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Voici que Nastaram
entre discrètement en jeu
dans la troisième case ;
elle se présente vêtue
d’une longue tunique ivoire
assortie d’une coiffe pointue
et d’une écharpe légère
couleur de l’arc-en-ciel.
Quand son corselet de fin velours
fut ajusté devant le miroir,
son regard se perdit au loin,
vers la chaîne enneigée d’Elbourz.
pour revenir au pavillon
de la prison dorée où vit la cour.
A toute heure du jour ou de la nuit,
elle explore le bout du jardin,
rêvant de l’autre côté du tapis.
Aussi s’interroge-t-elle :
« Comment est-ce là-bas ?
La vie s’arrête-t-elle à la bordure ?
Peut-elle en faire le tour
et marcher le long de la marge ?
Est-elle sur un vaisseau
traversant les espaces ?
Sa vie, se résume-t-elle
à un inconcevable voyage ? »
Quand Rostam se présente,
serein à l’entrée du carré,
le phénix comme à son habitude,
est en train de planer.
Puis, de son point en altitude,
il descend brusquement
et se place devant lui,
lui interdisant d’avancer.
– Simorgh, vénéré,
j’étais venu remettre
un Sceau-cylindre
au majestueux Homâyoun.
Il a bien reçu mon offre
et maintenant je repars
vers ma lointaine contrée.
Sur ce, le phénix s’étire et tire
une plume de son corps ondulé,
une longue rémige orangée,
qu’il tend au voyageur effaré.
– A partir de maintenant,
voici ton laissez-passer ;
tu n’auras plus besoin
de te justifier.
– Ô magnifique
Simorgh,
je te remercie ;
cette plume me ravit
le cœur et l’esprit.
– Va, mais je te suivrai.
Et l’oiseau prend
son sublime envol
vers un ciel lavande
frangé d’argent.
Le jardin du sud
est offert au soleil ;
Nastaram en sillonne
toutes les allées,
taillant les rosiers
et comptant aussi
les chardonnerets.
Elle est en quête
de la sortie du labyrinthe,
dont la porte secrète,
entre plantes et fleurs,
à la vue, est dissimulée.
Rostam se tient debout
et la regarde passer.
Immobile, il la contemple.
Aussi, dès qu’elle l’aperçoit,
elle saisit un plateau
ou « jardin du ciel »
garni de fines fleurs de bambou,
y dépose son fruit vermeil
et s’approche à petits pas doux
pour lui présenter ou
bien l’échanger.
Nastaram saisit le fruit
avec délicatesse
et Rostam en fait de même.
– Je vous remercie pour votre geste,
j’aime ce fruit, dit-elle.
Je vous invite à vous asseoir,
et regarder dans l’écoinçon.
Il y a une surprise.
– Sur le plateau ?
– Ici et ailleurs.
– Je vois un derviche,
va-t-il danser ?
– Oui, je pense...
on dirait qu’il s’approche ;
il tient dans ses mains
un petit tapis rouge.
– Quelle chance !
– Mettez-vous à l’abri
dans ce petit pavillon ouvert,
vous y serez à l’ombre douce
sous les tentures vertes.
Alors Dastan,
le derviche tourneur,
revêtu simplement
de sa longue
et blanche tunique,
entre en scène.
Il avance en frôlant le sol,
en direction du bord de la marge,
puis revient en glissant,
portant avec grâce
sa toque cylindrique.
Il dépose avec révérence
son tapis écarlate à ses pieds,
signe qu’il va danser,
composant ainsi
une mise en abîme
dans les tapis cramoisis.
Il fait trois tournoiements
et attend la flûte de pan.
Dès les premiers sons,
il amorce les rotations,
faisant se succéder les voltes
en une danse séculaire
qui hypnotise le parterre.
Inclinée, sa tête est restée,
telle une toupie, il pivote ;
une main dressée vers le ciel
et l’autre dirigée vers la terre.
Sa danse est prière ;
il lie les mondes et les espaces,
les herbes et les arbres.
Son environnement est respecté,
toutes les lignes convergent
et s’enlacent en une nuée.
N’est-il pas un être volant
sur un tapis invisible ?
N’est-il pas un être venu d’ailleurs
parcourant les galaxies
sur un jardin flottant ?
N’est-il pas celui
qui, en lévitation
survole le monde ?
Dastan trace tour à tour
des ondulations et des spirales,
exécute des cercles entre des miroirs
qui eux-mêmes se renvoient des rosaces.
Dastan tourne, tourne, tourne...
sa voie se manifeste et se crée.
A une étoile relié
et à la terre ancré ;
il transcende les vocalises,
pour descendre et monter
par son chemin ailé.
Aujourd’hui un Eden
fait de multiples images
se trace et se tisse.
La vie se matérialise
dans le velours,
la soie ou la laine ;
elle est tantôt trame,
tantôt chaîne.
Les diverses scènes s’animent,
les tableaux sortent peu à peu
d’un long engourdissement.
Une guirlande de minéraux
et de souples végétaux
participe à la ronde
pour honorer le maître.
Un joueur de luth
assis sur un coussin vert
se concentre
dans le silence ;
il se prépare à jouer
et ajuste les cordes
de son cœur
qui se met à vibrer.
Il connaît l’âme élevée
des derviches du palais
où l’on chante la force
et l’amour de la paix.
La danse se finit,
les amis échangent
un long regard ému
troublé de perles de larmes
où flottent des mirages.
– Merci Nastaram,
Je suis enchanté.
–Va, Omid t’attend
pour la suite
de ton épopée.