N° 123, février 2016

Les calligraphes et la calligraphie


Habibollah Fazâ’eli*
Traduction et adaptation :

Fâtemeh A. M. Tehrâni, Kyârach Madjidi


La calligraphie signifie l’art de bien former les caractères d’écriture en créant de la beauté, et le calligraphe est celui qui s’efforce de faire de l’écriture un art. La compréhension de la calligraphie en tant qu’art est parfois difficile. On a l’impression que pour comprendre et se réjouir de l’expérience visuelle de la calligraphie, il faut savoir que le calligraphe, en plus d’écrire un texte, vise à produire une œuvre d’art dotée d’une valeur esthétique.

Le terme de « calligraphie » est entré dans le vocabulaire latin dès le XVe siècle, mais il faut attendre le XIXe siècle pour voir son emploi véritablement se répandre. Face à cela, la calligraphie est reconnue en tant qu’art distingué depuis plusieurs siècles dans les pays musulmans et de l’Extrême-Orient. En Europe et à partir de l’époque médiévale, bien que les États et l’Eglise s’intéressent à la calligraphie (comme les épigraphes romaines ou les manuscrits de l’Évangile), cette dernière y fut néanmoins considérée comme un art secondaire réservé aux riches nobles et à leurs bibliothèques.

Calligraphie du Coran par Baysanghor-Mirzâ

Avant l’islam, diverses écritures y compris cunéiforme, pehlevi et zand étaient répandues, mais après l’avènement de l’islam, les Iraniens acceptèrent l’alphabet et les écritures islamiques. La calligraphie est importante pour les musulmans car ils la considèrent comme une figuration de la parole de la révélation. La plupart des transmissions des écritures tant ordinaires que calligraphiques furent le fait des Iraniens. Ces derniers ont porté cet art à son apogée, en inventant de nouveaux styles et de nouveaux outils d’écriture. On retrouve le même phénomène dans les pays alors sous influence iranienne dont les pays de l’Asie Centrale, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde. Ainsi la calligraphie dans cette région fut-elle considérée comme le plus distingué des arts visuels ayant son esthétique spécifique.

Après la conquête de l’Islam en Iran, la calligraphie existe sous différentes formes. Sous le règne des Ilkhanides, l’ornement de manuscrit avec ces calligraphies travaillées accompagnées de dessins décoratifs se répand. Par la suite, sous le règne des Timourides en Iran, la calligraphie atteint un haut niveau de raffinement. Mir-Ali Tabrizi, en combinant le style d’écriture naskh à celui de ta’liq, a créé le style nasta’liq. Le calligraphe le plus célèbre du Coran à cette époque est Baysanghor-Mirzâ.

Tout ce qui existe actuellement comme styles et outils d’écriture calligraphiques en Iran a été inventé plutôt pour illustrer et écrire des textes non-religieux comme les recueils des poèmes, la correspondance administrative, ou encore orner des objets artistiques raffinés. A l’inverse, chez les Arabes et chez les Turcs ottomans, la calligraphie avait un aspect religieux plus marqué.

Écriture shekasteh par le derviche
Abdol-Madjid Tâleqâni

On peut considérer l’écriture ta’liq comme étant la première écriture persane. Cette écriture, également appelée torsol, voit le jour au début du VIIe siècle de l’Hégire et est utilisée pendant près d’un siècle. Le ta’liq est élaboré à partir d’éléments empruntés aux styles naskh et riq’ah, et Khâjeh Tâj Salmâni en définira les règles. ہ partir de l’écriture ta’liq, qui est donc la première écriture formée persane au IXe siècle de l’Hégire, Mir-Ali Tabrizi, en combinant deux écritures naskh et ta’liq, crée une écriture appelée naskhta’liq, qui deviendra ensuite nasta’liq. Cette écriture est très appréciée et est à l’origine d’une grande évolution dans l’art de la calligraphie. Sous le règne de Abbâs Ier le grand, cette écriture arrive à son apogée de beauté, notamment grâce au calligraphe Mir-Emâd Hassani.

En général, on peut considérer la période du IXe siècle jusqu’au XIe siècle de l’Hégire comme les siècles les plus brillants dans le domaine de la calligraphie en Iran. Au milieu du XIe siècle, en modifiant l’écriture nasta’liq, Mortezâ Qoli Khân Shâmlou, gouverneur de Harât, invente le shekasteh nasta’liq (littéralement : « nasta’liq brisé »), écriture purement persane. L’une des raisons de son apparition est qu’elle permet d’écrire plus vite et plus confortablement. Elle fut donc surtout utilisée pour la correspondance. Il en va de même pour l’apparition de l’écriture ta’liq : afin de pouvoir écrire plus vite, les Iraniens créèrent le shekasteh ta’liq (littéralement, « ta’liq brisé »), qui fut porté à sa perfection par le derviche Abd-al-Madjid Tâleqâni. La calligraphie iranienne perd ensuite progressivement sa fonction principale, c’est-à-dire « écrire », pour répondre aux besoins d’une société moderne.

