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Téhéran signifie "celui qui habite au fond", car cette ville fut d’abord une cité souterraine. Autrefois, à leur arrivée à Téhéran, les étrangers ne voyaient aucune ville, seulement des platanes, des arbres fruitiers, en particulier des grenadiers, et des potagers. Une grande rivalité existait entre les quartiers, aussi la paranoïa ambiante empêchait-elle la population d’élever du bétail par crainte de se le faire dérober par les voisins. Le niveau de vie de la population était très faible. Cet habitat troglodyte a perduré cinq cents ans. Il existait encore en 1810, occupé par une population miséreuse.
A partir du XIIIe siècle, quelques habitations ont commencé à voir le jour en surface. En 1550, un roi de la dynastie safavide y entreprit la construction de sa résidence de chasse. Les premières murailles encerclant la ville, longues de six kilomètres, furent élevées en 1553. Téhéran n’est devenue capitale de l’Iran que sous la dynastie qâdjâre en 1789.
Au cours de l’histoire de Téhéran, chaque dynastie s’est évertuée à détruire ce qu’avait fait la précédente. C’est ainsi qu’à l’époque moderne, l’architecture qâdjâre fut systématiquement détruite par celle des Pahlavi. Mohammad Rezâ fit abattre, entre autres, les murailles ainsi que les splendides portes qui en permettaient le franchissement. Ajoutant à cela que la population de Téhéran est venue, de tout temps, des différentes contrées d’Iran, voire des pays environnants, la tendance est de dire que Téhéran n’a pas de mémoire. D’autant que, dans les deux dernières décennies du XXe siècle, les vestiges de l’époque impériale ont, à leur tour, peu à peu en partie disparu, au profit d’une construction plus en adéquation avec l’accroissement actuel de la population téhéranaise et l’application des règles qui s’imposent dans cette zone de l’Iran soumise aux risques sismiques.
A sa création en 1969, le code de l’urbanisme de Téhéran imposait l’implantation de toute nouvelle construction au nord de chaque parcelle, 40% de la surface devant être réservés au jardin, obligatoirement situé au sud. Un décret datant du début du XXIe siècle limitait la hauteur des nouveaux bâtiments d’habitation à cinq niveaux puis, au cours de cette dernière décennie, les grandes tours de trente étages se sont multipliées, remplaçant les belles maisons traditionnelles, habitées encore au début du XXIe siècle.1 Actuellement, les quartiers situés près des contreforts de l’Alborz, au nord de la ville de Téhéran ainsi que dans l’Est et l’Ouest de la ville, présentent de vastes chantiers de très hauts immeubles.
Ces dernières années, cependant, on observe, de la part des autorités la volonté de retrouver le passé iranien. Plusieurs exemples de cette volonté peuvent être observés, comme la conservation - hélas un peu tardive - de ces magnifiques édifices de l’époque impériale, dont les plus beaux ont été transformés en musées, les ouvrant ainsi au peuple iranien ; ou encore, mis à la disposition d’administrations ou d’organismes divers. C’est ainsi, par exemple, que les bureaux de l’UNESCO à Téhéran sont installés depuis 2003 dans la maison Bahman, nommée d’après le fils du dernier Shâh qui l’occupait. Elle est l’un des plus beaux bâtiments du superbe parc de Sa’dâbâd. Par ailleurs, ce parc, bien au frais près des montagnes, est parsemé d’une douzaine de constructions datant de l’ère pahlavi, dont le palais d’été du Shâh. D’autres maisons du parc Sa’dâbâd abritent, depuis la Révolution de 1979, différents musées. C’est le cas, entre autres, de la maison Ala’, inspirée de l’architecture qâdjâre, qui appartenait à Hossein Ala’, Premier ministre du dernier Shâh d’Iran, et abrite de nos jours le centre des Belles Lettres ou encore de la maison du Docteur Hesâbi, considéré comme le père de la physique moderne (1903-1992), installée dans le quartier de Tajrish au nord de Téhéran.
