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Le mot tazhîb vient du mot arabe "zhahab" qui signifie : "enduire d’or, dorer ou orner d’or des livres, calligraphies, marges des miniatures et en particulier, les marges des sourates et des versets Coraniques." [1] On a également définit le tazhîb de la façon suivante : "lorsqu’un artiste orne d’or des livres et ouvrages constitués de pièces rapportées (moraqqa’t), on l’appelle l’art du tazhîb".
Le tazhîb ou la peinture dorée fait partie des arts décoratifs que l’on trouve surtout dans les motifs de tapis et de céramiques. Les motifs les plus fins sont utilisés pour orner les livres, les manuscrits et les marges des peintures.
La peinture traditionnelle iranienne est un art très ancien dont on peut retrouver les traces dans les cavernes et les rocher de Dusheh, Hamyâneh et Mirmilâs situés dans le Lorestân, dont les dessins remontent à des millénaires avant la naissance de Jésus-Christ. Mais c’est certainement à l’époque sassanide et dans les œuvres de Mânî [2], peintre enlumineur très célèbre de cette époque, que la peinture iranienne devint un art bien défini selon des critères précis. Les arts figuratifs des manichéens comprenaient la peinture, la fresque, la peinture sur le cuir et la soie, la calligraphie et l’enluminure (le tazhîb) des livres de miniatures. On a retrouvé une partie des œuvres de Mânî dans la ville chinoise de Tourfan. Les œuvres découvertes à Tourfan confirment le fait qu’il faut considérer l’Iran comme étant le pays d’origine de l’enluminure, bien que certains chercheurs situent ses origines en Egypte, en Chine, au Japon ou dans quelques autres pays orientaux (ce qui, au vu des documents historiques dont nous disposons, ne peut pas être vrai). Après l’apparition de cet art en Iran, il se diffusa dans d’autres pays si bien que les chrétiens utilisaient également cet art pour orner les livres religieux ainsi que d’autres livres de valeur.
Durant les premiers siècles après l’apparition de l’Islam, le tazhîb consistait en de simples dessins géométriques que l’on réalisait normalement aux premières et aux dernières pages du Coran. En tête des sourates, on dessinait souvent de simples figures décoratives qui consistaient en un torange autour du titre des sourates. Le titre et le nombre de versets de chaque sourate étaient inscrits en lettres dorées, tandis que la vocalisation (e’râb) s’effectuait avec la couleur de cinabre [3]. Avec l’apparition des saffarides et des samanides - dynasties ayant régné après l’apparition de l’Islam en Iran-, les beaux-arts connurent un renouveau et l’attention portée à la peinture, le tazhîb et le tash’îr [4] contribua au développement de ces arts. Les plus beaux Corans enluminés furent réalisés entre le IVe et le VIe siècle de l’Hégire lunaire (Xe et XIIe siècle de l’ère chrétienne). Parmi les œuvres les plus remarquables de l’époque seldjoukide, on peut mentionner un Coran qui fait partie des plus anciens manuscrits enluminés. Actuellement, ce Coran calligraphié par Mohammad ibn ’Issâ ibn ’Alî Nîshâbourî est considéré comme un trésor de l’art islamique.
Le tazhîb continua à se développer pendant l’époque seldjoukide. Au VIIe et au VIIIe siècle, en particulier à l’époque timouride, cet art ainsi que la calligraphie et la miniature connurent une importante diffusion et servaient avant tout à l’illustration des livres. Jusqu’à la fin de l’époque safavide, ses techniques s’affinèrent davantage jusqu’à ce qu’il devint un art décoratif à part entière.
Des experts considèrent la création de l’école de Herât comme la raison principale de la prospérité et de la splendeur des arts de la calligraphie, du tazhîb et de la miniature) durant l’époque timouride (du Xe au XIe siècle de l’Hégire lunaire). L’école de Herât fut fondée durant cette période par Baysonqor Mirazâ, lui-même calligraphe et enlumineur, ainsi que quelques autres grands artistes tels que Kamâl-el-Dîn Behzâd.
