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Retour sur les relations bilatérales entre
l’Iran et la Grande-Bretagne,
de l’époque safavide à nos jours
Après l’invasion arabe de l’Iran et l’effondrement de l’Empire sassanide, l’Iran perd son indépendance pour une durée de 850 ans. Durant cette période allant de 651 à 1502, le pays est donc privé d’une pleine indépendance, d’une unité nationale et de son intégrité territoriale, étant d’abord sous la gouvernance des califes de Damas et Bagdad, puis soumis aux souverains étrangers ou aux dirigeants locaux. Pendant cette période, l’Iran n’entretient pas de relations politiques ni commerciales indépendantes avec l’étranger. Après la chute de l’Empire romain, et l’entrée de l’Europe dans la période médiévale, les relations avec l’Orient, dont l’Iran, sont réduites à une portion congrue.
Après l’émergence de la dynastie safavide, des relations politiques et commerciales reprennent entre l’Iran et les pays européens sur un rythme régulier. De 1502 à 1800, les relations avec les pays européens s’effectuent avant tout dans le but de promouvoir les échanges commerciaux. A cette époque, en dépit de la concurrence entre ces pays, toute tentative de manipulation politique en vue de développer une certaine influence est encore exclue.
A la suite de la politique agressive de la Russie vis-à-vis des pays l’environnant, dont l’Iran, l’Angleterre se tourne vers l’Asie et tend la main à l’Iran dans l’espoir d’une union stratégique. Cette politique a notamment pour objectif la protection des frontières de l’Inde. La majeure partie de la politique interventionniste de la Grande-Bretagne, qui se reflète dans la vision négative des Iraniens dans leur mémoire historique et dans l’esprit de l’élite politique iranienne, s’est déroulée aux XIXe et XXe siècles, durant les règnes qâdjâr et pahlavi.
Les premiers contacts entre l’Iran et la Grande-Bretagne datent de 1561. Anthony Jenkinson, l’envoyé de la reine Elizabeth I à la cour du roi d’Iran, Shâh Tahmâsp Safavi, a pour objectif de développer les échanges commerciaux entre les deux pays, mais la réponse du monarque iranien est négative : « Nous n’avons pas besoin de l’amitié des infidèles ». Ainsi, le représentant de la reine d’Angleterre est exclu de la cour du Shâh avec cette anecdote : un serviteur court après lui, tenant un plateau plein de cendres à verser sur ses pas pour purifier symboliquement la terre.
Cependant, la politique iranienne change avec le règne de Shâh Abbâs. En octobre 1611, Robert Shirley, un Anglais, est choisi par Shâh Abbâs comme ambassadeur d’Iran dans le nord de l’Europe. Il est chaleureusement accueilli, notamment par les Britanniques. Durant cette mission, il présente les projets, approuvés par Shâh Abbâs, d’échanges commerciaux entre les deux pays, projets refusés par les Anglais que la grande distance décourage. Shirley repart à Londres en 1623 afin de poursuivre les négociations et cette fois, les Britanniques se montrent intéressés. Il semble donc que les Iraniens aient été alors plus désireux de favoriser les échanges que les Britanniques, hypothèse qui paraît consolidée par les avantages commerciaux et financiers que l’Etat iranien met à la disposition des commerçants britanniques actifs dans la région. Citons notamment le décret de Shâh Abbâs concernant le commerce de la soie.
Les études historiques montrent que les facteurs les plus importants influant sur le développement des relations entre les deux pays dans la période safavide sont les efforts de Shâh Abbâs Ier pour favoriser la présence britannique dans le golfe Persique afin de contrer la menace portugaise, et la création de la Compagnie des Indes orientales jouissant du soutien massif du gouvernement britannique. Ainsi, Shâh Abbâs Ier, faisant preuve de diplomatie, réussit à forger des alliances irano-britanniques, qui mènent à l’expulsion des Portugais et leur départ définitif de la zone, ce qui a un impact positif sur la politique étrangère iranienne.