L’architecture iranienne contemporaine trouve également sa place dans des réalisations qui utilisent aussi bien les structures métalliques et le béton que la brique et la pierre. Il en est ainsi, par exemple, des œuvres de l’architecte iranien Houshang Seyhoun (1920-2014), bien connu en Occident, qui s’inscrivent dans le courant moderniste traditionnel, combinant des éléments qui empruntent à la fois à l’architecture contemporaine et à l’architecture iranienne traditionnelle. Principalement célèbre à l’international pour ses mausolées de personnages illustres, tels que celui du peintre Kamâl-ol-Molk et du poète Omar Khayyâm à Neyshâbour, de Ferdowsi, auteur du Shâhnâmeh, la grande épopée perse, à Tous, d’Abou Ali Sinâ (Avicenne) à Hamedân, il fut le premier en Iran à faire usage du concept de plan libre, qui utilise des poteaux porteurs à la place de murs portants remplacés par des cloisons, laissant une entière liberté dans la composition des espaces.
L’architecte Hossein Amânat - dont la Tour Âzâdi (Tour de la Liberté), monument emblématique de la ville de Téhéran, fut édifiée en 1971 à l’occasion du 2500e anniversaire de l’Empire perse, mariant styles sassanide et islamique - est également une grande figure de l’architecture moderne en Iran.
La ville de Téhéran doit aussi à l’architecte Kâmrân Dibâ l’édification de plusieurs œuvres remarquables comme le Musée d’Art Contemporain et quelques maisons parmi lesquelles celle de l’artiste Parviz Tanâvoli dans le quartier Niâvarân au nord de Téhéran.
L’ambassade de France est située rue Nofl Le Chato (transcription latine approximative de Neauphle le Château, telle qu’elle apparaît sur le panneau de la rue de Téhéran qui porte le nom de la commune du département français des Yvelines qui accueillit l’Imam Khomeyni lors de son exil en France). Elle fut construite de 1894 à 1896 sur un terrain de 12 000 m2 offert par le Shâh d’Iran, Nâssereddin Shâh Qâdjâr, au gouvernement de la République française, par un firman de concession daté du 24 mars 1891, portant le cachet de l’Emir ol Sultan et de Kawam ol Dowleh et la signature - illisible - du Chancelier, traduit en français par G. Audibert, premier drogman.
Le site de cette ambassade a pour particularité de regrouper en un même lieu les deux bâtiments de l’ambassade et de la résidence de l’ambassadeur et de sa famille. Probablement parce qu’à cette époque où l’eau était rare, le Shâh Nâssereddin avait pris soin de donner à la représentation française un terrain alimenté en eau par un qanât, canal souterrain provenant de la montagne, situé à une profondeur de 90 mètres sous le sol. C’est cette même eau qui est utilisée encore de nos jours pour l’arrosage des jardins de la résidence et de la chancellerie voisine.
L’architecture de cette résidence, constituée d’un appareillage de briques et de poutrelles métalliques, est conçue selon une inspiration néo-Louis XIII. Elle reprend les plans du château de Maremberts, que Monsieur André de Balloy, Ministre de France depuis 1881, s’était fait construire dans la vallée de la Loire. Les plaques métalliques destinées à la toiture furent fabriquées à Bakou en Azerbaïdjan.
Plus tard, des extensions latérales viendront agrandir le bâtiment initial sans toutefois en modifier l’apparence d’origine. La transformation la plus importante fut le transfert de l’entrée officielle au nord et la conversion du vestibule d’honneur à décor persan en salon.
Le décor traditionnel des palais persans apportant sa note d’Orient à la résidence de France, il est unanimement admis que cette construction a acquis, avec le temps, une place de premier plan parmi les belles demeures du ministère français des Affaires étrangères.
Il s’agit pour l’essentiel des belles demeures qâdjâres du XIXe siècle ou du début du XXe, ou encore de l’époque safavide, datant du XVIIe siècle, période durant laquelle le Shâh Abbâs fit d’Ispahan sa capitale. De riches marchands ou des imâms fortunés s’installèrent dans la ville à ces périodes fastes, se faisant édifier de belles maisons de réception.