Œuvre de Mirzâ Mohammad Rezâ Kalhor

Mirzâ Mohammad Rezâ Kalhor innove dans ce domaine en produisant de nombreux exemples de calligraphie sur pierre, avec de l’encre visqueuse et indélébile, créant également son propre style. Après Kalhor, Emâdol-Ketâb Seifi Qazvini se consacre à la calligraphie en s’inspirant surtout des œuvres de Kalhor dont il s’emploie à répandre le style. On pourrait considérer Emâdol-Ketâb, comme le dernier maillon de la chaîne des anciens maîtres de calligraphie. Il nous reste de lui Adab al-Mashq (Manières d’entrainement), qui rassemble ses essais de calligraphie.

Mirzâ-Qolâm Rezâ Ispahâni

Au XIIIe siècle de l’Hégire, sous la dynastie qâdjâre, de grands calligraphes apparaissent et contribuent à une plus grande diffusion de cet art. Nous pouvons notamment citer les noms de Abbâs Nouri, Vesâl Shirâzi, Ahmed Shâmlou Mashhadi, Fath’Ali Hejâb, Mir-Hossein Khoshnevis, Assadollâh Shirâzi, Mirzâ-آghâ Khamseyi, Abolfazl Sâvoji, Abdol-Rahim Afsar, Mohammad Hossein Shirâzi, Abdol-Hamid Mâlekol-Kalâmi, Ali Naqi Shirâzi, Mirzâ-Mohammad Tehrâni (Mirzâ Amou), Bahâol-Din Kâteb, Jali Isphahâni, Hassan Khân Shâmlou, Khâjeh Ekhtiâr Monshi, Zeinab Shâhdeh, Seyyed Ahmad Mashhadi, Djavâd Sharifi, Sâheb Ghalam, Abdol-Rashid Deylami, Mahmoud Shahâbi, Ashrafol-Ketâb, Molânâ Yâri, Mirzâ-Ahmad Neirizi, Mir-Ali Heravi, Mir-Moez Kâshâni, Nouri Lâhidji, Mirzâ-Tâher Khoshnevis, Hassan Harissi, آghâ Mirzâ Boyouk Adib, Bakht Shokouhi, Douz Douzani, Mirzâ-Qolâm Rezâ Ispahâni, Mirzâ-Mohammad Rezâ Kalhor, Emadol-Ketâb Seifi Qazvini, Maryam Bânou.

A l’époque contemporaine, plusieurs calligraphes de renom se sont attachés à répandre et raviver l’art du nasta’liq, comme les maîtres Seyyed Hassan Mir Khâni, Seyyed Hossein Mir Khâni, Ali Akbar Kâveh, Ebrâhim Bouzari, Hassan Zarrin Khat, Qolâm Hossein Amir Khâni, Abâsalt Sâdeqi, Abbâs Akhavin, Keykhosro Khoroush, Mohammad Ehssâyi, Fath’Ali Vasheqâni, Hossein Akhzar Mas’oud Tehrâni, et bien d’autres. On pourrait également noter les noms des maîtres comme Yadollâh Kâboli Khânsâri, Rezâ Mosha’sha’i, Mohammad Hossein Attâr-Tchiân dans le domaine shekasteh nasta’liq ou nasta’liq brisé.

Après avoir dressé ce bref historique de la calligraphie en Iran, il convient d’aborder le sujet du style, ainsi que des divers types d’écriture calligraphique. Il est possible de diviser les niveaux de la maîtrise de la calligraphie en six : débutant, intermédiaire, avancé, distingué, excellent, et enfin maître.

Mirzâ Mohammad Rezâ Kalhor

Parmi ceux qui débutent dans ce domaine, rares sont ceux qui parviennent aux derniers niveaux, et un nombre encore plus faible parvient au grade de maître. La passion et un talent exceptionnel peuvent seuls autoriser un tel parcours. Chaque maître à son style personnel, et son écriture se reconnaît par son style au premier coup d’œil averti. En outre, les états psychologiques intérieurs, ou encore certaines caractéristiques physiques du maître, comme la longueur de ses doigts, peuvent influencer son écriture.

Œuvre de Emâdol-Ketâb Seifi Qazvini

Les principaux outils de la calligraphie sont le calame, le plumier, le canif, l’os sur lequel on taille la pointe des plumes, l’encrier, l’outil permettant de mélanger l’encre, le flocon de coton ou de soie que l’on met dans l’encrier, la petite cuillère servant à verser de l’eau dans l’encrier, la pierre romaine ou hedjazienne pour nettoyer le canif, ou encore un petit tamis plat dans lequel on mettait du sable doux. Une fois qu’ils avaient taillé leur calame, les maîtres d’autrefois en frottaient l’arrière afin de le débarrasser de tout gras et l’empêcher de glisser. L’étoffe à deux côtés, en laine ou en soie colorée, servant à nettoyer la pointe taillée du calame fait également partie des outils de la calligraphie.