Parallèlement, l’Angleterre, envoyant des émissaires à la cour de l’empereur Moghol Jahangir, fait son possible pour consolider l’existence de la Compagnie des Indes. Dans les années qui suivent, ladite compagnie prend une telle importance pour le gouvernement britannique qu’il fait tout pour la maintenir et renforcer sa position. Elle crée à son tour un terrain favorable à l’assise de l’immense domination politique de l’Angleterre pour les trois siècles à venir. Les orientations de la politique étrangère de la Grande-Bretagne seront dans une large mesure influencées par les impératifs de soutien des intérêts commerciaux de cette compagnie coloniale.
Ayant envoyé un premier ambassadeur britannique en Iran à la cour de Shâh Abbâs, la Grande-Bretagne essaie d’obtenir des privilèges, effort qui échoue provisoirement face au refus de l’Iran d’accorder les privilèges exigés. Deux événements historiques, l’exécution de Charles Ier d’Angleterre et la mort de Shâh Abbâs Ier en 1649, sont à l’origine d’une baisse significative des relations bilatérales. Elles connaissent cependant une certaine reprise à partir de 1689, due notamment à la diminution de la concurrence entre les Pays-Bas et le Royaume-Uni pour développer leur influence en Iran.
Le bilan de la période safavide - en particulier sous le règne de Shâh Abbâs Ier - montre que la Grande-Bretagne ne réussit pas à préparer le terrain pour une politique expansionniste vis-à-vis de l’Iran. Quant aux Iraniens, ils mettent à profit l’expérience britannique en matière de navigation et de batailles navales pour déloger les Portugais et établir une résistance optimale contre les puissances coloniales de l’époque. Par conséquent, cette période peut être considérée comme une réussite dans le domaine de la diplomatie entre les deux pays.
L’intérêt, très récemment perçu dans les milieux politiques britanniques pour l’établissement de solides relations anglo-iraniennes sous le règne de Shâh Abbâs, permet de redéfinir les relations entre les deux pays sur la base de l’interaction garantissant les intérêts des deux parties par l’utilisation optimale des ressources réciproques. À cet égard, il faut voir comment ce changement de perspective va conduire au changement dans la politique de la Grande-Bretagne à l’encontre de l’Iran.
Après le renversement de la dynastie safavide, Nâder Shâh réalise la nécessité urgente d’organiser une force navale efficace et prend les initiatives nécessaires pour la créer. En 1735, il demande au représentant de la Compagnie des Indes orientales de mettre un nombre de navires de guerre à la disposition de l’Iran, mais la Compagnie rejette cette demande. Ce refus contribue à envenimer les relations entre l’Iran et la Grande-Bretagne, Nâder Shâh assumant dès lors une politique commerciale anglophobe.
La période zand est celle où les Britanniques ont redoublé d’efforts pour développer leur présence dans la région et en Iran. Elle témoigne aussi d’un changement radical dans le regard des Britanniques sur l’Iran, car ce dernier perd progressivement son importance commerciale pour devenir une forme de clôture protégeant les frontières de l’Inde.
Au début de son règne, Karim Khân Zand est intéressé par un rapprochement avec la Grande-Bretagne, mais prenant conscience de la dimension colonialiste de la collaboration souhaitée par les Britanniques, il prend ses distances et refuse de recevoir les délégations anglaises. L’échec quasi volontaire de la marine britannique à chasser les bandits de l’île de Kharg et un pessimisme croissant de la part des Iraniens conduisent à la fermeture de la représentation du commerce britannique à Boushehr, puis à l’expulsion de tous les membres de la Compagnie des Indes accompagnée de la confiscation de l’un de leurs navires.
Suite à cet événement, les Britanniques se tournent vers le port de Bassora, désormais territoire ottoman, qui devient le pivot de leur commerce dans la zone, mais aussi la base depuis laquelle ils fomentent des provocations contre l’Iran. Après la mort de Karim Khân et le renversement de la dynastie des Zands, la Grande-Bretagne focalise sa politique sur la préparation de tensions en Iran afin de développer son influence dans le golfe Persique. A partir de la fin du XVIIIe siècle, l’Iran devient une base pour le contrôle de l’Inde. Ainsi, la politique de la Grande-Bretagne consistera désormais à soutenir le gouvernement central de l’Iran et à faire de son mieux pour mettre sous tutelle son intégrité afin d’empêcher d’autres puissances européennes telles que la France et la Russie de pénétrer dans la région.