Une dizaine de ces belles demeures, rénovées ou en cours de rénovation, sont encore visibles à Ispahan. Les plus remarquables étant :
La maison A’lam, la plus belle et la plus vaste, remarquablement remise en état. Comme toutes les maisons traditionnelles de Perse, elle possède deux parties : l’andarouni ou espace privé, réservé à la maisonnée, et le birouni ou espace public, réservé aux visiteurs.
La maison Amin et la maison Sheikh-ol-Eslâm, construites selon la même organisation. La seconde comprend également un tekieh, salle de théâtre religieux traditionnel, utilisée lors des cérémonies religieuses d’Ashourâ et Tâsou’a. Elles ont été, de nos jours, toutes deux aménagées en ateliers d’art traditionnel où des jeunes gens s’initient à l’art du tapis, de la sculpture sur bois, de la poterie ou de la marqueterie, bénéficiant des conseils de leurs professeurs, artistes prestigieux de la ville d’Ispahan. Les visiteurs y sont volontiers accueillis. Ces ateliers ont été créés par l’Organisation iranienne du patrimoine culturel, de l’artisanat et du tourisme, dépendant du ministère de la Culture de l’Iran, présente dans chaque province iranienne, communément connue sous le nom d’Héritage culturel.
D’autres encore, comme la maison Dibâi, ont été rénovées par leurs propriétaires et aménagées en hôtel pour touristes. La maison Nilforoushân, qui se remarque par une superbe façade vitrée côté jardin, a été bâtie sous les Qâdjârs sur un plan de style safavide. La maison Mojtahedzâdeh, repérable par ses deux spectaculaires tours du vent apportant de l’air frais à l’intérieur du bâtiment, a également fait l’objet d’une lourde rénovation.
Le prestigieux Hôtel Abbâssi, datant du XVIIe siècle, occupe à Ispahan une place à part. Nommé à l’origine Caravansérail de la reine-mère, il abritait un caravansérail, une madrasa (école religieuse), un bazar et un jardin persan carré de quatre-vingts mètres de côté agrémenté d’un bassin. Restauré par l’archéologue français André Godard en 1957, il est devenu un hôtel de luxe.
La ville de Kâshân, belle cité de la province d’Ispahan, offre à la visite un superbe ensemble de maisons traditionnelles ainsi qu’une madrasa datant du XIXe siècle, toujours en activité. Cette madrasa, nommée Aqâ Bozorg, est un bel édifice dont le plan, analogue à celui des mosquées de la tradition persane, comprend, outre les locaux de l’école scientifique et religieuse, une mosquée surmontée de son dôme traditionnel ainsi qu’un superbe jardin entourant un plan d’eau. Les plus belles maisons historiques de Kâshân ont pour nom Ameri, Ehsân, Abbâssiân, Tabâtabâi, Boroudjerdi. Ces deux dernières sont l’œuvre de Ostad Ali Maryam, célèbre architecte du XIXe siècle. La maison Tabâtabâi porte le nom d’une famille de marchands de tapis pour laquelle elle fut édifiée. La maison Boroudjerdi fut construite pour la fille de la famille Tabâtabâi lorsqu’elle se maria. Certaines ont été aménagées en hôtels d’un grand raffinement.
Toutes ces belles demeures sont d’époque qâdjâre, bâties selon le même plan : les bâtiments comprennent les éléments de l’architecture résidentielle persane traditionnelle tels que les birouni et andarouni et sont distribués autour de cours, jusqu’à quatre pour les plus grands ensembles, agrémentés d’un bassin central. Leurs murs, peints et décorés de gravures, offrent de belles ouvertures sous forme de fenêtres aux vitraux multicolores (appelés orossi en persan).
1. Sources : Le texte qui précède s’inspire de la conférence « Téhéran, jardin oublié », donnée à Téhéran en 2004 par Madame Catherine Memarian, dans le cadre de l’association Téhéran Bienvenue - conférence à laquelle l’auteure de cet article a eu le plaisir d’assister.
Je remercie Monsieur Bernard Poletti, qui fut ambassadeur de France à Téhéran de 2005 à 2010, de m’avoir permis de consulter son fonds documentaire sur l’architecture de l’Ambassade ; notamment l’ouvrage de Jean Fouace chargé de mission à la Mission du Patrimoine du Ministère des Affaires Etrangères, publié aux Editions Perrin.