Seyyed Hassan Mir Khâni

Parmi les principaux styles utilisés en Iran, nous pouvons citer les suivants : l’écriture coufique ; l’écriture muhaqqaq (le reyhâni est une version miniature du muhaqqaq) ; l’écriture thuluth (tawqi’, edjâzah, riq’ah, ghobar) ; le naskh ; le ta’liq ; le riq’ah ; le nasta’liq ; le shekasteh.

Écriture nasta’liq de Seyyed Hassan Mir Khâni, Sirâdj-ol-Kuttâb

Lorsque Koufa devint une grande ville et un centre de l’islam, l’écriture coufique, qui portait auparavant d’autres noms, se répandit et devint célèbre sous le nom de coufique. Cette écriture est à l’origine des écritures islamiques. De nos jours, les calligraphes islamiques calligraphient parfois des volumes ou des manuscrits en se servant de cette écriture et de ses formes. Quant aux styles muhaqqaq et thuluth,les calligraphes qualifient le premier de père des écritures et le second de mère. Ces deux écritures dérivent de l’écriture coufique et leur histoire remonte aux débuts de l’islam. Le style thuluth ("tiers" en arabe) s’appelle ainsi car un tiers de ses mouvements linéaires s’effectue sur une ligne de largeur étroite, tandis que le reste est rotatoire. Le style reyhân est une petite écriture fine inventée pour écrire plus vite et plus facilement. Il a donc toutes les caractéristiques de l’écriture muhaqqaq en ayant des caractères plus petits. Etant donné la finesse et la douceur de cette écriture, on l’a comparée au basilic (reyhân). Plusieurs Corans ont été écrits dans cette écriture qui appartient désormais au passé, et on peut en admirer certains exemplaires dans les musées. De nos jours, l’emploi du muhaqqaq est mineur et celui du thuluth répandu. Dans le passé, le muhaqqaq était utilisé pour écrire de grands Corans ou pour rédiger des textes importants.

En ce qui concerne l’écriture edjazah, littéralement « permission », elle fut répandue par des calligraphes turcs, et est actuellement répandue dans les pays arabes. On l’a ainsi nommée car les maîtres écrivirent les certificats ou permissions de calligraphier de leurs élèves avec cette écriture. Quant à l’écriture ghobâr (poussière), elle nécessite l’utilisation du plus petit calame en vue d’écrire des lettres secrètes et politiques. Elle n’est plus guère utilisée de nos jours. Son nom vient du fait qu’elle était si petite qu’on pouvait la comparer à de la poussière. L’origine de l’écriture naskh remonte au début de l’islam. Ce style a été élaboré sous l’influence de styles tels que le muhaqqaq, le thuluth, et le tawqi’. Le style naskh est l’un des plus employés, surtout pour écrire le Coran.

Œuvre de Mohammad Ehssâyi
Œuvre de Abâsalt Sâdeqi

Le style ta’liq a été inventé pour rédiger des commandes, des ordres ou des lettres. Les secrétaires ottomans l’ont modifiée et gardée comme l’écriture spécifique des rois et des affaires de la cour et l’ont, de ce fait, nommée écriture de la cour ou de la haute majesté. De nos jours, cette écriture est majoritairement utilisée dans les pays arabes pour la rédaction de lettres et de notes. Comme nous l’avons évoqué, le style nasta’liq est issu des écritures naskh et ta’liq. Enfin, le style shekasteh est le mélange des styles ta’liq et nasta’liq et s’utilise pour écrire rapidement des lettres, ordres, brouillons et notes.

L’Association des Calligraphes de l’Iran (andjoman-e khoshnevisân-e Irân) est un organe important de la calligraphie contemporaine en Iran. L’établissement de cette association qui contient en son sein un club, une école spécialisée et organise des réunions artistiques, a insufflé une nouvelle âme à la calligraphie iranienne.

Œuvre de Hassan Zarrin Khat

Elle fut fondée en 1950 avec la collaboration du ministère de la Culture et des Arts de l’époque, et grâce à la volonté de grands maîtres comme Seyyed Hossein Mir-Khâni, du Dr. Mahdi Bayâni, chercheur et enseignant à l’université, et d’autres grands maîtres tels que Ali Akbar Kâveh, Ebrâhim Bouzari et Seyyed Hassan Mir-Khâni. L’Association des Calligraphes de l’Iran est la plus ancienne organisation artistique du pays, et a peu de semblables dans le monde. Elle s’efforce actuellement d’ouvrir d’autres antennes dans plusieurs grandes villes du pays, pour assurer la revivification de cet art en Iran.

* Célèbre calligraphe et chercheur. Ce texte est issu de son ouvrage intitulé Ta’lim-e khatt (Enseignement de la calligraphie).


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