La période qâdjâre est, pour ce qui est des affaires étrangères iraniennes, l’ère la plus sombre pour l’Iran. Non seulement cette époque est le témoin de la poursuite des politiques coloniales et expansionnistes menées par la Grande-Bretagne et la Russie, mais aussi celle où l’influence britannique s’étend sur le corps décisionnel du pouvoir iranien avec une hégémonie sans précédent. Compte tenu de l’importance de cette période, nous examinerons la politique britannique pendant cette période selon trois axes différents : le début de la chancellerie d’Amir Kabir, la Révolution constitutionnelle, et la fin du règne des Qâdjârs.
Au début du règne de Fath Ali Shâh, les relations entre les deux pays connaissent des fluctuations en fonction de la situation régionale et internationale. Durant cette période, les relations bilatérales sont cordiales, en raison du besoin de l’Angleterre de conserver une relation avec le pays et sa peur d’une attaque de l’Inde par Napoléon Bonaparte ainsi que le besoin urgent des Iraniens d’avoir un allié contre les invasions de la Russie. A cette époque, la Grande-Bretagne est devenue une puissance mondiale principalement en raison des revenus du commerce provenant d’autres pays, notamment de l’Inde.
Il ne faut pas oublier que pendant les guerres russo-persanes de 1804 à 1813, la Grande-Bretagne a organisé une alliance contre la Russie pour empêcher la défaite totale de l’Iran et la domination russe sur l’ensemble du pays, ce qui aurait rendu la Russie potentiellement apte à menacer l’Inde et l’Afghanistan contrôlés par les Britanniques. A cette période, la Russie et la Grande-Bretagne étaient unies en Europe contre Napoléon Ier, et la tendance du gouvernement iranien à s’unir avec les Anglais pour contrer la Russie témoigne de sa méconnaissance de la situation politique mondiale de l’époque.
Après la défaite de Napoléon Ier, la politique britannique est poursuivie. Elle consiste en la préservation de l’indépendance et de la souveraineté de l’Iran face à la Russie et en même temps, à l’affaiblissement de l’Iran pour que celui-ci ne puisse représenter une menace pour les intérêts britanniques en Inde et en Afghanistan. C’est à cette époque que la Grande-Bretagne sépare Herat et une partie du Baloutchistan de l’Iran afin de créer une nouvelle zone de sécurité pour l’Inde, tout en oeuvrant à opposer les Afghans à l’Iran.
La perte du droit inaliénable de l’Iran d’avoir ses navires dans le golfe Persique au profit du Royaume-Uni à la suite de la signature du gouverneur de la province de Fârs en 1819, sous le prétexte que la Grande-Bretagne devait assurer la sécurité du golfe Persique, constitue un événement majeur de cette période.
Avec l’arrivée du pro-russe Mohammad Shâh - ouvertement appuyé par les Russes - au pouvoir, les relations diplomatiques anglo-iraniennes sont rompues en juin 1838 par les Anglais. Mohammad Shâh souhaite reprendre Herat, mais un pacte russo-britannique conclu au dernier moment le prive du soutien russe et il ne peut atteindre son objectif. Ainsi déçu par la traîtrise de la Russie qu’il considérait comme un pays allié, il finit par consentir à l’établissement de relations irano-britanniques, selon les termes voulus par les Anglais.