A l’époque safavide, la taille des enluminures ainsi que leurs formes eurent tendance à diminuer et on utilisa désormais le doré, le noir et le bleu comme couleurs du fond principal du dessin. Le blanc et le jaune furent également utilisés de façon croissante dans la tazhîb le nombre des motifs augmenta. A cette époque, étant donné l’importance accordée à la calligraphie et au tazhîb du Coran, Ispahan devint le foyer principal de ces arts, donnant ainsi naissance à l’école d’Ispahan.
A l’époque afsharide, l’art de tazhîb ne se développa pas beaucoup du fait de la situation politique et des conditions particulières qui régnaient à l’époque. Cependant, avec l’avènement de la dynastie Zand, et du fait de l’évolution de la tuilerie et de l’architecture, le tazhîb connut un certain renouveau, marqué notamment par la présence croissante du blanc et du jaune comme couleurs de fond principales.
L’époque Qâdjâre fut une période pauvre dans le domaine des beaux-arts, marquée avant tout par des imitations incorrectes d’œuvres occidentales. On peut classer les œuvres de cette période en deux catégories : 1. Celles qui imitent le style occidental 2. Celles réalisées selon un style traditionnel.
En somme, au IVe siècle de l’Hégire lunaire, le tazhîb en Iran était simple et sans ornement, aux Ve et au VIe siècles, cohérent, au VIIIe siècle, somptueux et au IXe et Xe siècles, luxueux, délicat et riche. On peut situer l’apogée du tazhîb au Xe et au XIe siècles, lorsque les motifs islîmîs et jatâî furent introduits, jusqu’au XIVe siècle de l’Hégire lunaire.
A l’époque sassanide et achéménide, les éléments de la nature et les formes végétales simplifiées constituaient les motifs de base des figures décoratives. Les principes concernant la pratique et l’emploi des motifs islîmîs (arabesque) et khatâï [5], bien qu’ils subirent certains changements, sont pour l’essentiel restés les mêmes au cours des siècles.
Le tazhîb représente la nature et les motifs islîmîs servent de base à cet art. A l’époque hellénistique, les motifs islîmîs consistaient seulement en représentations de motifs végétaux répétitifs, mais l’artiste musulman, en y introduisant les fruits de son imagination et son innovation, a varié leurs tailles ainsi que leurs formes. La règle la plus importante qu’il respectait était l’opposition des ramures et des feuillages et le prolongement de la tige. Il a donné aux motifs islîmîs des formes simples ou compliquées mais toujours symétriques et souvent abstraites [6].
Les motifs les plus employés dans le tazhîb sont le lachak [7], le torange et le shamseh [8]. Les motifs du torange et du shamseh témoignent d’une structure modérée et bien équilibrée, se joignant parfaitement aux courbes délicates et harmonisées autour du centre du cercle. Ces courbes et ronds permettent au dessin de s’équilibrer, créant à leur tour une impression d’harmonie et d’équilibre chez le spectateur. La dimension intérieure de cette peinture fait également référence au monothéisme.
La symétrie est un élément central présent dans la plupart des arts traditionnels iraniens. Dans le domaine du tazhîb, elle est appelé "vaguireh ". Par exemple, pour réaliser un motif shamseh, on divise un ovale en quatre parties. On peint une partie pour ensuite peindre les autres en suivant la même technique.
Les couleurs que l’on employait jadis pour faire des enluminures étaient le lapis-lazuli (pour créer la couleur bleue), le cinabre, le mercure, l’orpiment (zarnix : un jaune éclatant), la malachite (pour la couleur verte), la rouille, le laiton (orange), la céruse, le blanc d’étain, la gomme arabique et la dorure. Selon la valeur et la plus ou moins grande facilité d’accès à ces matières, on les remplaçait parfois par d’autres matériaux. "La couleur or était la plus utilisée. Dans la pensée mystique, l’or est le symbole de l’élévation morale et intellectuelle, il symbolise l’or de l’esprit qui s’oppose au cuivre de l’âme charnelle (nafs)" [9].
