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Première biennale
des photographes du monde arabe
contemporain, Paris
(Du 11 novembre 2015 au 17 janvier 2016
Lieux de l’exposition : Institut du Monde Arabe, Maison Européenne de la Photographie, Mairie du quatrième arrondissement de Paris, Cité Internationale des Arts, Galerie Photo 12, Galerie Binôme, Galerie Basia Embiricos, Graine de photographie.com
Créer une biennale des photographes du monde arabe contemporain va de soi, notamment compte-tenu de l’existence et des missions de l’Institut du Monde Arabe, mais également compte-tenu des relations culturelles historiques (et coloniales) entre un certain nombre de pays arabes et la France. Parmi ces relations culturelles, il y a lieu de citer la pratique de la langue française et celle des études artistiques telles qu’elles ont été élaborées dans beaucoup de ces pays, en relation avec les établissements supérieurs, écoles d’art ou universités de France. Par exemple, depuis des décennies, c’est une grande université parisienne qui, à Tunis, encadre les diplômes artistiques et contribue à les décerner. Evidemment, la photographie et les différents arts visuels contemporains sont au programme des enseignements artistiques. En dehors du fait post colonial, beaucoup de pays arabes représentés dans cette biennale ont adopté des modalités et des contenus d’enseignements artistiques supérieurs proches de ceux de la France : souci de modernisation de ces enseignements, souci de sortir d’un art se confondant avec les artisanats traditionnels et peu ou prou tournés vers le passé. Non point que cet art-artisanat traditionnel ne soit pas de grande qualité en termes de savoir-faire et d’esthétique, mais la mondialisation, les migrations, le tourisme, le Web et l’hyper capitalisme ont changé la donne. Et le temps réel s’est imposé en son impérative immédiateté.
Cette exposition se donne comme étant initiée par Jack Lang, le très fameux ancien ministre de la Culture et président de l’Institut du Monde Arabe. Ce dernier établissement conduit une politique d’activités culturelles et artistiques intenses et multidisciplinaires, et on peut rappeler les articles publiés dans La Revue de Téhéran sur deux expositions, l’une consacrée au Hadj (n°106) et l’autre à l’Art contemporain marocain (n°109). La dispersion spatiale, dans pas moins de huit lieux différents pose évidemment problème et il est fort probable que peu de visiteurs effectueront le parcours complet, sauf peut-être certains d’entre eux particulièrement intéressés par cette photo du monde arabe. En outre, il n’y a pas de billet d’entrée commun aux deux principaux lieux que sont l’Institut du Monde Arabe et la Maison Européenne de la Photographie, ceci alors que le prix des entrées aux expositions institutionnelles est terriblement trop élevé à Paris. Et, il faut le dire, cette biennale qui se cherche encore une identité, ne peut rivaliser avec ces grandes et exceptionnelles manifestations comme la Biennale de Venise ou la Dokumenta de Kassel, où le visiteur reste volontiers plusieurs jours, tant il y a à voir et à découvrir d’œuvres innovantes et de qualité remarquable.
Et pourquoi pas également la photo iranienne, m’ont demandé plusieurs Iraniens de Téhéran mais aussi de Paris. C’est que d’une part l’Iran n’est pas du tout un pays arabe et que d’autre part, la photo iranienne est une photo de très haut niveau déjà et maintes fois montrée en France, notamment au Musée du Quai Branly et à La Monnaie de Paris, mais aussi, cette année même à Photoquai, une exposition désormais bien connue, dispersée en plusieurs lieux de la ville. La même question, au sujet de la place de l’Iran, m’avait été posée lors de l’ouverture du département des Arts de l’Islam, au Louvre, les Iraniens que je côtoyais voulant davantage de présence des arts de l’Islam produits au fil des siècles en Iran.
En fait, à feuilleter le catalogue comme à parcourir les lieux où se tient cette biennale, on constate que ces « photographes du monde arabe » ne sont pas nécessairement arabes ou s’ils le sont, ils ont migré vers d’autres pays, comme Paris, Londres, Berlin ou New York, ceci tout en photographiant paysages, espaces urbains et personnes du monde arabe. Ainsi y a-t-il dans cette exposition des Français côtoyant des Arabes venus par exemple du Maroc, ce dernier pays étant bien présent dans l’exposition. La raison en est évidente puisque le Maroc est de longue date un pays ami, intime peut-on dire ; les migrations bilatérales temporaires ou définitives, économiques ou touristiques étant nombreuses et le français étant parlé couramment au Maroc. Mais il en va un peu de même avec la Palestine ou le Liban. Cette ouverture au-delà des photographes « purement » arabes est certes positive et permet le croisement de regards nécessairement différents sur le monde contemporain arabe, de regards chargés de questionnements, d’étonnements, de constats, d’émerveillements propres à chacun œuvrant derrière les objectifs et la mécanique photographiques, derrière la machine à piéger l’instant déjà aboli et pourtant quelquefois éternel.