Dans l’histoire contemporaine de l’Iran, le nom d’Amir Kabir, précurseur de la modernisation de l’Iran, évoque un politicien soucieux et clairvoyant. Parmi les innombrables services qu’il a rendus au pays figurent la modernisation et la restructuration de l’armée grâce à des collaborations avec des pays neutres comme l’Autriche et l’unification des tribus féodales du Turkestân et de l’Asie centrale contre le colonialisme britannique, qui eurent pour résultat d’attirer l’attention de la Grande-Bretagne contre sa personne complotant dès lors pour son élimination. Pour garantir leurs intérêts résidant dans l’assujettissement de l’Iran et limiter la présence d’autres nations européennes dans ce pays, les Anglais planifient par conséquent son assassinat avec la complicité de la mère du Shâh alors très jeune et de Mirza Aghâ Khân Nouri, qui convoite le poste de chancelier. La reine mère convainc ainsi le jeune roi de destituer Amir Kabir et de donner l’ordre de son assassinat, ordre qui est promptement exécuté dans le Jardin de Fin à Kâshân, mettant fin à l’existence de cet homme patriote et compétent.
Peu après l’assassinat d’Amir Kabir, une nouvelle phase de tensions croissantes entre l’Iran et la Grande-Bretagne sur la question de Herat aboutit à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays en décembre 1855.
Après la révocation du chancelier Mirzâ Aghâ Khân Nouri par Nâssereddin Shâh et l’évolution et la révolte en Inde, la Grande-Bretagne, étant politiquement en position de faiblesse, adopte une attitude souple envers l’Iran. De façon générale, la politique de la Grande-Bretagne est alors sujette à des variations et des volte-faces en fonction de sa position et des événements régionaux et internationaux.
La négociation des Britanniques avec les sheikhs de la région, dont ceux de Bahreïn et la signature de protectorats avec certains d’entre eux (qui datent de 1861), le soutien apporté au Sistân sur la question de sa séparation de l’Iran (en 1872), l’obtention d’un monopole sur le marché du tabac pour la compagnie britannique The Tobacco Régie (en 1890) sont les événements les plus importants de cette période. Il convient de noter que depuis 1894, des changements radicaux se font jour dans la politique britannique au Moyen-Orient, comme la répartition des sphères d’influence dans la région, entre autres en Iran et dans l’Empire ottoman.
Les nombreux et coûteux voyages en Europe de Nâsseraddin Shâh sont financés à travers de nouvelles et lourdes taxes imposées par le chancelier Eyn-od-Dowleh et mènent finalement à des révoltes sociales et urbaines. Parallèlement, les idées libertaires et démocratiques, notamment diffusées par les révolutionnaires et combattants de la liberté russes réfugiés dans le Caucase après la révolution manquée de 1905, encouragent la lutte contre le régime autoritaire. Face à cette situation, les Anglais, inquiets pour leurs intérêts, estiment qu’il est temps d’impulser un changement fondamental à la situation politique en Iran gouverné par le roi et son premier ministre autocrate et manipulé par la Russie.
C’est ainsi qu’ils appuient en partie les demandes des 12 000 personnes qui se réfugient dans leur ambassade en juin 1906 à Téhéran lors d’une attaque des forces de sécurité. C’est notamment grâce à cet appui britannique que les mécontentements mènent à l’acceptation d’une monarchie parlementaire par Mozaffareddin Shâh en août 1906.
Malgré son opposition aux constitutionnalistes et la chaîne des événements ayant mené à la Révolution, sous la pression de la Grande-Bretagne et de la Russie qui essaient de le convaincre de se soumettre aux aspirations des constitutionnalistes, Mohammad Ali Shâh, le successeur au tempérament despotique de Mozaffereddin Shâh, consent à la mise en place du nouveau parlement, bien que les événements ultérieurs aient mené à son abdication au profit de son fils, héritier du trône Ahmad Mirzâ (devenant Ahmad Shâh).
La protection partielle offerte par les Britanniques aux révolutionnaires durant la Révolution leur attire une certaine bienveillance populaire, qu’ils perdent très rapidement dès 1907 en partageant l’Iran en zones d’influence, notamment avec la Russie.