Sans doute l’ornement en or des motifs de tazhîb, la présence de versets écrits en lettres d’or dans les Corans transcrits à l’époque de Behzâd et l’utilisation de l’or pour écrire le nom de Dieu dans la plupart des Corans manuscrits des époques précédant celle de Behzâd proviennent de son importance symbolique dans la mystique.
Les anciens miniaturistes et enlumineurs iraniens maîtrisaient parfaitement la combinaison des couleurs qui se combinaient harmonieusement dans l’ensemble de l’œuvre ; aucune d’entres elles, de par sa qualité ou sa quantité, n’effaçait la splendeur des autres.
L’art du tazhîb est proche de celui de la miniature mais la relation entre ces deux arts n’a pas encore été étudiée en détail en Iran. La miniature est l’art iranien le plus important après la calligraphie et le tazhîb. On utilisait le tazhîb et la miniature pour orner et illustrer des manuscrits (souvent ceux du Shâhnâmeh et des recueils de poèmes). L’utilisation de ces deux arts pour l’illustration et la décoration des livres et des manuscrits était très importante et au cours de l’histoire iranienne, chaque dynastie tenta de se démarquer de par sa volonté de créer les œuvres les plus sublimes et éternelles.
Par conséquent, c’est surtout grâce à l’illustration de livres souvent littéraires que le tazhîb et la miniature se développèrent. Une brève étude de cet art en Iran, nous montre combien l’étroitesse des liens qu’il a entretenus avec la littérature a influencé son développement, ses motifs et ses perfectionnements.
Outre l’illustration des livres et des manuscrits, on utilisait le tazhîb pour orner les vêtements, les bâtiments, les tuiles, etc. Les vêtements des cavaliers à bottes hautes étaient ornés de motifs floraux, leurs cols étaient ornés de motifs islîmîs ainsi que de motifs floraux. De même, on retrouvait ces motifs dans les décorations des bâtiments ou des selles et des galons des chevaux royaux.
Aujourd’hui, l’art du tazhîb est surtout présent dans les œuvres de calligraphie, les motifs de tapis, certains bâtiments (en particulier les édifices religieux tels que les mosquées) et dans les livres de valeur.
La peinture iranienne témoigne d’une grande habilité artistique dans le domaine pictural, notamment au travers de la création de formes raffinées, d’une grande harmonie des couleurs, de leur combinaisons fortes et audacieuses ainsi que de la cohérence et l’harmonie totale des éléments picturaux ; tout ceci concourrant à la création d’œuvres splendides que le spectateur de toute époque ne se lassera pas d’admirer.
[1] Cf. Hossein Yâvarî, Tajâllî-e nour dar honarhâye sonnatî-e Irân, Tchâp-e soureh.
[2] Mânî : penseur et pacificateur iranien (215 de l’ère chrétienne), les anciens l’ont présenté comme un peintre très habile qui a illustré le livre d’Arjang. Il était également le messager d’une nouvelle doctrine.
[3] Shanjarf : un rouge fait à la main.
[4] Tashïr : une des branches de tazhîb. Comme son nom indique (tash’îr vient du mot she’r qui veut dire la poésie), il est très délicat et poétique.
[5] Jataï (khataï) : il est utilisé en face, à côté ou avec les motifs islîmîs. Selon un grand nombre d’experts, ces figures végétales abstraites viennent de l’époque sassanide. Ces motifs comme ceux de l’islîmî sont inspirés des tiges et des ramures fines des plantes et ils sont ornés de feuilles et de fleurs.
[6] Rouïne Pâkpaseh, L’Encyclopédie d’art, Shabak.
[7] Un angle que l’on utilise dans les motifs islîmîs et parfois dans les motifs jatâïs.
[8] Motif décoratif en forme de soleil.
[9] Cf. l’article "Kamâl afarînihâyeh Behzâd", par le Dr. Mohammad Mehdî Harâtî.