Cette diversité des origines des uns et des autres, comme celle de leurs implantations géographiques définitives ou provisoires est le reflet d’une situation contemporaine, celle que nous connaissons bien en France avec le multiculturalisme, véritable défi aux nationalismes régressifs.
Le commissaire et les acteurs de la biennale et plus précisément de sa scénographie ont opté pour la création de catégories destinées à plus ou moins thématiser les pratiques photographiques, ce qui facilite une vision d’ensemble, même si ces thématiques tendent toujours peu ou prou à circonscrire le photographe et à l’enfermer dans ce qu’il n’est pas seulement. Ainsi sont retenues des pratiques portant sur « Paysages », « Mondes intérieurs », « Cultures et identités » et « Printemps », ce qui occasionnellement peut se discuter. Mais si je me rappelle l’exposition sur l’art contemporain marocain, dénuée de ces catégories, elle se présentait comme un parcours plutôt chaotique.
Parcourir cette biennale laisse un désir d’œuvres majeures, de celles qui retiennent le visiteur ou le contraignent à revenir sur ses pas, désireux de les revoir, de s’en imprégner. Œuvres qui marquent l’esprit et la mémoire, travaillent dans le temps et modifient en profondeur la capacité de perception du monde. Par conséquent, cette biennale m’a semblé de qualité moyenne et vaguement monotone, ceci malgré les moyens importants dont elle a disposé pour se mettre en place. Sans connaître les modalités de sélection des photographes, je peux supposer que le monde arabe, sans doute en incluant de nombreux pays ici absents, recèle en lui d’autres photographes à l’œuvre plus pétillante, plus polémique, plus contestataire que ce qui est montré ici et qui certes peut se montrer en France. Mais l’exposition implique des enjeux internationaux avec son épicentre à l’Institut du monde Arabe et peut-être est-ce l’une des raisons qui limite la photo à ce niveau un peu trop acceptable pour tous.
Les uns et les autres photographes présents dans cette biennale montrent à la fois leur monde et leur manière de le voir : échappées sur « Le paysage », loin du circonstanciel, de la guerre civile, du chaos où certains pays sont enlisés, avec par exemple Khalil Nemmaoui ou Maher Attar, paysages d’où ressort une dimension d’intemporalité, ou bien paysages de l’urbanisation de Joe Kesrouani… Paysages de la ville moderne à Dubaï, de Farah Qasimi, paysages de l’obscurité et de l’obscur - ou de l’absence d’espoir- par Yazan Khalili, ceux de la Palestine.
Pour ce qui est appelé « Mondes intérieurs » où il s’agit littéralement de l’espace privé, cet espace est curieusement et le plus souvent dénué d’habitants, comme s’il suffisait à nous parler d’eux par son architecture et son ameublement, c’est le travail d’Emy Kat, celui de Bruno Barbey, ou encore celui de Lamya Gargashavec avec des partis pris très (trop) esthétisants.
« Cultures et identités » est une catégorie plus difficile à reconnaître dans le choix des photographes qui ont été rangés là, peut-être que l’intitulé pose problème et renverrait davantage à une question de nature de société et de modalités de la vie quotidienne : Christian Courrèges scrute bien plus que les habits de prière de certains musulmans. Le travail de Nabil Boutros, égyptien, dégage une force attractive impressionnante avec ses portraits de personnages anonymes : travail photographique très professionnel, simple et puissant en même temps que convaincant.
« Printemps » sonne évidemment ici comme « printemps arabe » et tel est le cas de cette catégorie : Place Tahrir vue par Pauline Beugnes, ou avec Massimo Berruti, vues du temps qui ne se compte, celui de Gaza, de cette guerre qui ne veut finir en Palestine. Mieux encore, pour que le niveau de cette biennale se hausse, Samuel Gratacap avec la série « Les naufragés » et ces migrants africains en attente dans la prison de Zaouia, en Lybie ; le format géant ajoute au titre bouleversant mais usé dans sa réitération, l’expressivité des images. Ayant récemment vu l’exposition Photoquai, version 2015, où les tirages sont à la dimension de la ville contemporaine et exposés comme ici avec Gratacap, dans l’espace urbain, je crois qu’il y a fort à réfléchir sur l’exposition contemporaine de photos, sur ce que la photo désormais peut-être, sur les moyens de lui donner une présence médiatique l’éloignant de l’objet unique et précieux, sur un choix pertinent et peut-être davantage limité au meilleur. On a bien constaté à quel point la photo exposée en extérieur, dans le métro, sur les grilles du Jardin du Luxembourg est disqualifiée en tant qu’art pour devenir simple image d’usage courant.
L’un des points positifs que je retiendrai de cette biennale est qu’elle semble se situer hors marché donc hors spéculation, hors vedettariat, hors fabrication arbitraire de noms par des institutions en connivence avec le pouvoir d’argent.
Le catalogue est un outil de travail et d’approche pertinent orienté vers le public, ce qui n’est pas toujours le cas des catalogues.