L’inquiétude de la Grande-Bretagne, durant la période constitutionnelle, d’une éventuelle alliance entre l’Allemagne et la Russie la pousse à ne pas réagir face à la plupart des mesures adoptées par la Russie en Iran. Pendant cette période nommée celle de la Paix Armée, la politique de la Grande-Bretagne consiste à soutenir ses politiciens favoris surtout dans les provinces du sud où l’industrie pétrolière nouvellement instaurée acquiert une importance progressive.
Outre les événements issus de la Première Guerre mondiale, avec la Révolution bolchévique en 1917 et le retrait ultérieur des forces militaires russes de l’Iran en 1918, la Grande-Bretagne devient la puissance inégalée en Iran contre une armée ottomane qui ne peut plus être considérée comme un dangereux adversaire. Ainsi, la position de puissance de la Grande-Bretagne atteint un niveau sans précédent et elle essaie d’être le maître incontesté de l’Iran.
Après la Première Guerre mondiale et la chute de la Russie tsariste, l’Angleterre, ayant gagné la guerre mondiale, devient l’empire le plus puissant du monde, étendant considérablement sa sphère d’influence notamment en Iran, au Moyen-Orient et dans le Caucase et le Turkestan. Durant cette période, Lord Curzon, secrétaire britannique aux Affaires étrangères, parfois considéré comme le politicien anglais personnifiant le mieux la quintessence de la politique coloniale britannique, propose des plans ambitieux pour asseoir la domination totale de la Grande-Bretagne sur l’Asie. A ce moment-là, les efforts de la Grande-Bretagne consistent à mettre l’Iran sous protectorat britannique, suivant l’accord Vossough-od-Dowleh et Percy Cox.
Dans la mémoire historique de la nation iranienne, le rôle de la Grande-Bretagne dans la prise du pouvoir par Rezâ Pahlavi est clair. De nombreux facteurs internationaux et régionaux conduisent les Britanniques à l’idée de soutenir un changement de régime en Iran au profit d’un pouvoir centralisé. L’objectif principal des Anglais est alors de créer un barrage contre le communisme. La Grande-Bretagne est ainsi le premier pays à reconnaître la nouvelle dynastie iranienne, à condition que celle-ci respecte les contrats et les obligations de l’Iran à son encontre.
Même si Rezâ Shâh doit son accession au pouvoir au soutien de l’Angleterre, il existe des indices permettant d’affirmer qu’après avoir stabilisé son règne en supprimant la noblesse féodale et les dissidents favorables au régime constitutionnel antérieur dans le but de fonder un pouvoir central despotique, il a néanmoins parfois adopté des mesures qui ont déplu aux Anglais. Parmi ces questions, on peut citer celle qui concerne le pétrole iranien dont le règlement en 1932 nécessite l’intervention du secrétaire général de la Société des Nations.
Il convient de noter que certains historiens estiment que Rezâ Shâh avait l’intention, à partir de 1925, de développer la coopération avec l’Allemagne avec l’avis favorable des Britanniques, qui craignaient de voir l’Allemagne plonger dans le communisme.
Les relations entre les deux pays se déroulent avec en toile de fond un nouveau contexte historique. D’une part, cette ère voit l’émergence d’une nouvelle puissance mondiale (les Etats-Unis) et de l’autre, la victoire des mouvements populaires contre la colonisation en Asie après la Seconde Guerre mondiale. Ces mouvements mènent à l’indépendance de l’Inde, du Pakistan, de la Birmanie en été 1947, et initient dans cette partie du monde l’effondrement de l’empire colonial britannique déjà très affaibli par la guerre.
Parmi les événements de cette période, on peut citer la nationalisation de l’industrie pétrolière iranienne et le rôle du Premier ministre libéral et nationaliste, Mohammad Mossadegh.
La politique de l’équilibre négatif adoptée par Mossadegh, qui consiste à ne pas être favorable ni aux aspirations coloniales de l’impérialisme américain ni aux ambitions soviétiques visant à faire de l’Iran un pays satellite communiste, se concrétise à travers ses positions intransigeantes, en particulier concernant l’exploitation des ressources énergétiques iraniennes. Le mouvement de nationalisation du pétrole qu’il entame avec succès est confronté dès le départ à une très forte résistance britannique, suivie par d’autres puissances impérialistes qui veulent garder leur mainmise sur le pétrole iranien.
