N° 118, septembre 2015

Aperçu sur des salons de thé en Iran


Fâtemeh Ashouri


Les premiers salons de thé (tchâykhâneh en persan) sont apparus à l’époque de la dynastie des Safavides qui régna sur l’Iran de 1501 à 1736, et en particulier sous le règne de Shâh Tahmasp à Qazvin, et de Shâh Abbâs Ier à Ispahan. En réalité, ces lieux étaient souvent appelés maisons de café (ghahvehkhâneh) étant donné qu’on y servait avant tout du café. Le premier salon de thé moderne, où l’on servait à la fois du thé et du café, aurait été ouvert à Téhéran par deux frères allemands venus en Iran dans le but de former des futurs sous-officiers et des hauts gradés de l’armée de l’air à l’époque qâdjâre. Avec le développement de la production de thé en Iran et de sa consommation par les Iraniens, le café passa au second plan. Cependant, on continua à utiliser le nom de maison de café pour désigner les salons de thé. L’époque qâdjâre fut le témoin du développement d’un nombre important de ghahvehkhâneh à Téhéran et dans l’ensemble du pays : pour une population d’environ 250 000 habitants, on comptait alors près de 4500 salons de thé concentrés dans les grandes villes.

Les salons de thé iraniens étaient reconnus pour l’excellence de leurs thés et la diversité de leurs parfums.

Ghahvehkhâneh Youzbâshi à Téhéran

On y servait une grande variété de thés souvent aromatisés au safran, mais aussi des tisanes en feuilles, l’ensemble étant servi dans des petits verres sur des plateaux en métal travaillé, et accompagné de sucre en morceaux (qand), de dattes ou de raisins secs. On pouvait aussi y fumer le narguilé, et y prendre un repas léger. La figure principale du salon de thé était le ghahvehtchi, ou "garçon de café" qui préparait et servait le thé. Ce thé était préparé dans le respect de la tradition, avec un samovar. Les salons de thé se caractérisaient également pour leur ambiance calme, feutrée et chaleureuse, et leur mobilier ancien. Les murs étaient souvent ornés de vieilles photos, de peintures notamment sur verre représentant des grands personnages du chiisme, des Imâms ou des héros de la littérature persane, et notamment du Shâhnâmeh (Livre des rois) de Ferdowsi. Ces lieux ont d’ailleurs donné leur nom à un style d’art à part entière, appelé le naqqâshi ghahvehkhâneh ("peinture de maison de café"). Ils étaient donc un lieu de production d’art et de culture : outre la peinture, on y jouait des pièces de théâtre aux accents souvent religieux, on y déclamait des poèmes abordant les thèmes de l’amour ou de la mort, ou encore des classiques de la littérature persane (naqqâli), et on y jouait de la musique traditionnelle. Les salons de thé se trouvaient avant tout dans les villes ou sur les routes reliant des villes importantes, qui étaient des lieux de repos pour les voyageurs. Ils constituaient un haut lieu de la vie sociale et parfois politique, où les gens se retrouvaient et discutaient des sujets de société de l’époque. On y venait donc avant tout pour se voir et discuter, et se tenir au courant de l’actualité. Ces salons constituaient ainsi un véritable forum de discussion, et certains étaient parfois observés de près par les autorités.

Ghahvehkhâneh Azari, Téhéran

C’est également un lieu où se transmettaient la tradition et une certaine morale religieuse, notamment au travers de pièces de théâtre retraçant les grands événements du chiisme ou faisant la louange des Imâms. On y commémorait également leur naissance et leur mort, notamment au moment de Ashourâ, jour du martyre de l’Imâm Hossein. Ces salons se sont souvent transformés en lieux de contestation politique à l’époque pahlavi. Ils constituent donc des endroits particulièrement intéressants pour les historiens, les anthropologues et les sociologues.

A l’heure actuelle, leur nombre a considérablement baissé en Iran, mais il subsiste encore des maisons de thé traditionnelles avec des décors d’antan. Si elles ont perdu le rôle social, religieux ou politique qu’elles ont pu avoir aux époques qâdjâre et pahlavi, elles continuent à jouer un rôle dans la préservation de la culture et des traditions iraniennes.

Bibliographie :
- Malekiân, Akbar, "Ghahvehkhâneh dar Irân" (Les salons de thé en Iran) Majalleh Farhang va zendegi.
- Alipour, Hossein, "Tchâykhâneh-hâye sonnati" (Les salons de thé traditionnels), Shoma, no. 4248, Bahman 1380.
- "Motâle’eh dar mored-e ghahvehkhâneh" (Etude sur les salons de thé), www.vista.ir
- "Târikhtcheh-ye ghahvehkhâneh" (Historique des salons de thé), http://www.irandeserts.com


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