elle
un clou de girofle doré ?
Mais Azâdeh est joueuse
et s’éclipse vite,
laissant Rostam
à la divination des signes.
Absorbé et séduit,
il veut la croire ;
il la regarde avec curiosité
longer les interminables murs
couverts de mosaïques en miroirs.
La belle se déplace avec grâce
et dispose avec art
les candélabres de cristal
qui ouvriront la voie royale.
Alors, elle orne en chantant
la souple litière de roses
et tire les tentures amarantes
sur les percées en ogive
pour dissimuler savamment
la future et élégante amante.
Déjà les flambeaux envoient
une lumière tremblante
sur les arches lancéolées.
Le cœur de l’homme
se met à battre d’émotion.
Il sent la fraîcheur
du « ravisseur des vents »
et profite du canal obscur,
profond et caché,
qui livre à cette heure,
le souffle d’air frais
montant soudain
du sous-sol carrelé.
La messagère s’empare
du lourd plateau
aux émaux bleus
sur fond d’albâtre
et le garnit de coings
et de grenades.
– Prends le fruit que tu désires,
dit-elle en clignant des yeux.
– J’opte pour la grenade
qui éclate, pour t’en faire
un collier sucré et carminé.
Des chuchotements d’amour
et des syllabes lointaines
chantent les villes avec passion.
Sur les parties nommées du corps,
susurrées avec émotion,
viennent se poser en accompagnement,
mille sons aux douces vibrations.
Rostam est dans les délices
et oublie le temps ;
à peine entend-il Omid
qui se met à crier.
Sa voix module des sons
de telle façon que Rostam
se dresse, sortant du songe.
Les stridulations soudaines
déchirent l’espace
où le miel ensoleillé
et la liqueur d’orange
s’étaient alliés
pour créer ensemble
un tournoiement
de fragrance dense.
De curieuses oscillations
pourfendent son cœur
et l’émoi fait naître les pleurs
au bord de ses yeux.
Ainsi son âme se dilate
jusqu’à l’infini de son être.
D’une voix tremblante,
il demande :
– Qui crie ainsi ?
– C’est Omid qui t’appelle.
– Le passeur !... Le passeur !
Que le temps passe vite !
Belle Azâdeh, je dois te quitter.
– Oui... va... suis ton désir,
tu ne dois pas faire attendre le Vizir.
– Est-il loin le Vizir ?
Je suis perdu ; aide-moi.
– Non ; le pavillon d’à-côté,
Omid va t’accompagner.