L’intransigeance de Mossadegh, issue de sa politique d’équilibre négatif, génère l’antagonisme des Britanniques qui tentent par divers moyens de l’éliminer avant de passer aux mesures suivantes : le forcer à démissionner pour le remplacer par des politiciens pro-britanniques, faire appel aux instances internationales qu’ils contrôlent en partie afin de faire plier le gouvernement iranien, concevoir et appliquer des sanctions et un embargo économique accompagnés d’intimidations militaires, organiser un coup d’Etat pour renverser le gouvernement.
Ce qui est important à noter sur ce point est que les Etats-Unis soutiennent dans un premier temps la nationalisation de l’industrie pétrolière iranienne, même s’il s’agit pour eux de se donner la possibilité d’intervenir sous le prétexte de médiation. Mais l’influence britannique est alors suffisamment importante outre-Atlantique pour convaincre les Américains de la nécessité d’un coup d’Etat en Iran.
Après la stabilisation de son pouvoir après le coup d’Etat anglo-américain de 1953, Mohammad Rezâ Pahlavi développe prioritairement les relations multilatérales avec ces deux pays (en particulier avec les Etats-Unis). Sa politique appelée nationalisme positif et qui consiste à être optimiste dans les relations avec le monde extérieur, notamment les puissances occidentales, et à chercher à assurer la sécurité nationale au travers d’une proximité croissante avec le bloc de l’Ouest, rapproche l’Iran de la Grande-Bretagne. Cependant, ses prises de position concernant les ressources pétrolières engendrent progressivement un malaise du côté britannique.
Après la Seconde Guerre mondiale et pour des raisons économiques, les Britanniques se voient forcés de se retirer militairement du golfe Persique et de devoir se préparer à accorder leur indépendance aux émirats arabes de la région. L’Iran du Shâh Pahlavi proteste contre le retrait des forces britanniques, arguant de l’incertitude de l’avenir de la région au vu du danger communiste et celui représenté par les partisans de Nasser en Egypte, mais il est rassuré par les Anglo-Américains qui lui attribuent le rôle de gendarme régional.
Précisons cependant que vers la fin de son règne, lors des débuts de la Révolution islamique, le Shâh attribue l’instabilité de son règne aux Britanniques, en raison de son opposition à la politique de la Grande-Bretagne pendant les dernières années de son règne.
Après la Révolution islamique, les relations anglo-iraniennes se tendent en raison de l’absence d’acceptation de la nouvelle réalité politique et sociale de l’Iran par les Britanniques, et leur inimitié à l’égard de la jeune République.
Parmi les principaux thèmes de cette période, on peut citer la politique du gouvernement britannique pour soutenir l’Irak pendant la guerre Iran-Irak. Certains des documents publiés au Royaume-Uni ont confirmé l’importance de ces efforts, basés sur les déclarations notamment de Ben Valys du Parti conservateur. Une autre question ayant été source de troubles dans les relations entre les deux pays est celle de l’écrivain britannique d’origine indienne Salman Rushdie.
En outre, toujours après la Révolution, l’histoire des relations bilatérales entre l’Iran et la Grande-Bretagne a été, plusieurs fois, marquée par des ruptures dont la reprise fut parfois à l’initiative iranienne, parfois anglaise. La dernière grande tension suit les événements de l’ambassade britannique à Téhéran en novembre 2011 pour offrir de réels motifs de la suspension des relations avec la Grande-Bretagne, conduisant également à l’expulsion du nouvel ambassadeur britannique à Téhéran. En résumé, durant les trois dernières décennies, les relations entre l’Iran et le Royaume-Uni sont globalement marquées par la dimension conflictuelle de l’approche britannique envers la République islamique, due en particulier à la capacité d’influence de l’Iran contre les intérêts de la Grande-Bretagne dans la région. Par conséquent, la Grande-Bretagne a toujours investi des efforts visant à saper la République islamique ou intensifier la pression pour la perpétuation de rapports hostiles entre les deux pays.
