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Sous la flamboyante lumière du soleil d’Orient,
cette coupole recrée
dans le kaléidoscope
de l’imagination, l’œil de gazelle de la houri,
le corps ocellé de la divinité,
le plumage de l’oiseau
au poing du Grand Khan,
et c’est encore
le béton.
Max Gérard
Iran Senat Heydar Ghiaï, Editions Draeger, 1976
Grand architecte iranien du début du XXème siècle, Heydar Ghiaï-Shâmlou est présenté comme un des pères de l’architecture moderne en Iran. Lors de la construction du Sénat, à Téhéran, dont il a eu la charge, l’architecte iranien a fait appel à un établissement parisien, le cabinet Dindeleux, pour la réalisation de sa coupole. Il s’agit d’une coupole en béton translucide. Cette coopération irano-française autour du Palais du Sénat de Téhéran est loin d’être un cas isolé. Elle est au contraire significative de l’effervescence des relations qui ont existé dès le début du XXème siècle entre la France et l’Iran en matière d’architecture. L’édification de la coupole du Palais du Sénat dans les années cinquante représente l’interprétation moderne de l’art safavide dans l’architecture de l’Iran.
Après avoir étudié à l’Université des Beaux-Arts de Téhéran, Ghiai-Shâmlou s’est inscrit à l’école de la rue Bonaparte à Paris, les célèbres Beaux-Arts du très chic 6ème arrondissement de la capitale. Au cours des années 20, bon nombre d’architectes iraniens sont venus étudier à Paris, repartant ensuite en Iran avec des idées de création s’inspirant des traditions occidentales. De cette osmose architecturale entre l’Iran et la France sont nées plusieurs réalisations que l’on retrouve à Téhéran aujourd’hui. Citons la célèbre tour Azâdi de Téhéran qui s’appelait alors « Shâhyâd » et dont l’architecture du monument central est inspirée de la Grande Arche de Paris, mais qui conserve des motifs islamiques.
Le Palais du Sénat de Téhéran, quant à lui, affirme la volonté des architectes de développer une architecture franchement contemporaine mettant en œuvre des techniques modernes. Comme le mentionnait dans ses archives Maurice Rousset, directeur du cabinet Dindeleux, dont les descendants, Jacques et Louis Téqui, respectivement architectes à Troyes et à Paris, nous ont fait parvenir les documents,
la pensée et les techniques françaises sont particulièrement appréciées en Iran puisque ce sont des artistes et des constructeurs français qui ont été appelés pour la réalisation du Palais du Sénat de 1953 à 1956. Imprégnés des enseignements de la grande école de la rue Bonaparte à Paris, les architectes Mohsen Foroughi, disciple d’André Godard [1], et Heydar Ghiaï, diplômé D.P.L.G [2] en 1952 dans l’Atelier Pontremoli et Leconte, signeront une œuvre magistrale de leur génie. « Les jeux de l’ombre et de la lumière tracent une écriture vieille comme le soleil, message du début des temps qui trouve les aubaines du plaisir visuel », écrira Max Gérard. [3]
Les établissements Dindeleux établis au 7 rue Lacuée dans le 12ème arrondissement de Paris furent chargés de la construction de la fameuse coupole en béton translucide, sous la direction de Maurice Rousset, et avec le concours des ingénieurs-conseils Séchaud et Metz. Ils collaborèrent avec l’entreprise de gros-œuvre Sivand de Téhéran. Celle-ci travaillait régulièrement avec des sociétés françaises, telle que Campenon-Bernard sur le barrage de Sefid-Roud. Le décorateur français Jean Royère (1902-1981) fut en charge des aménagements intérieurs. Celui dont la majeure partie des œuvres sont rassemblées aujourd’hui au musée des Arts décoratifs de Paris avait été le décorateur de plusieurs souverains du Moyen-Orient, dans l’après-guerre. Enfin, c’est à André Bloc que furent confiées d’importantes études relatives à l’intégration des arts plastiques à l’architecture. D’une formation d’ingénieur centralien, André Bloc croisa la route du Corbusier en 1921. Cette rencontre le fit devenir architecte. André Bloc écrira en 1967 à ce sujet : « Je peux dire que c’est la sculpture qui m’a aidé à bien comprendre l’architecture et l’urbanisme. » C’est également le fondateur de la célèbre revue L’Architecture d’Aujourd’hui.
Les quelques pages suivantes sont extraites du n°78 de L’Architecture d’Aujourd’hui et expliquent en détails la réalisation de la coupole en béton translucide du Palais du Sénat de Téhéran.
« En raison des brusques variations de température et de la luminosité intense, il a été décidé de protéger la couverture translucide par une couverture pleine de béton armé de mêmes dimensions que la couverture translucide, mais située à 7,20 mètres au-dessus de celle-ci. Ainsi, la lumière atteint la coupole inférieure uniquement par de larges baies verticales entre les deux coupoles.
Les dimensions de cet ouvrage exigeaient une ossature porteuse qui a été conçue par les Architectes dans l’esprit de l’architecture locale. Les poutres à double courbure sont en projection horizontale des arcs de cercle de 5,00 et 20,30 de rayon. Ce dispositif a permis de couper le hourdis translucide par de nombreux joints de dilation donnant 28 panneaux indépendants.
La partie la plus originale de cette réalisation réside dans le fait que la coupole translucide est, par l’intermédiaire de la résille en béton armé, suspendue à la coupole supérieure. A cet effet, 130 suspentes métalliques relient les arcs de la coupole supérieure à autant de points judicieusement choisis des poutres courbes supportant le hourdis.
Grâce à cette technique, la coupole translucide est totalement indépendante du reste du bâtiment.
Les poussées horizontales créées par la coupole supérieure sont encaissées par des tirants invisibles de la Salle des Séances. »
Laissons le mot de la fin à Jean Cocteau qui pour l’occasion rendit hommage au béton de Maurice Rousset : « L’œil, poisson des grandes profondeurs, pénètre l’âme du béton et lui communique les équilibres gracieux de la pierre. » Jean Cocteau
[1] Archéologue français remarqué notamment pour ses nombreux travaux sur l’archéologie iranienne, André Godard (1881-1965), également architecte, a conçu et dirigé le Musée national d’Iran de Téhéran.
[2] D.P.L.G. : Architecte diplômé par le gouvernement
[3] Max Gérard, écrivain et réalisateur français né en 1925, dans Iran Senat Heydar Ghiaï, Editions Draeger, 1976.