Pour comprendre l’évolution de la puissance britannique dans l’arène internationale, il faut d’abord noter que, fondamentalement, le pouvoir, l’influence et la position du Royaume-Uni ont sérieusement fluctué, puis décliné tout au long de la période abordée dans cet article. Au XXe siècle, la Seconde Guerre mondiale et ses séquelles, la montée d’une grande puissance comme les Etats-Unis et l’obsolescence de sa stratégie de présence directe dans les colonies, forcent la Grande-Bretagne à changer sa politique.
En outre, le retrait de ses forces militaires d’un peu partout dans le monde, entre autres du golfe Persique et de l’est de Suez, la déclasse de son rang de puissance coloniale mondiale. Plus récemment, la montée en puissance d’autres pouvoirs européens et la création de l’Union Européenne ont contribué à davantage éclipser la présence et l’influence de la Grande-Bretagne sur la scène internationale.
En période actuelle de crise économique et financière profonde, le Royaume-Uni connaît une nouvelle phase d’amoindrissement de son influence. La crise économique internationale a conduit les décideurs britanniques à investir dans la recherche d’une solution pour la reconstruction de l’économie britannique. L’une des raisons pour lesquelles la Grande-Bretagne souffre particulièrement de la crise économique est sa structure non-industrielle, qui a transformé Londres en centre international d’activités commerciales, alors que des pays comme l’Allemagne et la France ont su conserver en partie leur économie basée sur leur production nationale. Il existe bien entendu une relation directe entre situation économique et puissance politique internationale. On peut voir dans les discours des membres du parti conservateur, avant et après leur ascension au pouvoir, des allusions à cette équation, entre autres quand ils déclarent qu’au regard de sa situation économique, la Grande-Bretagne ne possède plus les moyens de maintenir sa présence en Afghanistan, ni de continuer ses autres programmes hasardeux sur la scène internationale.
L’étude des relations historiques et contemporaines entre la Grande-Bretagne et l’Iran permet de dégager deux points fondamentaux les caractérisant : le premier est l’impérialisme et la vision utilitairiste britannique vis-à-vis de l’Iran, et la seconde, conséquence de la première, est un pessimisme très fort et la méfiance des Iraniens, qu’il s’agisse du gouvernement ou de ses habitants, envers les objectifs déclarés ou non de la Grande-Bretagne. Ces sentiments trouvent leurs racines dans le passé historique des relations entre deux pays et peuvent être considérés comme constituant un obstacle au rétablissement de relations saines et pérennes.
Cependant, les relations de ces dernières années entre les deux pays ont été marquées par une volonté d’ouverture, particulièrement dans un contexte post-sanction, et à un refus partagé de prises de positions extrêmes. L’attitude souvent négative de la Grande-Bretagne à l’encontre de la République Islamique de l’Iran également suivie par d’autres membres de l’Union européenne est entre autres motivée par les investissements britanniques dans les monarchies du golfe Persique, lesquels se positionnent généralement en adversaires sur le plan politique et économique de l’Iran, notamment au travers de la question des ressources énergétiques ou des conflits confessionnels. Il n’est pas difficile de constater que ces Etats qui, en échange d’offres et d’opportunités d’investissement pour les Britanniques, exigent en contrepartie de la Grande-Bretagne de faire pression sur l’Iran. Ces facteurs géopolitiques sont à prendre en compte pour une analyse sérieuse des perspectives concernant le rétablissement de véritables relations bilatérales à l’heure actuelle.
Bibliographie :
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Clawson Patrick, Eternal Iran, Palgrave, 2005.
Sahbi, Mohammad, “Ravâbet-e Irân va Britâniâ, tchâlesh-hâye gozashteh va hâl” (Les relations irano-britanniques : les défis du passé et du présent”, Faslnâmeh-ye siâsat-e khâreji (Revue trimestrielle de politique étrangère), été 2012.